Éthiopie : l’urgence d’un dialogue national crédible et inclusif !

La première phase du dialogue se déroule sans opposition, mais celui-ci risque de ne pas aboutir à un « consensus national ».

En décembre 2021, au plus fort de la guerre entre le gouvernement fédéral éthiopien et les forces tigréennes, les autorités ont mis en place une commission de dialogue national chargée de résoudre les divergences d’opinion sur les questions fondamentales et de forger un « consensus national ». La Commission dispose de trois ans pour atteindre ces objectifs.

En février 2022, le Parlement fédéral a nommé 11 commissaires, et, en mai 2023, un conseil consultatif national a été instauré. La commission entre dans l’une des phases capitales du dialogue national : la sélection des participants et l’élaboration de l’ordre du jour.

Pour aborder les principales causes de conflit en Éthiopie, le processus doit impliquer des acteurs clés de tous bords politiques, est-ce bien le cas ?

Afin d’établir la liste des participants qui choisiront les points à l’ordre du jour de la plénière nationale, la Commission a réparti les Éthiopiens en neuf groupes. Il s’agit des « personnes ayant des moyens de subsistance perceptibles », des femmes, des jeunes, des organisations d’entraide, des dirigeants communautaires, des fonctionnaires, des enseignants, des artisans et des hommes d’affaires.

La sélection des participants ne tient pas compte des principaux facteurs et acteurs du conflit en Éthiopie

Sept organisations de la société civile, organisations communautaires et agences gouvernementales aideront la Commission à identifier 50 représentants parmi les neuf groupes dans chaque woreda (municipalité). En d’autres termes, chaque woreda sera représenté par 450 participants aux conférences de zone du dialogue. Ces participants sélectionneront les points à l’ordre du jour et les représentants aux réunions régionales. Les personnes choisies aux niveaux régional et fédéral participeront à la plénière nationale.

La Commission n’a pas encore attribué de quota ni expliqué sur quels critères les participants régionaux et fédéraux seront retenus. Au moment de la rédaction du rapport de l’Institut d’études de sécurité en novembre 2022, la sélection des participants et de l’ordre du jour était terminée dans six régions et les participants avaient commencé à se réunir à Addis-Abeba.

Cependant, le processus de sélection ne tient pas compte des principaux facteurs et acteurs du conflit en Éthiopie. D’une part, la conceptualisation erronée du point de vue historique et excessivement ambitieuse du dialogue national par le gouvernement en tant qu’ « instrument de résolution des conflits » qui forgerait un « consensus national » n’était pas idéale, comme le rapport de l’ISS l’a mis en évidence.

D’autre part, la Commission a adopté une approche « verticale » dans l’élaboration de l’ordre du jour et la sélection des participants suivant la hiérarchie administrative fédérale (woreda-zone-région-fédéral). Cette approche risque de négliger les principaux acteurs impliqués dans les conflits inter-groupes « horizontaux » et leurs revendications.

Un changement de cap peut éviter au dialogue national de perpétuer l’instabilité

Un changement de cap est nécessaire pour éviter que le dialogue national ne perpétue involontairement l’instabilité au lieu de la réduire. Les ajustements doivent reposer sur une analyse minutieuse des causes profondes et des acteurs à l’origine des divisions ethniques qui attisent les conflits en Éthiopie.

Depuis des décennies, le pays est en proie à la violence entre les prétendants au pouvoir et le gouvernement fédéral. Cette rivalité oppose les Tigréens, les Amhara et les Oromo et représente la dimension verticale du clivage politique. Ces dynamiques se manifestent dans la résistance armée de l’Armée de libération Oromo, du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF) et plus récemment du groupe armé Fano contre le gouvernement fédéral.

Ces affrontements sont aggravés par des conflits ethniques entre groupes au-delà des frontières régionales. On peut citer à titre d’exemple la récente confrontation entre les forces du TPLF et celles de l’Amhara, ainsi que la méfiance et les violences épisodiques à travers les frontières régionales Somali-Afar, qui remontent au régime d’Hailé Sélassié. Ces tensions, exacerbées par la territorialisation des identités à travers la Constitution de 1994, sont devenues les principaux moteurs de l’instabilité depuis 2018. Ce sont ces acteurs que le processus de sélection de la Commission du dialogue national risque d’exclure.

Bien que certaines figures politiques majeures restent impliquées dans les partis politiques, un nombre important d’entre elles opèrent au sein de réseaux informels. Toutefois, la méthode actuelle de sélection des participants exclut ces acteurs informels, ce qui rend peu probable la prise en compte de leurs priorités dans l’ordre du jour du dialogue national.

La société civile auprès de la Commission aura du mal à identifier les acteurs politiques informels

Par ailleurs, les organisations communales et de la société civile chargées d’aider la Commission choisissent les points à inscrire à l’ordre du jour alors que les participants ne sont pas connus pour leur dynamisme et leur indépendance. Elles pourraient donc avoir du mal à identifier les acteurs des réseaux informels ou à inciter l’élite politique à participer au dialogue.

Le gouvernement attribue à juste titre les conflits récurrents en l’Éthiopie aux divisions qui, pendant des siècles, ont privé l’État éthiopien de sa légitimité aux yeux des citoyens. Cependant, l’approche de la Commission sous-estime le rôle des élites politiques ethno-nationales, principalement actives dans le spectre des conflits de dimension horizontale.

En sélectionnant les points à l’ordre du jour et les participants en fonction des structures administratives, le dialogue national pourrait involontairement exacerber les divisions ethniques, provoquant une rupture politique au lieu de parvenir à un consensus national et à une résolution politique.

L’absence d’opposition manifeste au déroulement du processus ne semble pas garantir une résolution adéquate du passé violent de l’Éthiopie ni favoriser un consensus national. Au contraire, cela pourrait refléter l’apathie politique des citoyens et la perte de confiance envers la Commission. Le gouvernement et la Commission devraient s’ouvrir à une révision de l’approche adoptée afin d’assurer un dialogue crédible et inclusif.

Tegbaru Yared, chercheur, analyse de la sécurité dans la Corne de l’Afrique, ISS Addis-Abeba

Image : © Amelia Broodryk/ISS

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