Jane Hahn/Washington Post/via Getty Images

La CEDEAO peut-elle relancer ses efforts de lutte contre le terrorisme ?

Le manque de financement et de fortes divisions politiques ont sapé le plan de lutte contre le terrorisme de la CEDEAO.

En 2019, les dirigeants des pays d’Afrique de l’Ouest ont adopté l’ambitieux Plan d’actions prioritaires 2020-2024 pour éradiquer le terrorisme dans l’espace CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest). Quatre ans plus tard, la situation ne s’est pas améliorée et les extrémistes violents menacent toujours la sécurité et la stabilité. Alors que le plan arrive à son terme, on doit s’interroger sur sa mise en œuvre et son impact.

Le plan comporte huit priorités interdépendantes dont la coordination des initiatives de lutte contre le terrorisme, l’échange d’informations et de renseignements et les dialogues intercommunautaires. Son adoption reflétait les profondes inquiétudes des dirigeants de la CEDEAO face à la menace terroriste et le sentiment qu’il était urgent de réagir. Toutefois, sa mise en œuvre s’est limitée à quelques activités de formation et de sensibilisation.

Des responsables familiers du plan ont déclaré à l’Institut d’études de sécurité (ISS) que plusieurs problèmes étaient apparus dès le départ, en particulier l’impossibilité de réunir les 2,3 milliards de dollars US prévus au budget. Les États membres ne se seraient pas accordés sur la question de savoir s’il fallait contribuer à un pot commun de la CEDEAO ou bien allouer des fonds à leurs propres efforts nationaux.

L’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) a choisi de verser sa contribution de 100 millions de dollars au Burkina Faso, au Mali et au Niger. Le Nigeria et le Ghana ont également accordé la priorité à des initiatives de sécurité nationale. Sur les 100 millions de dollars accordés au Nigeria, 80 % devaient servir à la lutte contre Boko Haram dans le nord-est du pays, tandis que le reste devait aller à la CEDEAO.

Les États membres sont divisés entre une contribution à la CEDEAO ou des allocations nationales

En 2020, le Ghana n’a versé que 5 millions de dollars sur les 50 millions de dollars promis à la CEDEAO. Le reste a été consacré à ses efforts internes en matière de sécurité dans les régions septentrionales limitrophes du Burkina Faso. On ne connaît pas exactement les montants des décaissements des sommes promises.

Le manque de financement a été aggravé par l’absence de contribution des autres États membres et par la longue crise financière de la CEDEAO. Le paiement du prélèvement communautaire du bloc régional – un droit de douane de 0,5 % sur les importations en provenance d’États non membres de la CEDEAO, représentant 70 à 90 % du budget de l’organisation – n’a pas été effectué. Le Parlement de la CEDEAO s’en est plaint en 2021.

L’allocation des fonds de lutte contre le terrorisme à des initiatives nationales plutôt qu’à la CEDEAO reflète un problème plus profond : un manque d’engagement en faveur d’une approche régionale et collective de la lutte contre l’extrémisme violent. En effet, malgré sa nature transnationale, la lutte contre le terrorisme est avant tout perçue comme une question de sécurité et de souveraineté nationales.

Les États membres confrontés au terrorisme, ou à sa menace, ne sont apparemment pas disposés à confier la direction et la coordination de cette lutte à la CEDEAO. Ils choisissent plutôt d’en garder la mainmise ou de recourir à des efforts infrarégionaux ad hoc, tels que la Force multinationale mixte, le Groupe des cinq pour la Force conjointe du Sahel et l’Initiative d’Accra, ainsi qu’aux mécanismes bilatéraux.

La lutte contre le terrorisme est perçue comme une question de sécurité et de souveraineté nationales

En outre, les États membres qui subissaient encore peu les retombées du terrorisme le considéraient largement comme une menace externe. Ils estimaient donc qu’elle ne justifiait pas d’engagements financiers régionaux significatifs.

Au manque d’argent et à la préférence pour l’action nationale et infrarégionale, se sont ajoutées les retombées de la réponse de la CEDEAO aux coups d’État au Burkina Faso, au Mali et au Niger – les trois États membres les plus touchés par le terrorisme. L’imposition de sanctions par la CEDEAO et la menace d’une intervention militaire au Niger par le bloc régional ont sérieusement divisé l’organisation.

Elle a conduit les trois États à annoncer leur retrait et à former l’Alliance des États du Sahel (AES). Des responsables ont déclaré à l’ISS que l’AES, qui avait critiqué la CEDEAO pour son manque de soutien à la lutte contre le terrorisme, s’est méfiée lorsque l’organisation a décidé de mettre en place une force régionale pour lutter contre les coups d’État militaires.

Bien que les objectifs initiaux de la force aient été de lutter contre le terrorisme, les États de l’AES ont considéré qu’elle les visait et ont refusé d’y contribuer. Alors que les dirigeants de la CEDEAO en faisaient la pièce maîtresse de leurs efforts de lutte contre le terrorisme et cherchaient à mobiliser des fonds.

La gestion des défis politiques et sécuritaires de la CEDEAO a créé des suspicions

Tout ceci a affaibli la coopération contre l’extrémisme violent, notamment en ce qui concerne l’échange d’informations et de renseignements, et même la conduite d’opérations conjointes. L’envoyé spécial de la CEDEAO pour la lutte contre le terrorisme, l’ambassadeur Baba Kamara, n’a pas pu se rendre dans les États de l’AES, ceux-ci refusant de le recevoir.

En fin de compte, ces blocages financiers et politiques n’ont pas permis à la CEDEAO d’éradiquer l’extrémisme violent. Cependant, bien qu’ils semblent insurmontables à court terme, le bloc régional a la possibilité de relancer ses efforts de lutte contre le terrorisme, même si les États de l’AES se retirent.

Cela nécessitera des réformes institutionnelles pour améliorer la situation financière de l’organisation ou garantir le financement de la lutte contre la menace terroriste. Les soupçons sur les motivations de la CEDEAO dans la gestion des défis politiques et sécuritaires doivent également être levés et la coopération régionale encouragée.

Il s’agit toutefois de mesures à moyen terme. À brève échéance, la CEDEAO devrait envisager de revoir son plan pour se concentrer sur le soutien aux États membres touchés par la crise, en adoptant des approches non militaires, comme celles mises en œuvre dans le bassin du lac Tchad.

On pourrait soutenir des processus de désarmement, de démobilisation et de réintégration sensibles à la dimension de genre et pilotés par les communautés, qui encourageraient et appuieraient les défections de membres des groupes terroristes. Les leçons tirées de ces processus dans le bassin du lac Tchad constituent un point de départ.

La CEDEAO pourrait alors se concentrer sur le soutien aux pays, y compris ceux de l’AES, pour remédier aux déficits de développement qui font partie des facteurs structurels moteurs du terrorisme.

Les droits exclusifs de re-publication des articles ISS Today ont été accordés au Daily Maverick en Afrique du Sud et au Premium Times au Nigéria. Les médias basés en dehors de l'Afrique du Sud et du Nigéria qui souhaitent republier des articles ou faire une demande concernant notre politique de publication sont invités à nous écrire.

Partenaires de développement
La recherche pour cet article a été financée par les gouvernements des Pays-Bas et de l’Irlande. L’ISS tient à remercier les membres du Forum de partenariat de l’Institut, notamment la Fondation Hanns Seidel, l’Open Society Foundations, l’Union européenne, ainsi que les gouvernements du Danemark, de l’Irlande, de la Norvège, des Pays-Bas et de la Suède.
Contenu lié