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Les futures grandes migrations vont remodeler la démographie mondiale

Au lieu de renforcer les frontières, l’Afrique et l’Occident devraient négocier des accords sur les travailleurs qualifiés pour endiguer l’immigration.

L’avenir sera inévitablement marqué par des migrations de masse, inégalées depuis plusieurs générations, voire plusieurs siècles. Ce phénomène ne se produira pas dans les deux prochaines années, mais s’accélérera progressivement, de sorte qu’au milieu du siècle, des centaines de milliers de personnes dans le monde émigreront probablement chaque année.

Ces migrations à grande échelle résulteront de facteurs d’attraction et de répulsion. Les effets de répulsion seront causés par le changement climatique et le manque d’opportunités dans des régions telles que l’Afrique et le Moyen-Orient. Les facteurs d’attraction seront liés au déclin démographique et à la demande de main-d’œuvre de pays comme l’Allemagne, la Chine, la Russie, la Pologne, le Japon et la Corée du Sud.

L’effet de répulsion du changement climatique est déjà manifeste dans les régions abritant les pays les plus pauvres du monde, comme la Corne de l’Afrique et l’Afrique de l’Ouest, et il est exacerbé par le dénuement.

Selon les recherches du programme Afriques futures et innovation de l’Institut d’études de sécurité, une croissance de plus de 15 % par an est nécessaire pour éradiquer l’extrême pauvreté en Afrique d’ici le milieu du siècle. La Chine et les Tigres asiatiques ont atteint des taux de croissance soutenus proches de 10 % par an, taux relativement modeste. À une époque où la croissance mondiale ralentit, l’Afrique pourrait difficilement avoisiner un tel taux. Pourtant, plusieurs économies africaines auront une pléthore de personnes éduquées mais peu d’opportunités d’emploi dans le secteur formel.

Comme l’indiquent nos prévisions d’emploi à long terme, de nombreux Africains survivront dans l’économie informelle avec un taux de pauvreté toujours supérieur à celui des autres régions, mais leur situation s’améliorera progressivement. Ils chercheront des opportunités à l’étranger et finiront par en trouver lorsque la demande de main-d’œuvre augmentera ailleurs. Cette situation se produira même si les gouvernements africains créent des emplois, limitent l’immigration et redynamisent leurs économies.

L’effet d’attraction découlera du déclin démographique de régions telles que l’Europe, où le niveau de vie, la liberté et les infrastructures sont élevés. Cette année, la population de 29 pays, dont la Finlande, la Corée du Sud, l’Allemagne, la Russie, le Japon et l’Ukraine, est en déclin absolu.

L’Afrique disposera d’une pléthore de personnes éduquées et de peu d’emplois dans le secteur formel

En 2022, l’Europe comptait déjà six millions d’emplois vacants. La technologie peut compenser la baisse de la population active en pourcentage de la population totale, mais l’intelligence artificielle ne peut pas couper les cheveux, conduire les camions à ordures et s’occuper des personnes âgées.

Les pénuries de main-d’œuvre dans les pays riches d’Europe et d’ailleurs auront un effet d’attraction irrépressible. Dans l’Union européenne, 112 millions de personnes sont actuellement âgées de plus de 65 ans, soit environ 22 % de la population totale. D’ici 2050, ce chiffre atteindra 142 millions (30 % de la population).

Aucun investissement dans des frontières rigides ou d’autres formes de contrôle ne fera le poids face à la demande massive de soins aux personnes âgées, et au déficit de main-d’œuvre en Europe, qui passera de 251 millions à 228 millions. Les difficultés liées à un contrôle plus strict des frontières sont évidentes dans la manière dont les États-Unis, l’Italie, l’Espagne et d’autres peinent à contenir le flux actuel.

D’ici à 2050, la population de 64 pays diminuera chaque année. En Chine, cette tendance commencera dès 2026. À la fin du siècle, le nombre de pays dont la population diminue aura plus que doublé pour atteindre 147 des 188 pays de notre base de données, dont l’Inde (à partir d’environ 2057) et les États-Unis (à partir d’environ 2082).

La plupart des pays dont la population augmentera d’ici 2100 sont en Afrique, excepté le Canada et l’Australie (en raison des taux élevés de migration intérieure attendus) et l’Afghanistan, pays pauvre, dont le taux de fécondité reste élevé. Les seuls pays à forte démographie dont la population continuera d’augmenter sont le Nigeria (quatrième population mondiale d’ici 2100) et la République démocratique du Congo (sixième population mondiale).

Le monde devra prendre en compte les ramifications de ces changements et élaborer des stratégies appropriées. À court et à moyen terme – avant que la pénurie de main-d’œuvre dans les pays de destination ne s’accentue – l’augmentation des flux migratoires polarisera les électorats et dynamisera les mouvements nationalistes et nativistes. On le constate déjà aux États-Unis, en Allemagne, au Royaume-Uni, en France et en Suède entre autres.

L’effet d’attraction de la pénurie de main-d’œuvre dans les pays riches va créer un élan irrépressible

À terme, dans les pays en déclin démographique qui n’attirent pas les migrants, les zones rurales et urbaines seront peu peuplées et la demande de logements supplémentaires sera faible, voire inexistante. Les employeurs auront du mal à recruter du personnel. Les conséquences dans les pays autoritaires comme la Chine, la Corée du Nord et la Russie sont moins évidentes et pourraient favoriser la stagnation économique et la régression.

Les pays riches et démocratiques avec des flux migratoires importants seront confrontés à des problèmes culturels, notamment des tensions sociales si les migrants y sont mal intégrés. Par ailleurs, les départs massifs de personnes qualifiées et semi-qualifiées pourraient saper les économies des pays d’origine. L’effet de la fuite des cerveaux mine actuellement les professions de santé au Nigeria et au Ghana.

Au cours des siècles précédents, lors des migrations à grande échelle, notamment de l’Europe vers les États-Unis, une chaîne de valeur logistique était mise en place pour traiter les flux en toute légalité. Il pourrait en être de même avec des flux provenant cette fois de l’Afrique.

Au lieu de renforcer leurs frontières, les gouvernements africains et occidentaux devraient négocier des accords bilatéraux formels grâce auxquels l’Afrique fournirait des travailleurs qualifiés à l’Europe. L’Europe pourrait ainsi combler son manque de compétences, tandis que les gouvernements africains bénéficieraient de fonds pour former davantage de personnes.

C’est pourquoi la Banque mondiale encourage la gestion stratégique des migrations par une intégration effective de la migration de la main-d’œuvre dans la stratégie de développement des pays d’origine des migrants. Les pays de destination doivent sélectionner les migrants dotés des compétences répondant à leurs besoins en main-d’œuvre. L’alternative – la migration dans le cadre de la criminalité organisée – est tout simplement trop effroyable pour être envisagée.

Cet article a été publié pour la première fois dans Africa Tomorrow, le blog de l’ISS sur l’avenir de l’Afrique.

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