Fonds « pertes et dommages » : une urgence face aux inondations en RDC et au Rwanda
Face aux destructions, l’aide humanitaire est insuffisante. Les populations ont besoin d’un soutien à long terme pour se relever et se reconstruire.
En mai 2023, des pluies torrentielles ont provoqué des inondations et des glissements de terrain qui ont fait des centaines de victimes et emporté des villages entiers en République démocratique du Congo (RDC) et au Rwanda. Au moins 438 personnes sont mortes dans la province du Sud-Kivu en RDC. Environ 20 000 personnes ont été touchées et 5 000 autres sont toujours portées disparues. Les inondations ont endommagé ou détruit 3 000 maisons, ainsi que des écoles, des hôpitaux et certains réseaux de services publics.
Dans le village de Nyamukubi, les trois quarts des habitations ont été emportées. Les routes ont été détruites ou sont impraticables, bloquant les opérations de secours. Les autorités s’inquiètent des conséquences sanitaires dues à la contamination et la stagnation des eaux.
Au Rwanda, il y a eu 130 morts. Des milliers de personnes ont été déplacées et 5 000 maisons détruites, ainsi que des routes, des ponts et un hôpital. L’ampleur des inondations, habituelles à cette saison dans la région, est exceptionnelle.
Le changement climatique est à l’origine de catastrophes de plus en plus fréquentes et importantes dans toute l’Afrique. Selon le Programme des Nations unies pour le développement, depuis 2000, le nombre de sinistres liés à des inondations a augmenté de 134 % et leur durée s’est allongée de 29 %. Selon l’université de Yale, l’Afrique a connu au cours de l’année écoulée cinq des 30 catastrophes météorologiques les plus meurtrières du continent depuis 1900.
En 2022, l’Afrique a connu cinq de ses 30 désastres météorologiques les plus meurtriers
En mars 2023, la violence du cyclone Freddy a dépassé Idai (2019), tuant 1 434 personnes. En 2022, l’Ouganda et la Somalie ont enduré un épisode de sécheresse extrême (respectivement 2 465 et 43 000 morts), et l’Afrique de l’Ouest (876 morts) et l’Afrique du Sud (544 morts) ont subi de graves inondations. Les inondations au Rwanda et en RDC sont la sixième catastrophe la plus meurtrière de l’année écoulée.
Si l’aide humanitaire et la réduction des risques de catastrophe ont un rôle important car elles permettent de soutenir les populations, ces dernières sont souvent laissées seules face aux efforts de reconstruction. Elles ont besoin d’un financement et de mécanismes dédiés aux pertes et dommages.
La majeure partie du financement de la lutte contre le changement climatique est consacrée à l’atténuation des risques (freiner ou stopper le changement climatique) et environ un tiers à l’adaptation (aider les populations à faire face aux conséquences du changement climatique). Les pertes et dommages constituent un volet spécifique qui intervient « au-delà de l’adaptation », lorsque certaines répercussions excèdent la capacité d’adaptation des populations, en raison d’un manque de moyens financiers ou de solutions viables. Les pertes et dommages sont d’une importance vitale pour les pays pauvres qui n’ont pas les moyens de reconstruire plus solidement.
L’un des résultats les plus remarquables de la conférence des Nations unies sur le changement climatique de 2022, qui s’est tenue en Égypte, a été la création d’un fonds pour les pertes et dommages. Pendant de nombreuses années, les pays riches s’y sont opposés, craignant qu’il n’ouvre la voie à une responsabilité juridique.
Les pertes et dommages sont essentiels pour les pays pauvres qui n’ont pas les moyens de reconstruire
Certains bailleurs de fonds, dont le Danemark, la Belgique, l’Allemagne, l’Écosse et l’Union européenne, ont pris des engagements modestes, mais du moins significatifs. Un comité transitoire travaille à l’élaboration de la structure, des objectifs et des opérations du fonds qui devrait être lancé lors de la COP28 qui se tiendra à Dubaï en novembre 2023. La tâche de ce comité est pour le moins ardue.
À l’heure actuelle, il n’existe aucune définition de ce qui constitue une perte ou un dommage liés au climat. Certains les définissent comme des impacts sur lesquels des mesures d’atténuation, d’adaptation, entre autres, n’ont pas d’effet. Le terme « dommage » fait référence à ce qui peut être réparé ou récupéré, comme des bâtiments, des ponts ou des récoltes. La « perte » désigne ce qui ne peut être rétabli, comme la vie, les liens sociaux ou la biodiversité.
Le comité doit décider des modalités de fonctionnement du fonds. Qui recevra des financements ? Quels types de projets seront soutenus et comment obtiendront-ils les financements ? Comment éviter les écueils des précédents programmes d’aide qui n’ont pas permis aux communautés de devenir moins dépendantes et plus résilientes ? Les bailleurs de fonds doivent également s’abstenir de réaffecter au changement climatique des sommes déjà allouées au développement ou à l’adaptation.
Les pertes économiques liées au changement climatique dans les seuls pays en développement sont estimées à 580 milliards de dollars US d’ici à 2030 et à 1,8 billion de dollars US d’ici à 2050. Elles sont plus faciles à quantifier que les pertes non économiques.
Il n’existe pas de définition précise des termes « perte » ou « dommage » liés au climat
Selon un rapport publié en 2022 par le groupe du V20, qui regroupe 58 pays pauvres et vulnérables et auquel appartiennent la RDC et le Rwanda, les pays du V20 auraient perdu un cinquième de leurs richesses au cours des deux dernières décennies en raison du changement climatique. Le montant total du préjudice s’élève à environ 525 milliards de dollars US. Les États les plus exposés ont perdu 51 % de la croissance de leur PIB depuis 2000. De l’avis général, les pays et les populations vulnérables devraient être prioritaires, mais mesurer et classifier la vulnérabilité constitue un exercice complexe et non scientifique.
Comment le fonds abordera-t-il la question de la mobilité ? La migration, les déplacements, l’immobilité et la relocalisation planifiée sont des concepts qui relèvent tous de la mobilité humaine, mais qui sont souvent utilisés de manière ambiguë. Les discussions à ce sujet se sont concentrées sur le cadre visant à « éviter, minimiser et remédier » aux déplacements forcés.
Les déplacements forcés entraînent une série de pertes d’ordre social et environnemental, notamment en ce qui concerne les moyens de subsistance, les liens sociaux, les perspectives, la sécurité et l’accès à la nourriture, à l’eau, à l’éducation et aux soins de santé. Ces pertes sont difficiles à quantifier, mais elles ont des effets considérables et durables sur les personnes déplacées.
Celles-ci se retrouvent souvent dans des lieux à haut risque et sont exposées à un risque élevé de déplacement secondaire. Les systèmes d’évaluation post-catastrophe ne tiennent compte ni des effets en cascade et à long terme ni des déplacements à évolution lente pour lesquels il n’existe aucune déclaration d’urgence ou de système de suivi et d’évaluation. Pour éviter les déplacements forcés, il faut faciliter les déplacements sûrs et volontaires. Les personnes en mesure de prendre elles-mêmes la décision de se déplacer s’en sortent mieux que celles qui s’y sentent forcées.
Au Rwanda et en RDC, les populations ont besoin d’une meilleure adéquation entre l’aide humanitaire à court terme et la planification et le financement à long terme de la reconstruction, afin de pouvoir faire face aux effets du changement climatique.
Les populations touchées doivent déterminer si elles peuvent retourner chez elles, reconstruire et vivre en toute sécurité, et si oui, de quelle manière. Il leur appartient également de décider si la réinstallation planifiée et la compensation sont les seules options envisageables. Elles ont besoin de financements pour construire des infrastructures résistantes au changement climatique, de microfinancements pour rebâtir des moyens de subsistance respectueux de l’environnement et d’un système d’assurance pour les cultures vulnérables au changement climatique.
Le financement des pertes et dommages, combiné à l’aide humanitaire, à la gestion des risques de catastrophe, à l’adaptation au climat et à un système d’assurance, forme une palette de solutions de financement pour aider les communautés à se reconstruire sur des bases plus solides.
Aimée-Noël Mbiyozo, consultante, chercheure principale, migrations, ISS
Image : © Glody Murhabazi/AFP
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