Envisager de meilleures perspectives pour les marins africains
Demain sera la Journée Internationale des Marins, un moment opportun pour que les Etats du Golfe de Guinée révisent les faiblesses de leurs systèmes de transport maritime.
Demain, jeudi 25 juin, le monde célèbre la Journée internationale des gens de mer sous les auspices de l’Organisation maritime internationale (OMI). Le thème de cette année est l’enseignement maritime et vise à sensibiliser les jeunes au métier de marin.
Cet événement devrait être l’occasion pour les États du golfe de Guinée de réexaminer la question de la disparition de leurs armements nationaux qui remonte au milieu des années 1990 où le transport maritime a été libéralisé au niveau mondial. Depuis cette période qui a vu l’abrogation tacite de la convention internationale de 1974 portant code de conduite des conférences maritimes qui instituait une répartition équitable du transport maritime entre pays exportateurs et pays importateurs, la plupart des États africains, et particulièrement ceux du golfe de Guinée, n’ont ni navires ni compagnies de navigation dignes de ce nom.
La principale difficulté de l’Académie consiste à trouver des engagements pour ses élèves, car les pays africains n'ont plus de navires
Pourtant les élèves marins ont l’obligation d’accumuler des temps de navigation dans le cadre de leur formation. Pour obtenir le brevet de capitaine au long cours à l’Académie régionale des sciences et techniques de la mer d’Abidjan (ARSTM) – centre de formation maritime pour les ressortissants des pays francophones du golfe de Guinée – il faut valider sept ans d’études dont trois ans de stage en mer. Les élèves navigants de l’ARSTM ont alors parfois du mal à achever leur cursus et le centre est obligé de réduire les effectifs de son département chargé de la formation des marins.
Le directeur général de l’ARSTM, le lieutenant-colonel Karim Coulibaly, déplore cette situation en affirmant que « la principale difficulté de l’Académie consiste à trouver des engagements pour ses élèves, car les pays africains n'ont plus de navires ». Chaque année, il doit lutter pour trouver des opportunités de stages à ses élèves sur des navires étrangers.
L’académie sœur d’Accra, qui a le statut d’université et forme les ressortissants des pays anglophones du golfe de Guinée, doit, elle aussi, négocier des stages avec des compagnies étrangères pour ses étudiants. Ces deux centres d’excellence sont certes dotés de l’équipement didactique nécessaire, dont des simulateurs pour assurer une formation de qualité, mais leur vrai défi est de garantir des stages embarqués à leurs élèves.
Le bateau est le principal lieu de travail du marin. Sans navire ou armement, celui-ci, quelle que soit sa qualification, se retrouvera sans emploi. Certes, on peut espérer que les nouveaux marins trouvent du travail sur des bâtiments étrangers, la population des navigants dans les pays occidentaux étant de plus en plus attirée par les métiers terrestres. Il n’y a cependant pas de certitude sur le déficit que cette situation pourrait créer en nombre de postes. On ignore également quand il pourrait intervenir.
La solution se trouve dans un partenariat privé-public où l’État prend l’initiative
En outre, les marins africains sont confrontés à la concurrence internationale, notamment à celle des Asiatiques qui dominent le marché et des Européens de l’Est. Par exemple, la Chine et les Philippines fournissaient chacune 10 % de l’effectif mondial des marins, qui se chiffrait à 1,2 million en 2005, au moment où tous les États africains réunis n’en totalisaient que 2 %. Les pays du golfe de Guinée ne devraient pas compter uniquement sur le marché international dont ils n’ont pas le contrôle pour mener des campagnes de formation de marins. Ils devraient eux-mêmes créer un minimum de débouchés grâce à de nouveaux armements et l’acquisition de navires commerciaux.
Les pays africains sont essentiellement des pays exportateurs de matières premières et importateurs de biens d’équipement et d’autres produits finis ou semi-finis. Au-delà des questions de formation et d’emploi, ils gagneraient sur le plan économique à participer au transport maritime généré par leurs commerces extérieurs. La Côte d’Ivoire, par exemple, qui est le premier producteur mondial du cacao avec 40 % de la production mondiale dépend entièrement des armements étrangers pour le transporter vers les marchés internationaux.
Le transport maritime représentant environ 40 % du prix des matières premières et 10 % de celui des biens d’équipement, les pays dont les économies sont extraverties et qui ne possèdent pas de navires perdent cette valeur sur leurs produits.
L’UA devrait encourager ses États membres à faire la part belle à la création d’armements africains
Acquérir des navires commerciaux est aussi une façon pour tout État d’affirmer sa souveraineté puisqu’il lui permet, dans une certaine mesure, de s’affranchir de la dépendance extérieure. Il peut transporter ses propres produits même s’il est en conflit avec des pays propriétaires de navires. Il peut aussi subventionner le transport maritime si, pour une raison quelconque, des armateurs étrangers augmentent le taux de fret au départ et à destination de ses ports. En outre, voir son pavillon flotter sur les océans est un prestige et une fierté pour toute nation.
Tirant les leçons des expériences passées des armements de pays africains dont la disparition est en partie attribuée à une mauvaise gestion, l’idéal serait que l’État se désengage du transport maritime et en laisse l’initiative au secteur privé. Malheureusement, le secteur privé local est encore faible dans la plupart des pays du golfe de Guinée. Aussi, la solution se trouverait-elle dans un partenariat privé-public où l’État prendrait l’initiative. Il ne serait plus l’actionnaire unique ni majoritaire. Il s’associerait des professionnels du secteur privé auxquels il confierait la gestion du transport maritime.
Cette vision s’accorde avec la stratégie africaine intégrée pour les mers et les océans à l’horizon 2050 qui prône une économie bleue pour le développement de l’Afrique. L’Union africaine, qui lancera le 25 juillet prochain la décennie africaine des mers et des océans, devrait encourager ses États membres à faire la part belle à la création d’armements africains. Cela est aussi valable pour la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui met actuellement en œuvre sa stratégie dans ce domaine, incluant dans ses objectifs stratégiques l’enseignement et l’économie maritimes.
Dans ce contexte, la volonté politique est le premier paramètre de réussite. Ainsi, le Sénégal, après le naufrage du Joola en 2002, a pu acquérir trois navires d’une capacité de transport de 200 passagers chacun pour désenclaver la Casamance (Sud du Sénégal) qui est coupée du reste du pays par un fleuve. Les moyens financiers n’ont pas constitué un frein à l’achat de ces bateaux. Tirant les leçons de la mauvaise gestion du Joola, le gouvernement sénégalais a concédé la gestion des nouveaux navires à une société privée.
Les autres pays du golfe de Guinée devraient exprimer cette même volonté en faveur de la création d’armements et de l’acquisition de navires marchands. Procédant ainsi, ils pourraient raisonnablement encourager leurs jeunesses à s’orienter vers la profession de marin. Tout en garantissant du travail à leurs ressortissants, ces pays ajouteraient de la valeur à leurs produits d’exportations et atténueraient leur dépendance extérieure.
Barthélemy Blédé, Chercheur principal, Division Gestion des conflits et consolidation de la paix, ISS Dakar