Le Royaume-Uni semble prêt à restituer sa « dernière colonie africaine »
Les Chagossiens doivent être entendus dans les négociations entre le Royaume-Uni et Maurice concernant la propriété de l’archipel des Chagos.
Est-ce la fin du long différend concernant les îles Chagos dans l’océan Indien ? Pendant des décennies, la Grande-Bretagne a affirmé qu’elle était la propriétaire légitime de ce qu’elle appelait le Territoire britannique de l’océan Indien (BIOT).
Mais Londres semble avoir fait volte-face le 3 novembre 2022 lorsque le ministre des Affaires étrangères, James Cleverly, a annoncé que le Royaume-Uni avait entamé des négociations avec Maurice « sur l’exercice de la souveraineté » sur « l’archipel des Chagos/BIOT » et que le début de l’année 2023 devrait voir cette question résolue.
L’archipel des Chagos est composé d’une soixantaine d’îles dans l’océan Indien, à environ 2 000 km au nord de Maurice et à seulement 1 000 km au sud des Maldives. Pourtant, l’archipel faisait autrefois partie de ce qui était alors la colonie britannique de Maurice, et ce jusqu’en 1965, date à laquelle la Grande-Bretagne l’a acheté à Maurice, juste avant l’indépendance de cette dernière en 1968.
Ce rachat avait pour objectif de permettre aux États-Unis de construire une base militaire sur Diego Garcia, la plus grande île des Chagos. Washington avait exigé que l’ensemble de l’archipel, y compris Diego Garcia, soit inhabité. La Grande-Bretagne — apparemment en échange d’une remise de 14 millions de dollars sur les missiles américains Polaris — a donc déplacé de force tous les Chagossiens vers Maurice, les Seychelles et le Royaume-Uni.
Londres a changé d’avis, bien que le contenu et l’avancement des négociations restent secrets
Lésés, les Chagossiens se battent depuis lors pour être autorisés à rentrer chez eux. Ils souhaitent également bénéficier d’une aide au retour et demandent des réparations pour avoir été privés de leur patrie pendant plus de 50 ans.
Un rapport de l’ONG Human Rights Watch (HRW) publié le mois dernier accuse le Royaume-Uni et les États-Unis d’avoir commis des « crimes contre l’humanité » à l’encontre du peuple des Chagos. Dans ce rapport, HRW appelle ces deux pays à lancer des enquêtes complètes et équitables pour établir les responsabilités.
Le rapport, qui qualifie les Chagos de « dernière colonie britannique d’Afrique », note que le Royaume-Uni a, au fil des ans, versé de petites indemnités compensatoires à certains Chagossiens réinstallés à Maurice. Toutefois, il affirme que le Royaume-Uni est loin d’avoir indemnisé pleinement tous les insulaires déplacés. L’ONG appelle Londres à s’en acquitter sans plus tarder.
Jusqu’à présent, la Grande-Bretagne avait adopté une position à contre-courant de celle de la communauté internationale. La Cour internationale de justice dans son avis du 25 février 2019 et la résolution 73/295 de l’Assemblée générale des Nations unies ont clairement indiqué que l’archipel des Chagos faisait partie intégrante du territoire de l’État mauricien. La Grande-Bretagne a rejeté l’avis de la Cour et la résolution de l’Assemblée générale qui exigeaient qu’elle abandonne les Chagos d’ici novembre 2019, s’attirant ainsi les foudres de Maurice, de l’Union africaine et d’autres acteurs du différend.
Maurice et les Chagossiens ne sont pas d’accord au sujet de l’île Diego Garcia
Aujourd’hui, Londres semble avoir changé d’avis, bien que le contenu et le déroulement des négociations restent secrets. Cependant, de nombreuses questions subsistent, notamment en ce qui concerne les divergences éventuelles entre les intérêts de Maurice et ceux des Chagossiens.
Le député mauricien Muhammad Reza Cassam Uteem, membre du Mouvement militant mauricien (d’opposition), a déclaré à ISS Today qu’il pensait que le Royaume-Uni prévoyait d’organiser un référendum auprès des Chagossiens dispersés dans le monde. Ce référendum consisterait à leur demander si l’archipel des Chagos devait rester britannique, être restitué à Maurice ou devenir indépendant. Il a ajouté que Maurice, considérant que sa souveraineté sur les Chagos était un point « non négociable », a catégoriquement rejeté la possibilité d’un tel référendum.
Maurice a toutefois admis que la plupart des Chagossiens, s’ils avaient le choix, opteraient pour le maintien au sein de la Grande-Bretagne, simplement parce que le Royaume-Uni a plus de ressources à offrir.
Milan Meetarbhan, expert constitutionnaliste et ancien ambassadeur mauricien auprès des Nations unies, appartenait auparavant à l’équipe juridique de Maurice chargée de défendre cette question. Il a déclaré à ISS Today qu’il n’y avait eu aucune mention officielle d’un quelconque référendum. Selon lui, le Royaume-Uni aurait pu évoquer cette possibilité comme moyen de pression dans les négociations.
Le Royaume-Uni voudrait résoudre ce conflit par un dispositif de sécurité plus large dans l’océan Indien
Néanmoins, il a précisé que l’État mauricien était réticent à utiliser le terme de « peuple des Chagos », comme le fait très explicitement HRW dans son rapport, car cela impliquait que les Chagossiens avaient un droit à l’indépendance. Interrogé sur l’existence de différences significatives entre les intérêts de Maurice et ceux des Chagossiens dans cette affaire, il a indiqué qu’il n’y avait pas d’intérêt unique du côté des Chagossiens, tant ils étaient divisés sur cette question. Il a ajouté que de nombreux Chagossiens semblaient s’être installés à Maurice.
Une partie de ces derniers pourrait souhaiter retourner aux Chagos, mais il se demande si c’est une option viable. « Je ne les vois pas vraiment quitter l’État mauricien. [Bien qu’il s’agisse] d’une question forte au plan politique et émotionnel, je ne vois pas vraiment cette nouvelle génération, qui a vécu dans un [monde] totalement différent, vouloir retourner là-bas et repartir de zéro, parce qu’il n’y a aucune activité économique sur les autres îles de l’archipel (à l’exception de Diego Garcia). Mais je peux comprendre pourquoi ils l’ont toujours demandé. Il s’agit d’un intérêt véritable. »
Il existe également des divergences entre Maurice et les Chagossiens au sujet de Diego Garcia. L’État mauricien a clairement indiqué que s’il récupérait l’archipel des Chagos, il serait prêt à prolonger le bail de la base militaire américaine. Mais il a également laissé entendre que les Chagossiens seraient autorisés à retourner sur les autres îles de l’archipel, à l’exclusion de Diego Garcia. Or, les personnes originaires de cette île insistent sur leur droit d’y retourner.
Meetarbhan pense que le Royaume-Uni pourrait chercher à résoudre le conflit de souveraineté avec Maurice dans le cadre d’un dispositif de sécurité plus large concernant cette région stratégique de l’océan Indien. Il note que, dans sa déclaration du 3 novembre 2022, Cleverly a, pour la première fois, reconnu l’intérêt de l’Inde pour cette question, en y ajoutant une dimension sécuritaire. Il a déclaré qu’un accord permettrait au Royaume-Uni et à Maurice de renforcer considérablement leur coopération en matière de sécurité dans l’océan Indien, en travaillant avec des alliés clés dans la région.
Intégrer la restitution de l’archipel des Chagos à Maurice dans un ensemble de mesures de sécurité plus large incluant les États-Unis et l’Inde pourrait être une tactique de Londres pour sauver la face et éviter de donner l’impression de reculer, comme l’a suggéré Meetarbhan. Cela permettrait aussi de ne pas créer de précédent pour d’autres situations similaires comme celles des Malouines et de Gibraltar.
Cela pourrait également servir de couverture à Maurice, qui a donné des territoires aux États-Unis – et à l’Inde, à laquelle Maurice semble avoir secrètement cédé les îles Agaléga situées à 1 000 km au nord – à des fins militaires. Uteem note que l’Inde est en train de s’allier à Maurice dans sa revendication contre les Maldives concernant sa juridiction maritime sur les eaux autour des îles Chagos.
Il ressort clairement que les intérêts de Maurice et des Chagossiens divergent. L’insistance de HRW pour que les Chagossiens soient pleinement consultés dans les négociations sur l’avenir de leur patrie est donc valable.
Cependant, la déclaration de Cleverly, tout en mentionnant que l’objectif des négociations sera de « résoudre toutes les questions en suspens, y compris celles relatives aux anciens habitants de l’archipel des Chagos », indique clairement qu’ils ne font pas partie des négociations formelles.
Le référendum présumé auquel Uteem fait référence n’est peut-être pas le meilleur moyen de leur demander leur avis. Cependant, il est difficile de justifier le fait que les Chagossiens ne soient pas impliqués de manière plus formelle dans les négociations. Après tout, ils constituent la principale partie lésée dans cette triste saga.
Peter Fabricius, consultant, ISS Pretoria
Image : © CPA Media Pte Ltd / Alamy Stock Photo
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