Il est temps de repenser le rôle de l’Union africaine
Après 20 ans d’existence, des questions délicates se posent quant à l’autorité de l’UA face aux enjeux de sécurité en Afrique.
Publié le 17 mars 2022 dans
ISS Today
Par
Paul-Simon Handy
directeur régional pour l’Afrique de l’Est et représentant de l’ISS auprès de l’UA
Le sommet de l’Union africaine (UA), en février dernier, a été symbolique à plusieurs titres. Après presque deux ans de réunions en ligne du fait de la COVID-19, il s’est tenu en présentiel à Addis Abéba, témoignant ainsi d’une confiance croissante dans la gestion de la pandémie. Pour les autorités éthiopiennes, le sommet a été l’occasion de montrer que la situation fragile du pays sur le plan de la sécurité était maîtrisée.
Le discours d’ouverture du président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, a également constitué une bonne surprise. Faisant preuve d’une offensivité inhabituelle devant les chefs d’État, il a évoqué en des termes lucides et audacieux « l’immensité de la paralysie africaine vis-à-vis des demeures voisines qui s’embrasent ».
Cette formule renvoyait au bilan mitigé de l’UA en matière de paix et de sécurité en 2021, un an après la réforme et la restructuration de sa Commission. Mais lors de son allocution, M. Faki a aussi soulevé des interrogations fondamentales concernant la capacité de l’organisation panafricaine à influer sur les problèmes qui mettent en péril la stabilité des États.
Que manque-t-il pour que l’UA ait davantage d’ impact sur les situations de conflit ? L’heure est venue de se poser la question. Alors que l’organisation s’apprête à fêter ses 20 ans, des conflits naissants et durables interrogent sur la pertinence de l’Architecture africaine de paix et de sécurité et l’ambition de l’UA de faire taire les armes d’ici 2030.
Face aux crises, les gouvernements africains déploient diverses stratégies pour circonscrire l’UA
Selon la définition de la philosophe Hannah Arendt, l’autorité désigne, de façon générale, la capacité à obtenir un consentement sans recourir à la contrainte. En tant qu’organisation continentale, l’UA tire son influence de l’adhésion volontaire de ses États membres au projet panafricain. Cependant, les gouvernements sont rarement derrière elle lorsqu’elle tente de faire valoir son autorité, notamment quand il s’agit de prendre des mesures rapides et de prévenir les conflits.
Face aux crises, les gouvernements africains ont souvent recours à diverses stratégies pour circonscrire le rôle de l’UA. Ils refusent poliment son ingérence dans leurs affaires intérieures (Cameroun), contestent son action lorsqu’elle est déjà mobilisée (Somalie), la mettent sur la touche au profit d’organismes régionaux (République centrafricaine et Mozambique) ou préfèrent simplement faire appel à des acteurs internationaux dotés de moyens plus importants (Libye et Soudan).
Par ailleurs, Du fait de l’intérêt inégal des pays concernés, l’UA peine à s’imposer comme force de médiation dans les différends entre États, tels que ceux opposant le Maroc à l’Algérie, l’Égypte à l’Éthiopie, le Kenya à la Somalie ou le Rwanda à l’Ouganda. Si l’on ajoute la gestion incohérente du Conseil de paix et de sécurité de l’UA des changements anticonstitutionnels de gouvernement au Mali et au Tchad, il semble que l’UA soit confrontée à un déclin de son autorité. Le processus n’est pas irrémédiable, mais pour inverser la tendance, il faudrait combler plusieurs lacunes structurelles et cycliques de l’organisation.
L’une des fragilités systémiques de l’UA tient au fait que la plupart des États africains refusent toute intrusion dans leurs affaires intérieures. Si l’organisation panafricaine est passée, sur le plan normatif, de la non-ingérence de son ancêtre (l’Organisation de l’unité africaine) à la non-indifférence, il subsiste un immense décalage entre l’attitude proactive de la Commission de l’UA et la réticence de ses États membres. Cette situation crée des incohérences dans la façon dont l’UA impose ses cadres normatifs et ses règles, ce qui l’affaiblit.
Contrairement à l’UE, la seule condition d’adhésion à l’UA est la situation géographique
La relation entre l’UA et ses États membres constitue une autre fragilité préoccupante. Contrairement à l’Union européenne (UE), dont les membres doivent remplir des critères très précis, la seule condition d’adhésion à l’UA est la situation géographique. Malgré un discours fort sur son intégration, l’UA regroupe des gouvernements aux profils très hétérogènes et aux engagements inégaux en matière de droits humains et de gouvernance. La plupart des États membres ont une conception plutôt traditionnelle de la souveraineté qui empêche toute ingérence susceptible d’améliorer la gouvernance et les droits humains.
L’UA est censée rassembler les pays autour de valeurs communes. Cependant, l’entreprise s’avère ardue car l’organisation peine à inciter ses membres à la convergence démocratique dont elle a besoin, même si elle a le pouvoir d’imposer des sanctions en cas de changement anticonstitutionnel de gouvernement.
Comme l’UA n’alloue pas de subventions ni de financements conséquents pour assurer la modernisation économique, elle apporte peu de valeur ajoutée à ses États membres dans leur fonctionnement quotidien. La dépendance des gouvernements africains vis-à-vis de l’UA est donc relativement faible, sauf en matière de lutte contre les pandémies et les épidémies : dans ce domaine, l’organisation joue généralement un rôle majeur, même s’il est plus réactif que proactif.
De manière générale, l’UA, en tant qu’organisation internationale, possède l’autorité et l’influence que ses États membres veulent bien lui donner. Entre déclarations musclées et slogans panafricanistes, il est difficile de savoir si les dirigeants africains aspirent à une véritable intégration continentale.
Il est difficile de savoir si les dirigeants africains aspirent à une véritable intégration continentale
On pourrait voir dans l’accord sur la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) le signe d’un engagement en faveur d’une intégration régionale. Mais comment l’UA pourrait-elle régler les différends commerciaux entre le Kenya et la Somalie, par exemple, si ses membres ne lui font pas confiance pour jouer le rôle d’intermédiaire impartial sur les questions politiques et sécuritaires ?
Le succès de tout accord commercial repose sur l’indépendance et l’impartialité des mécanismes de règlement des différends et sur le respect de leurs décisions par les États signataires. Or, les pays d’Afrique ne souscrivent pas toujours aux décisions des organes juridiques régionaux. La Tanzanie, par exemple, a récemment refusé à sa population un accès direct à la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, dont le siège se trouve paradoxalement à Arusha. Dans ce contexte, comment les États membres de l’UA réagiront-ils aux décisions du mécanisme de règlement des différends de la ZLECAf ? Cela reste à voir.
À l’aube de son 20e anniversaire, l’UA arrive au bout d’un cycle. Jusqu’à récemment, ses Etats membres respectaient naturellement son autorité, sans l’obliger à faire usage d’instruments contraignants. Pour que l’Union africaine conserve son autorité, donc sa pertinence, il est impératif que ses États membres s’attellent à réduire l’écart entre les attentes suscitées par ses dispositions juridiques et les réelles capacités de l’organisation.
Si les pays africains continuent d’estimer que l’intégration et un certain degré de supranationalisme sont contraires à leurs intérêts, l’Union africaine devra se résoudre à privilégier une coopération régionale renforcée. Celle-ci aurait comme valeur ajoutée de recueillir l’adhésion des Etats membres. Une inflexion aussi pragmatique constituerait un saut qualitatif sur la voie de l’intégration de l’Afrique.
Paul-Simon Handy, directeur régional de l’ISS pour la Corne de l’Afrique et représentant auprès de l’UA, et Félicité Djilo, analyste indépendante
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Image : © l’Union africaine/Flickr
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