Des soldats à louer dans la crise de Boko Haram
L’appel d’un gouverneur nigérian à recruter des mercenaires pour soutenir la lutte anti-insurrectionnelle ravive les questions suscitées par cette pratique controversée.
À la suite du massacre de dizaines d’agriculteurs par Boko Haram dans l’État de Borno (Nigeria) en novembre 2020, le gouverneur de cet État a appelé les autorités fédérales à enrôler des mercenaires pour combattre les activités du groupe terroriste dans le bassin du lac Tchad. Cette déclaration faisait écho aux doutes de la population concernant la capacité des pays de la région à vaincre les insurgés sans aide extérieure.
Bien que le recours à des mercenaires pour lutter contre Boko Haram ne soit pas une nouveauté dans la région, cette pratique soulève des questions complexes. Le tristement célèbre bataillon d’intervention rapide du Cameroun, entraîné par des mercenaires israéliens sous la direction d’Eran Moas, a pris part au combat contre les extrémistes. S’il n’est pas avéré que le Niger et le Tchad aient fait appel aux services de mercenaires, il semble néanmoins que leurs ressortissants travaillent en tant que « soldats à louer » dans d’autres pays.
En décembre 2014, le Gouvernement du Nigeria a recruté des mercenaires sud-africains pour empêcher Boko Haram de perpétrer des attaques dans les villes du nord-est du pays avant les élections de 2015. Un article publié à l’époque par l’International Centre for Investigative Reporting (ICIR) évoque l’intervention d’au moins trois sociétés militaires privées : Conella Services, Pilgrims Africa, et Specialised Tasks, Training, Equipment and Protection International (STTEP).
Cependant, la position du Gouvernement nigérian actuel au sujet des mercenaires est claire ; le président Muhammadu Buhari a condamné cette mesure avant même son entrée en fonction. Le recours à des sous-traitants privés proposant des services d’ordre militaire va à l’encontre de la Convention de l’Union africaine sur l’élimination du mercenariat en Afrique, que le Nigeria a ratifiée en 1986. Cette pratique est également contraire à la Convention internationale des Nations unies contre le recrutement, l’utilisation, le financement et l’instruction de mercenaires, que le pays a signée en 1990, mais n’a toutefois jamais ratifiée.
La société Conella Services a confirmé qu’elle avait passé un contrat avec le Nigeria pour mener des activités de formation et des opérations de combat
Dans un entretien récent accordé à la chaîne d’information Arise News, un représentant de Conella Services a confirmé que la société avait passé un contrat avec le Bureau du conseiller à la sécurité nationale du Nigeria en vue de conduire des opérations d’entraînement et de combat contre Boko Haram. Il a déclaré que l’objectif était de combler les lacunes des forces militaires nigérianes en matière de lutte anti-insurrectionnelle, tant sur le plan des connaissances que de l’expérience. Cela supposait notamment de leur apprendre à piloter des avions à grande vitesse et à faible altitude dans l’obscurité.
D’après l’enquête menée par l’ICIR, 147 mercenaires sud-africains et 163 soldats nigérians spécialement entraînés auraient été mobilisés en 2015 pour former une unité spéciale, la 72 Mobile Strike Force. Cette unité aurait repris le contrôle de pans importants du territoire au cours des premiers mois de 2015, réalisant des progrès significatifs au détriment de Boko Haram. Célèbre mercenaire et représentant de STTEP, Eeben Barlow a décrit de manière détaillée l’approche mise en place pour traquer sans relâche les insurgés, une stratégie qui aurait fortement contribué à les mettre en difficulté.
Bien que les sociétés militaires aient été forcées de se retirer en avril 2015 en raison de défauts de paiement, semble-t-il, beaucoup s’accordent à dire que cette intervention a marqué un tournant dans l’offensive menée par le Nigeria contre Boko Haram. On pourrait logiquement en conclure qu’il est souhaitable de faire à nouveau appel à des mercenaires pour soutenir la lutte anti-insurrectionnelle au Nigeria. D’autres expériences d’intervention incitent toutefois à adopter un point de vue plus nuancé sur la question.
Pendant la guerre civile qui a fait rage dans le pays entre 1967 et 1970, le recrutement de mercenaires constituait une pratique courante, tant du côté des sécessionnistes biafrais que du côté des forces militaires nigérianes. Certains spécialistes suggèrent que ces mercenaires auraient contribué à prolonger le conflit armé.
L’histoire mouvementée des mercenaires en Afrique montre qu’il est dangereux de faire appel à eux
En essayant d’éviter de tuer leurs homologues, les mercenaires travaillant pour les forces nigérianes ont délibérément épargné la piste d’atterrissage d’Uli, dont l’importance était devenue vitale pour les forces biafraises. En outre, la neutralisation de cette piste d’atterrissage aurait marqué une étape décisive vers la fin de la guerre, et donc vers le terme de leurs contrats. Les relations interpersonnelles et l’enrichissement personnel ont donc joué un rôle prépondérant dans l’effort de guerre de ces combattants.
Il convient de ne jamais sous-estimer les motivations financières des mercenaires et des sociétés qui les emploient. En raison de leur statut de sous-traitants privés, il est également difficile de les obliger à rendre des comptes. D’aucuns prétendent que Boko Haram a également recruté des mercenaires.
L’histoire des mercenaires en Afrique est riche et mouvementée, notamment dans des pays tels que l’Angola, le Liberia, la Libye, la République démocratique du Congo et la Sierra Leone. À maintes reprises, l’expérience a montré combien le recours à ces combattants peut s’avérer dangereux. Il n’en demeure pas moins que certains gouvernements africains sont toujours tentés de faire appel à eux, comme cela s’est récemment produit au Mozambique.
L’argument selon lequel le recours à des mercenaires permettrait aux États de bénéficier d’une expertise étrangère tout en évitant les influences extérieures ne tient pas. Les gouvernements affirment souvent que la mobilisation de leurs ressortissants en tant que « soldats à louer » dans des conflits à l’étranger leur permet d’accroître leur influence sans pour autant être contraints de rendre des comptes.
L’argument selon lequel le recours à des mercenaires permettrait de bénéficier d’une expertise étrangère sans subir d’influence extérieure ne tient pas
Il convient de noter qu’en 2015, le Gouvernement sud-africain a déclaré publiquement qu’il était opposé à ce que ses ressortissants proposent leurs services en tant que mercenaires dans la lutte contre Boko Haram. De fait, il est illégal pour les citoyens sud-africains de se livrer à des activités de mercenariat dans d’autres pays.
Le recours à des combattants contractuels peut également avoir un effet néfaste sur le moral des forces armées nationales. Les mercenaires sont généralement bien mieux rémunérés que les soldats locaux, ce qui tend à exacerber le ressentiment de ces derniers. Certains considèrent que le statut privilégié accordé à ces combattants extérieurs compromet les efforts déployés par les forces locales. L’intervention de mercenaires peut également conférer une dimension mondiale à des conflits locaux, notamment lorsque le recrutement de combattants d’une nationalité donnée incite des États rivaux à entrer en jeu.
On peut donc légitimement se demander s’il est souhaitable de faire à nouveau appel à des mercenaires dans la guerre contre Boko Haram. La victoire contre l’extrémisme dans le bassin du lac Tchad met du temps à se dessiner, et des attaques y sont enregistrées chaque semaine. Les mercenaires sud-africains semblent impatients de retourner dans la région, comme en témoignent les propos du représentant de Conella, lequel a déclaré : « Nous voudrions revenir et terminer le travail que nous avons commencé au Nigeria. »
Certains analystes estiment qu’en raison de leur haut niveau d’habileté, de connaissances et d’expertise, le recours stratégique à des mercenaires se justifiera toujours dans le contexte de luttes anti-insurrectionnelles, telles que celle menée contre Boko Haram. Toutefois, des préoccupations demeurent concernant leur responsabilisation ainsi que les distorsions que leurs interventions peuvent produire, à court et à long terme, sur l’architecture de défense des régions. Le coût élevé qu’ils représentent doit également être pris en considération : les forces de défense locales pourraient utiliser ces ressources de manière plus durable.
Au lieu de faire appel une nouvelle fois à des mercenaires, les pays du bassin du lac Tchad devraient intensifier les efforts visant à développer les capacités de leurs forces armées nationales et renforcer la coopération régionale.
Depuis 2015, la Force multinationale mixte créée par les États de la région pour combattre Boko Haram a enregistré des avancées significatives, qui pourraient être poursuivies. Une formation par des forces armées étrangères légitimes constituerait une solution plus viable pour répondre aux besoins de la région en matière de sécurité. Elle doit également s’inscrire dans une stratégie globale de lutte anti-insurrectionnelle dont la portée dépasse la seule puissance militaire.
Teniola Tayo, chargée de recherche, Programme Bassin du lac Tchad, ISS Dakar
Cet article a été réalisé grâce au soutien du Programme des Nations Unies pour le développement, du Fonds britannique pour la résolution des conflits, la stabilité et la sécurité, et du Gouvernement des Pays-Bas.
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