Enlèvements contre rançon : un point d'entrée pour le terrorisme au Bénin ?

Le gouvernement doit mettre fin au problème avant que les extrémistes violents ne profitent des enlèvements.

On craint de plus en plus que les enlèvements contre rançon n'ouvrent la voie au terrorisme au Bénin. Ces craintes s'inscrivent dans un contexte de menace déjà grandissante de l'extrémisme violent dans ce pays. Les autorités nationales et les communautés locales redoutent que les enlèvements ne viennent exacerber les défis de sécurité au Bénin et ne constituent un point d'entrée pour les groupes extrémistes violents agissant dans les environs.

Bien que rien ne prouve que les ravisseurs soient liés à des groupes extrémistes violents, ces incidents pourraient cependant être exploités par des terroristes qui opèrent dans des pays voisins comme le Burkina, le Niger et le Nigeria. Les groupes extrémistes violents obtiennent déjà des ressources logistiques et financières dans les États de la côte d'Afrique de l'Ouest.

Entre novembre 2019 et septembre 2020, cinq enlèvements dans les communes du nord et des collines du pays ont été signalés par la presse locale. Ce chiffre pourrait n'être qu'un aperçu de l'ampleur du phénomène des enlèvements au Bénin car les incidents ne sont pas systématiquement signalés aux autorités.

Lieux d'enlèvements au Bénin

Lieux d'enlèvements au Bénin

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La population locale et des organisations de la société civile ont indiqué à l'Institut d'études de sécurité (ISS) que le phénomène avait commencé en 2016 dans la commune de Tchaourou, située dans le département du Borgou, dans le nord du pays. Les interventions de la police en 2020 ont ramené un certain calme dans la zone, mais d'autres communes comme Banikoara, Bantè, Bassila, KonKondji, Kétou, Malanville, Ouèssè, Pèrèrè, Perma, Savè et Ségbana ont été le théâtre d'enlèvements sporadiques.

Selon les communautés locales, les enlèvements contre rançon au Bénin ont suivi l’arrivée des phénomènes de vols armés et de coupeurs de route, observés dans les communes du nord à partir de 2005. Ces attaques seraient notamment dues au manque d'activités génératrices de revenus dans ces zones. Les communautés locales estiment que la mise en place d'unités spéciales de surveillance des frontières en 2015 et la présence accrue de la police dans la région ont conduit les bandits à affiner leur stratégie et à revenir aux enlèvements.

La prolifération des marchés de bétail dans plusieurs communes, en particulier dans le nord, a également entraîné une augmentation des enlèvements. Les transferts d'argent liquide au vu et au su de tous fournissent des cibles faciles aux criminels, qui s'intéressent aussi de près aux déplacements de grands troupeaux de bétail. Ils ciblent les éleveurs dans le but d'obtenir une rançon, qui peut atteindre 11 millions de francs CFA (soit environ 20 000 dollars américains).

Les groupes extrémistes violents obtiennent déjà des ressources logistiques et financières dans les États de la côte d'Afrique de l’Ouest

Les communautés locales soupçonnent des éleveurs transhumants du Bénin, du Burkina et du Nigeria de fomenter des enlèvements dans le pays. Les malfaiteurs ciblent principalement les riches éleveurs locaux ou les personnes impliquées dans des transactions importantes lors des jours de marché de bétail. Les ravisseurs identifient leurs victimes, souvent avec l'appui de la famille, des amis ou des associés de ces dernières. Les victimes sont alors enlevées, soit lors de déplacements, soit à leur domicile, et détenues en forêt.

Certains habitants locaux considèrent les enlèvements contre rançon comme un crime importé. Cette perception est principalement due aux suspicions concernant l'implication d'éleveurs étrangers ainsi qu'à la proximité du Bénin avec le Nigeria, où ce type d'attaque est répandu depuis les années 2000.

En 2021, le gouvernement du Bénin a créé un comité technique chargé de surveiller et de sécuriser les zones de transhumance pastorale et de lutter contre les enlèvements. Ce comité a notamment pour mission de superviser l'application d'une loi de décembre 2019 interdisant les déplacements transfrontaliers de bétail.

Les efforts de la police, souvent menés en collaboration avec les chasseurs et les éleveurs, ont ramené le calme à Tchaourou et abouti à la libération d’otages ainsi qu'à l'arrestation de ravisseurs. Cependant, la police rencontre encore des difficultés pour identifier les propriétaires de téléphones utilisés pour contacter des familles de victimes et exiger une rançon. Il lui est également difficile d'accéder à certaines zones pendant les saisons des pluies. Ces problèmes, conjuguée à la capacité des habitants locaux à contourner l'interdiction de la transhumance transnationale, permettent aux ravisseurs d'agir presque sans entrave.

La collaboration entre la police et les éleveurs pour mettre un terme aux enlèvements pourrait déclencher des conflits intercommunautaires

La persistance des enlèvements contre rançon menace la sécurité et la stabilité sociale du Bénin de trois manières. Premièrement, elle attise les tensions entre les différentes communautés locales dont les Peuls, qui sont accusés d'être impliqués dans les enlèvements.

Toute collaboration entre la police et les chasseurs ou les éleveurs pour mettre un terme aux enlèvements pourrait déclencher des conflits intra et intercommunautaires. En 2014, des officiers de police de certaines localités ont fait appel à des chasseurs Dambanga pour pister et arrêter des coupeurs de route. Au lieu de livrer les suspects à la police, les chasseurs les auraient maltraités ou exécutés. Le recours aux chasseurs soulève donc des préoccupations en matière de droits humains.

Deuxièmement, l'interdiction de la transhumance est peu susceptible de mettre un terme aux enlèvements au Bénin car elle ne remédie pas aux causes profondes du problème. Par ailleurs, elle ne réduira pas le risque que les ravisseurs tournent leur attention vers les communautés autres que celles des éleveurs ou des chasseurs.

Le Bénin doit empêcher les groupes extrémistes violents de nouer des alliances avec les ravisseurs, en particulier dans les zones frontalières

Enfin, les recherches menées par l'ISS dans la région montrent que les groupes extrémistes violents collaborent avec les criminels pour gagner un ancrage et obtenir diverses ressources. Le Bénin doit empêcher les extrémistes de nouer des alliances avec les réseaux de ravisseurs et les bandits, en particulier dans les zones frontalières.

La lutte contre les enlèvements contre rançon au Bénin requiert une approche préventive et proactive. Il faut sensibiliser les éleveurs à la façon de mener leurs activités d'élevage en toute sécurité, et la police doit s'efforcer de gagner la confiance des communautés. La police et les agences de renseignement doivent également s'appuyer sur la technologie pour tracer les communications entre les ravisseurs, la famille et les associés des victimes enlevées.

Des solutions de développement qui profitent à tous sont également nécessaires. Celles-ci doivent mettre l'accent sur les besoins des communautés et remédier aux facteurs qui incitent les personnes à s'impliquer dans la criminalité organisée. Il est également crucial de s'assurer que les mesures de sécurité prises contre les ravisseurs sont conformes aux principes des droits humains, afin d'éviter de rompre la confiance entre les citoyens et l'État.

Michaël Matongbada, chargé de recherche, Bureau régional de l'ISS pour l'Afrique de l'Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad

Cet article a été publié avec le soutien de Open Society Initiative for West Africa (OSIWA) et de la Fondation Hanns Seidel.

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