Jean Marc POCHE / AFP

Grand pas, petite victoire : la restitution de l’archipel des Chagos à l’île Maurice

C’est la fin de l’âpre querelle avec le Royaume-Uni. Cependant, les détails du traité seront décisifs.

L’île Maurice et le Royaume-Uni ont conclu un accord sur les îles Chagos, qui marque le début de la fin d’un conflit de plusieurs décennies.

Dans une déclaration commune le 3 octobre, les deux pays ont annoncé que l’archipel des Chagos serait reconnu comme faisant partie de l’île Maurice, sous réserve que le Royaume-Uni et les États-Unis maintiennent leur présence militaire sur la plus grande des îles, Diego Garcia.

Maurice et le Royaume-Uni doivent désormais négocier un traité et des instruments juridiques pour officialiser cet accord.

L’histoire des îles Chagos remonte à plusieurs siècles. Sous la colonisation française des îles de l’océan Indien entre 1700 et 1800, elles étaient administrées comme une dépendance de Maurice. Cette gestion a perduré après 1814, lorsque la Grande-Bretagne a pris le contrôle de l’archipel.

En 1965, dans le cadre de la décolonisation, le Royaume-Uni a séparé l’archipel des Chagos de Maurice pour créer une nouvelle colonie. Après l’indépendance de Maurice en 1968, les Chagossiens ont été expulsés pour permettre l’installation d’une base militaire américaine, conformément à un accord passé en 1966.

L’archipel des Chagos
 Chagos Islands

Source : ISS

 

Depuis 1968, l’île Maurice tente pacifiquement de récupérer l’archipel des Chagos. Après l’échec des négociations avec le Royaume-Uni, elle a saisi la Cour permanente d’arbitrage en 2010, qui lui a donné raison. Cependant, le Royaume-Uni a maintenu sa position. En 2019, la Cour internationale de justice (CIJ) a jugé l’occupation britannique illégale, mais l’archipel est resté sous contrôle britannique.

Sur la base de ce jugement, Maurice a assigné les Maldives devant le Tribunal international du droit de la mer pour clarifier ses frontières maritimes. Le tribunal a confirmé que l’administration britannique de l’archipel des Chagos était illégale et qu’il appartenait à Maurice, sans toutefois résoudre le conflit.

Pour l’île Maurice, l’accord symbolise une reconquête territoriale historique et un acte de justice

Forte du soutien de plusieurs instances onusiennes, de l’Union africaine, de pays africains et de l’Inde, Maurice a entamé des négociations en 2022, qui ont abouti à l’accord actuel.

Bien que les détails restent à finaliser, les deux pays considèrent l’accord comme une victoire. « C’est un moment décisif pour nos relations et une preuve de notre engagement à résoudre pacifiquement les différends », ont déclaré les Premiers ministres britannique et mauricien, Keir Starmer et Pravind Jugnauth, dans un communiqué commun.

Quel est l’intérêt réel qu’en retirent les deux pays ?

Pour le Royaume-Uni, l’accord permet de maintenir une présence stratégique grâce à la base militaire qu’il partage avec les États-Unis. Le ministre britannique des Affaires étrangères, David Lammy, a déclaré que cela « empêcherait l’océan Indien de devenir une voie dangereuse d’immigration clandestine vers le Royaume-Uni ». Ces dernières années, quelques migrants ont atteint les îles Chagos, certains cherchant l’asile au Royaume-Uni. Une fois le territoire sous souveraineté mauricienne, l’île Maurice sera responsable des arrivées futures.

L'accord sur Diego Garcia, qui maintient la base américano-britannique, suscite une vive controverse

Pour l’île Maurice, cet accord représente une victoire historique et une mesure de justice. Le gouvernement mauricien a toujours affirmé que le Royaume-Uni l’avait contraint illégalement à céder l’archipel des Chagos en échange de son indépendance.

Si environ 280 Chagossiens ont reçu des indemnités dans les années 1970 après leur expulsion, celles-ci ont été jugées insuffisantes. Dans le cadre du traité proposé, l’île Maurice souhaite que le traité inclue des dispositions pour « réparer les torts du passé et améliorer le bien-être [des Chagossiens] ».

À cette fin, le Royaume-Uni s’engage à fournir un soutien financier à Maurice, sous la forme de subventions annuelles et d’investissements dans les infrastructures. Cette mesure s’inscrit dans le droit fil d’un rapport publié en 2023 par Human Rights Watch, qui appelle le Royaume-Uni à verser des réparations complètes et inconditionnelles aux générations touchées par les déplacements forcés. Il s’agit d’un « crime colonial effroyable » et d’un crime contre l’humanité commis par le Royaume-Uni et les États-Unis.

L’île Maurice pourra enfin commencer à réinstaller des Chagossiens sur l’archipel, une étape cruciale pour ces derniers. Bien avant que la revendication mauricienne ne gagne en visibilité internationale, les Chagossiens de l’île Maurice et du Royaume-Uni avaient intenté plusieurs actions en justice contre le gouvernement britannique pour contester leur expulsion et l’occupation continue des îles.

La résolution de la question des îles Chagos pourrait-elle créer un précédent ?

Cependant, l’accord ne satisfait pas tout le monde. Chagossian Voices, une plateforme populaire basée au Royaume-Uni, a critiqué l’exclusion des Chagossiens des négociations. Dans une déclaration du 3 octobre, elle a exigé leur implication dans la rédaction du traité.

L’accord sur Diego Garcia, qui prévoit de maintenir la base militaire américano-britannique, est particulièrement controversé. La majorité des Chagossiens expulsés en sont originaires, et l’accord compromet toute possibilité de réinstallation pour eux et leurs descendants.

Pour certains Chagossiens, la lutte n’est pas terminée. Ils réclament l’autodétermination et refusent la revendication de la propriété des îles que ce soit par le Royaume-Uni ou l’île Maurice.

Cette situation met en lumière un autre aspect : si le colonialisme pour l’essentiel a pris fin il y a plusieurs décennies, certains territoires restent sous contrôle. Après avoir cédé la majeure partie de son empire mondial en 1980, le Royaume-Uni conserve encore 17 territoires insulaires et la juridiction de deux bases souveraines à Chypre.

De même, la France possède 16 territoires d’outre-mer, dont Mayotte, la Réunion, l’île de Tromelin et des petites îles de l’océan Indien voisines de l’Afrique. Les États-Unis en ont 14. D’autres pays, comme l’Australie, les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, le Danemark, l’Espagne et la Chine, détiennent également des territoires extérieurs. La résolution de la question des îles Chagos pourrait-elle créer un précédent ?

Au cours des prochains mois, les négociateurs et les rédacteurs juridiques de l’île Maurice et du Royaume-Uni finaliseront le traité. S’il est peu probable que le processus rencontre une forte résistance, l’avenir nous dira s’il s’agit d’un pacte faustien ou d’une charte de la liberté.

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