Europe-Afrique : amorcer un nouveau rapport sous l'ère Trump ?
Face à une nouvelle vague de repli sur soi des États-Unis, les décideurs européens devraient se rapprocher de l'Afrique.
La réélection du président des États-Unis, Donald Trump, marquée par le protectionniste, envoie des ondes de choc dans la diplomatie mondiale. Les alliances traditionnelles sont mises à l'épreuve et l'Europe doit faire des choix.
Pour contrer le repli sur soi américain, les décideurs européens devraient rechercher un rapprochement significatif avec l'Afrique. La logique est claire : les liens historiques, la proximité géographique et les relations commerciales entre les deux continents constituent une base solide. Toutefois, les échanges avec les pays sous-développés, la pénurie de talents en Europe et le retard technologique de l'Afrique rendent cette relation difficile.
Depuis la pandémie du COVID-19, la dynamique du commerce mondial a été remodelée par la délocalisation à proximité, la relocalisation et la relocalisation chez les pays amis, chacun cherchant à préserver ses intérêts stratégiques et à « réduire les risques » sur ses chaînes d'approvisionnement en cas de perturbations. L'accès à l'énergie et aux minerais essentiels est une priorité absolue, les abondantes ressources de l'Afrique devenant stratégiques.
Cependant, le professeur David Luke, de la London School of Economics, a déclaré à ISS Today que les relations commerciales entre l'Europe et l'Afrique étaient bien en deçà de leur potentiel. Un fardeau historique, une inertie politique et le manque de volonté d'aborder les problèmes contemporains ont fait que les rapports entre les deux parties n'ont pas évolué comme escompté. Pourtant, ces différends offrent également l'occasion de les relancer.
Avec une approche pragmatique et collaborative, l'Europe peut servir de contrepoids aux pratiques extractives de la Chine et au protectionnisme de Trump, en s’offrant aux États africains comme partenaire fiable et à long terme en Occident.
L'Europe peut être un contrepoids aux politiques extractives de la Chine et au protectionnisme de Trump
Cela est particulièrement important, car le mécontentement grandit en Afrique face aux pratiques commerciales de la Chine, qui privilégie l'extraction de matières premières sans valeur ajoutée locale importante. L'Europe est confrontée aux mêmes problèmes de surcapacité et de commerce déséquilibré que la Chine, et peut former un front uni avec l'Afrique pour y faire face.
Pour relancer ses relations avec l'Afrique, l'Europe doit procéder à plusieurs changements de politique.
Premièrement, elle doit équilibrer les termes de l'échange. L'amélioration de l'accès au marché pour les marques africaines, l'assouplissement des barrières non tarifaires, la suppression des subventions agricoles de l'Union européenne (UE) et la reconnaissance des indications géographiques africaines permettraient de créer un partenariat plus juste et plus équitable.
Deuxièmement, l'Europe doit soutenir activement la zone de libre-échange continentale africaine, en s'appuyant sur sa propre expérience en matière d'intégration pour aider à catalyser la cohésion économique de l'Afrique.
Troisièmement, la tendance de l'Europe à la réglementation excessive — évidente dans des politiques telles que le mécanisme d'ajustement de la taxe carbone aux frontières, les lois strictes sur le transport maritime sans carbone et la déforestation — doit être modérée. Ces mesures risquent de freiner la croissance de l'Afrique, surtout si l'on tient compte de la marge de manœuvre budgétaire limitée de nombreux pays africains.
Quatrièmement, l'Europe doit accroître ses engagements financiers en faveur des infrastructures en Afrique. En relançant l’initiative décevante du Global Gateway, l'Europe peut soutenir des projets qui améliorent les connexions, réduisent les coûts de production et libèrent le potentiel commercial de l'Afrique.
L'inertie de l'UE et les forces politiques de droite menacent tout rapprochement avec l’Afrique
Cinquièmement, et c'est peut-être le point le plus important, les décideurs politiques doivent faire preuve d'un leadership et d'une vision solides. Sont concernés notamment les poids lourds continentaux influents que sont la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen et le président de la Commission de l'Union africaine (UA), Moussa Faki Mahamat.
Il est certes plus facile de parler que d’agir. L'inertie bureaucratique de l'UE et la montée de l'influence des forces politiques de droite menacent tout rapprochement important.
Du côté africain, les préoccupations nationales et le manque d’enthousiasme dans l'engagement avec les homologues européens exacerbent le défi. Priyal Singh, chercheur principal à l'Institut d’études de sécurité, explique que de nombreuses capitales européennes sont frustrées par le fait que leurs investissements en Afrique ne sont pas suffisamment « récompensés » ou reconnus par les partenaires africains. Il précise que d'autres acteurs, comme la Russie, semblent en tirer des bénéfices disproportionnés.
La mise en place d'un partenariat durable nécessitera des efforts audacieux et coordonnés de la part des deux parties — un défi de taille, mais un impératif pour la prospérité mutuelle.
Les économies européennes sont confrontées à une crise démographique : le vieillissement des populations et la baisse des taux de natalité menacent la viabilité économique à long terme. L'immigration, notamment en provenance d'Afrique, est essentielle pour combler les pénuries de main-d'œuvre, en particulier dans les secteurs peu qualifiés qui sont le moteur de la croissance économique. Pourtant, l'Europe est de plus en plus hostile à l'immigration et les discours de droite alimentent le ressentiment à l'égard du multiculturalisme.
Ce paradoxe politique devient de plus en plus intenable. Les économies européennes dépendent des talents africains pour soutenir leur croissance, mais la montée de la xénophobie et les politiques d'immigration restrictives ferment la porte à la main-d'œuvre dont elles ont vraiment besoin.
L'Europe peut contribuer à intégrer l'Afrique dans l'économie numérique mondiale
La perception d'un afflux de migrants sans papiers et peu qualifiés alimente le populisme de droite, menace la cohésion sociale et incite à des contrôles d'immigration encore plus stricts. Cette situation risque à son tour d'entraver la migration légale des travailleurs africains qualifiés.
Entre temps, l'Afrique est confrontée à une fuite des cerveaux. Au Nigeria, par exemple, on assiste à son accélération depuis la récession économique provoquée par la pandémie, un phénomène appelé « Japa ». Les talents vont à la recherche de devises plus fortes et de meilleures opportunités à l’étranger.
En parallèle, les coupes budgétaires, les pressions fiscales et le changement climatique exacerbent l'insécurité dans toute l'Afrique et favorisent les migrations clandestines. Compte tenu de sa proximité géographique, une grande partie de ce mouvement se déverse en Europe, créant ainsi de nouvelles tensions politiques. Pour relever ces défis interdépendants, l'Europe doit repenser ses politiques migratoires.
Rachel Rizzo, membre du Centre Europe de l'Atlantic Council, a déclaré à ISS Today que les pays les plus exposés, comme l'Italie, adoptaient une ligne beaucoup plus dure à l'égard de l'immigration en provenance d'Afrique, tout en appliquant de nouvelles politiques telles que le plan Mattei. Ce plan vise à transformer l'Italie en une plaque tournante énergétique entre l'Afrique du Nord et l'Europe.
Elle précise que les deux questions sont liées et qu'il sera donc intéressant d'observer, dans d'autres pays européens, comment la « gestion des migrations » commence à se fondre dans des politiques économiques et commerciales plus larges à l'égard de l'Afrique.
Le paysage numérique africain se trouve à un tournant décisif. Avec une population et une base de consommateurs en augmentation, le potentiel du continent en tant que marché technologique est indéniable. Cependant, ses infrastructures et ses compétences numériques restent sous-développées, ce qui le rend vulnérable à l'exploitation dans la course mondiale à la technologie dominée par les États-Unis et la Chine.
Alors que les États-Unis dominent le secteur des logiciels et la Chine celui du matériel, l'Europe a l'occasion de se distinguer en tant que partenaire de confiance de l'Afrique. En soutenant le développement de l'infrastructure numérique en Afrique et la formation des compétences, l'Europe peut contribuer à intégrer l'Afrique dans l'économie numérique mondiale dans des conditions plus équitables.
La collaboration dans le domaine des technologies émergentes telles que l'intelligence artificielle offre des avantages mutuels : elle garantit la participation de l'Afrique tout en la protégeant contre l'exploitation et la surenchère des puissances mondiales.
Mandira Bagwandeen, de l'université de Stellenbosch, souligne l'importance de projets tels que le centre UA-UE pour le numérique au service du développement. Elle note qu'ils « ont contribué à approfondir les collaborations entre les deux régions et à renforcer les réseaux entre les différents acteurs des secteurs numériques africains et européens ».
Elle ajoute que « grâce au dialogue, des échanges et des ateliers de haut niveau, le projet a facilité les transferts de connaissances et de technologies, contribuant ainsi au développement et à la transformation numériques de l'Afrique ».
Ces initiatives démontrent le potentiel de l'Europe à soutenir les ambitions numériques de l'Afrique. Toutefois, les programmes d'innovation UE-Afrique doivent être revitalisés afin de créer des opportunités tangibles pour les entrepreneurs et les entreprises africaines.
Les structures réglementaires solides de l'Europe, comme le règlement général sur la protection des données, la placent en bonne position pour défendre la souveraineté numérique de l'Afrique, en l’aidant à protéger ses données et son infrastructure numérique contre les pratiques d'exploitation.
Les enjeux pour l'Europe et l'Afrique ne pourraient être plus importants. Une Afrique dynamique sur le plan économique ouvre d'immenses perspectives à l'Europe, qu'il s'agisse de nouveaux marchés, d'importations meilleur marché ou d'une offre régulière de main-d'œuvre susceptible de compenser le déclin démographique. En revanche, l'échec économique de l'Afrique exacerberait les défis de l'Europe, notamment les pressions migratoires et la stagnation économique.
Pour réparer les relations entre l'UE et l'Afrique, il ne suffit pas de changer de politique, il faut aussi changer de ton. L'engagement de l'Europe envers l'Afrique a souvent été entaché d'attitudes condescendantes et de signes de vertu.
Les dirigeants africains, de plus en plus sûrs d'eux et stratèges, rejettent les notions dépassées de charité et exigent de véritables partenariats. Le ressentiment persistant concernant le stock de vaccins, la guerre en Ukraine, la pratique de deux poids, deux mesures et les interdictions de voyager n'ont fait que creuser le fossé.
L'avenir de l'Europe est inextricablement lié à celui de l'Afrique. Une relation redimensionnée, fondée sur le respect mutuel et des objectifs partagés, est tout aussi bénéfique et opportune dans le contexte actuel. Il s'agit également d'une stratégie efficace de réduction des risques pour les deux continents, compte tenu des défis auxquels ils sont confrontés.
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