Enseignements électoraux maliens pour le Burkina et le Niger
Comme précédemment au Mali, le Burkina et le Niger organiseront les élections dans un contexte d’insécurité et de COVID-19
Publié le 10 novembre 2020 dans
ISS Today
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Au Burkina et au Niger, les premiers tours des élections présidentielles et législatives de 2020 se tiendront le 22 novembre et le 27 décembre, respectivement. Les élections locales du Niger sont prévues pour le 13 décembre, et celles du Burkina pour 2021. Ces scrutins auront lieu dans un contexte marqué par l’insécurité et la COVID-19, comme ce fut le cas au Mali pour les législatives de mars et avril derniers.
Cette insécurité pourrait affecter l'organisation des élections, la crédibilité des résultats et la légitimité des élus. Certaines institutions impliquées dans les processus électoraux au Niger et au Burkina, notamment leurs cours constitutionnelles et les commissions électorales, font également l’objet de plus en plus de critiques.
Au Mali, la perte de confiance dans ces institutions avait mené au rejet des résultats promulgués en avril et enclenché une série de manifestations, qui ont conduit à un blocage institutionnel et débouché sur le coup d'État du 18 août 2020.
Sur le plan sécuritaire, le Burkina, le Niger et le Mali partagent des défis similaires. Depuis 2015, leurs frontières communes sont devenues l'épicentre de l'insécurité dans le Sahel, marqué par une recrudescence des attaques terroristes et une intensification des conflits locaux et des activités illicites.
Des terroristes avaient attaqué les agents de la commission électorale au Niger en 2019 pendant la campagne d'inscription
Au cours du premier semestre de 2020, le projet Armed Conflict Location & Event Data a relevé plus de 1 000 incidents violents, dont plus de 46 % ont été enregistrés au Mali, 35 % au Burkina et 17 % au Niger. Les multiples attaques au-delà des zones habituelles d'opération des groupes extrémistes violents révèlent une dégradation de la situation sécuritaire et suscitent des interrogations quant à la capacité des États à sécuriser les processus électoraux en cours.
Les régions du Burkina et du Niger sévèrement touchées par l'insécurité (cliquez sur la carte pour agrandir l'image)
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En juin 2020, un rapport de l’Assemblée nationale burkinabè a proposé de reporter d’une année les élections législatives. Cinquante-deux des 127 députés estimaient qu’il leur serait impossible de battre campagne dans leurs circonscriptions en raison de l’insécurité. Face au refus de la classe politique de reporter le scrutin, l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi portant modification du Code électoral pour introduire la clause dite de force majeure, le 24 août dernier.
Cette disposition prévoit « qu'en cas de force majeure ou de circonstance exceptionnelle [...] entraînant l’impossibilité d’organiser le référendum sur une partie du territoire national ou à l’extérieur, l’élection est validée sur la base des résultats de la partie non affectée par la force majeure ou la circonstance exceptionnelle ».
Ainsi, dans les zones où l’insécurité limiterait, voire empêcherait, la tenue du scrutin, les résultats des bureaux de vote qui auront pu opérer feront foi pour l’ensemble de la circonscription.
C’est aussi sur la base de cette disposition que le 31 octobre, date d'ouverture officielle de la campagne électorale, le Conseil constitutionnel du Burkina a constaté le cas de force majeure dans plusieurs communes de six des 13 régions du pays, soit environ 18 % du territoire national.
Cette décision démontre un certain pragmatisme de la part des autorités, conscientes de la nécessité de ne pas ajouter une crise politique, sous la forme d'un vide institutionnel, à la crise sécuritaire actuelle du pays. Mais elle traduit également une forme d'impuissance des autorités burkinabè et une reconnaissance des limites de leur dispositif sécuritaire.
Plus de 1 000 incidents violents ont été enregistrés au Mali, au Burkina et au Niger au cours du premier semestre 2020
Au Niger, des attaques terroristes ont visé des agents de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) pendant la campagne d'enrôlement, en décembre 2019. Cela a conduit à la suspension de la campagne dans certaines zones de Tillabéry et de Tahoua, deux régions frontalières du Mali fortement touchées par l'insécurité.
Dans la région de Diffa, toujours au Niger, même si des opérations d'enrôlement ont eu lieu, Boko Haram reste une menace pesante, avec des attaques répétées contre les populations civiles et les cibles militaires stratégiques. Les attaques principalement attribuées à l'État islamique dans le Grand Sahara et à Boko Haram se poursuivent dans le pays.
Dans ce contexte, la crise sanitaire due à la pandémie de COVID-19 représente un défi supplémentaire au bon déroulement des processus électoraux, bien que son impact sanitaire dans la région s’est avéré moins grave qu’annoncé. Pour autant, les mesures de lutte contre la maladie, telles que la fermeture des frontières, l'isolement de certaines villes et les couvre-feux, ont affecté la situation socio-politique des pays et considérablement affaibli les populations.
Tant au Burkina qu'au Niger, la pandémie a également affecté le processus électoral, notamment en obligeant les autorités à suspendre les opérations d'enrôlement biométrique du 20 mars au 8 mai à Niamey et du 30 mars au 25 mai dans tout le Burkina. Au Niger, la CENI a évoqué la force majeure liée au contexte sanitaire pour justifier l'impossibilité d'enrôler les électeurs de la diaspora.
Le dialogue est essentiel pour parvenir au consensus le plus large possible sur les conditions des élections
Les leçons de l’expérience du Mali révèlent que la première étape pour faire face à ce contexte difficile consiste à privilégier le dialogue afin de parvenir au consensus le plus large possible sur les conditions de préparation et d'organisation des élections. Au Mali, l’échec des médiations interne et régionale avait exacerbé les tensions entre le gouvernement et l'opposition, créant ainsi une impasse.
Au Niger, la question du vote de la diaspora devrait faire l’objet d’un dialogue menant à un consensus, tout comme au Burkina celle du vote des personnes déplacées et de l’organisation du scrutin dans les zones d'insécurité. Le Burkina pourrait notamment s'appuyer sur les acquis des dialogues politiques passés, comme celui qui s'est tenu en juillet 2019, en créant un cadre permanent similaire au Conseil national du dialogue politique du Niger, élargi à la société civile.
Au Niger et au Burkina, le contexte sécuritaire impose également l’adoption d’un plan inclusif de sécurisation des élections. Ce plan devrait inclure des dispositions pratiques relatives au vote des personnes déplacées internes et à la sécurisation des candidats et de la campagne électorale.
Il s’agit encore d’apprendre de l'exemple malien, riche d'enseignements. Certaines zones des régions du nord et du centre du pays étaient inaccessibles aux candidats pendant les campagnes. Le leader de l'opposition Soumaïla Cissé avait d’ailleurs été enlevé pendant la campagne.
En outre, plusieurs bureaux de vote étaient inopérants en raison de menaces ou d’enlèvements d'électeurs et de membres du personnel électoral. Tous ces facteurs ont contribué à délégitimer davantage les résultats des élections législatives et à plonger le pays dans une impasse politique.
Compte tenu des problèmes majeurs de stabilisation à court et moyen terme, tous les acteurs des processus électoraux au Burkina et au Niger devraient s'abstenir de toute action susceptible d'entraîner une crise politique. Cela passe nécessairement par une approche fondée sur le dialogue et l'inclusion.
Ibrahim Maïga, chercheur principal et Habibou Souley Bako, chercheur boursier, ISS Bamako
Cet article a été réalisé grâce au soutien du Fonds de résolution des conflits du Royaume-Uni, de la Fondation Hanns Seidel et du gouvernement des Pays Bas.
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