Élection présidentielle: quels enjeux pour la stabilité en Côte d’Ivoire?
L'absence de violence à grande échelle lors des prochaines élections présidentielles en Côte d'Ivoire ne garantit pas la stabilité future.
Ce dimanche 25 octobre, les Ivoiriens se rendront aux urnes pour élire leur président. Le scrutin de 2010 avait plongé la Côte d’Ivoire dans un conflit armé entrainant la mort de plus de 3 000 personnes. Il est peu probable que celui de 2015 déclenche des violences à grande échelle. Cela ne suffira toutefois pas à en faire un succès démocratique et un gage de stabilité pour l’avenir.
Tel qu’indiqué dans le dernier Rapport sur l’Afrique de l’Ouest de l’ISS, trois éléments caractérisent la scène politique ivoirienne à l’approche de la présidentielle. Tout d’abord la coalition au pouvoir, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), dont le président sortant Alassane Ouattara portera les couleurs, se trouve en position de force et vise une victoire au premier tour.
Le RHDP se trouve dans une position de force et vise une victoire au premier tour
Ensuite, en l’absence de l’ancien président Laurent Gbagbo – qui attend l’ouverture, le 10 novembre prochain, de son procès à la Cour pénale internationale (CPI) –, son parti, le Front populaire ivoirien (FPI), est profondément divisé entre deux camps aux visions diamétralement opposées quant à la stratégie politique à adopter.
Enfin, l’opposition, composée de candidats indépendants et de deux principales coalitions, à savoir l'Alliance des forces démocratiques (AFD) et la Coalition nationale pour le changement (CNC), manque de cohésion. Alors que l’AFD prend part au processus élctoral, la CNC et un candidat indépendant contestent les conditions d’organisation de l’élection et cherchent à remettre en cause la légitimité du processus.
Essy Amara, ancien secrétaire général de l’Organisation de l’Unité africaine, et Mamadou Koulibaly, ancien président de l’Assemblé nationale et candidat du parti Liberté et démocratie pour la République (LIDER), se sont d’ailleurs retirés de la course les 6 et 9 octobre, respectivement. Ils estiment que les conditions d’une élection juste, libre et transparente ne sont pas réunies. Une dissidence du FPI dirigée par Aboudramane Sangaré avait déjà appelé au boycott dès le 10 août.
Parmi les éléments régulièrement mis en avant par certains acteurs de l’opposition figurent la composition de la Commission électorale indépendante (CEI) qualifiée de déséquilibrée et de non représentative. Ils estiment que 9 des 17 membres de cette commission seraient d’office acquis au pouvoir en place. L’absence de consensus autour de la commission augmente les risques de contestation des résultats.
Une portion de l’opposition souligne aussi la disparité dans l’accès aux médias d’État. En effet, la Haute autorité de la communication audiovisuelle (HACA) a annoncé dans son dernier rapport que les partis et groupements politiques au pouvoir totalisent 71,31 % du temps d’antenne, contre 28,69 % pour les partis de l’opposition. Cette situation est présentée comme un exemple supplémentaire d’un environnement électoral inéquitable.
Enfin, certains opposants ont critiqué la décision de la CEI de proroger de 4 jours, jusqu’au 21 octobre, le delai de distribution des cartes d’électeurs à la demande de la coalition au pouvoir. En plus de contrevenir aux dispositions en la matière contenues dans le code électoral, ils estiment que cette demande répondrait surtout au souci du RHDP de gonfler le taux de participation.
Une remise à plat des conditions d’organisation des élections parait peu probable à 48 heures du vote. La posture de contestation dans laquelle s’inscrivent certaines coalitions et certains candidats de l’opposition signale le risque d’instabilités localisées pendant la période électorale. Elle laisse aussi présager de la quasi-certitude d’une contestation des résultats et d’une stratégie plus large de remise en cause de la légitimité du pouvoir après l’élection, si le candidat du RHDP est réélu.
Logiquement, l’absence d’un candidat unique de l’opposition dès le premier tour devrait engendrer l’émiettement de son électorat et profiter au président sortant. Dans ce contexte, Alassane Ouattara fait donc figure de favori dans cette élection qui ne semble pas présenter d’enjeux majeurs.
Alors que toute l’attention est actuellement tournée vers le vote du 25 octobre, il importe toutefois de lier les questions électorales immédiates aux enjeux de stabilité à moyen et long terme pour le pays.
Les cinq prochaines années s’annoncent fondamentales pour la consolidation de la paix en Côte d’Ivoire
Le développement économique, la justice, le désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) ainsi que la cohésion sociale sont des questions importantes qui reçoivent actuellement beaucoup d’attention, même si elles enregistrent des progrès inégaux.
D’autres problématiques, plus anciennes, mais pas pour autant réglées, méritent également un examen vigilant. Il s’agit notamment de la nationalité et du foncier rural, figurant, bien avant la crise post-électorale, parmi les causes dites profondes de la crise ivoirienne.
Si des réponses efficaces ne sont pas apportées aux questions fondamentales, nouvelles et anciennes, de la crise ivoirienne, le risque d’une régression dans la dynamique de normalisation politique et sécuritaire demeurera réel.
En effet, alors que la présidentielle de 2015 n’a pas encore eu lieu, les échéances électorales de 2020 sont déjà dans la ligne de mire de nombreux acteurs. Les cinq prochaines années s’annoncent donc fondamentales pour la consolidation de la paix en Côte d’Ivoire. Ce quinquennat comporte de nombreux risques et se présente comme une équation à plusieurs inconnues.
La première est liée à l’avenir du RHDP. Il existe déjà des tensions entre certains acteurs au sein des partis et entre les partis membres de la coalition. Celles-ci risquent de s’intensifier à l’approche des scrutins législatifs et locaux à venir et augurent de sérieuses luttes de pouvoir dans la perspective de la présidentielle de 2020.
Deuxième dimension qui aura un impact important sur le déroulement du prochain quinquennat : le verdict du procès de Laurent Gbagbo à la CPI. Une décision de condamnation ou d’acquittement influencera les rapports de force au sein du FPI et, plus largement, au sein de ses soutiens politiques dans l’opposition.
Enfin, si les demandes légitimes de l'opposition continuent d'être ignorées par le gouvernement élu, certains acteurs et regroupements politiques pourraient davantage se radicaliser. Ceux-ci pourraient être tentés de faire usage de la violence en la présentant comme la seule alternative.
Au lendemain de l’élection de cette année, la construction d’une paix durable doit rester l’objectif prioritaire pour le prochain gouvernement et pour l’ensemble de la classe politique ivoirienne qui ne semble pas encore avoir tiré toutes les leçons des longues années de crise politique qu’a traversées la Côte d’Ivoire.
Lori-Anne Théroux-Bénoni, Directrice du bureau et chercheure principale, Ella Abatan, Chercheure boursière et Armande Jeanine Kobi, Chercheure boursière, Division Prévention des Conflits et Analyse des Risques, ISS Dakar