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Femmes, activités illicites et terrorisme : quels risques pour l’Afrique de l’Ouest ?

Mieux appréhender l’implication des femmes dans les activités illicites peut réduire les risques de leur association aux groupes extrémistes.

L’implication des femmes dans des activités illicites économiques n’est pas une réalité nouvelle en Afrique de l’Ouest. Toutefois, la persistance de la menace terroriste dans cette région les expose, au même titre que les hommes, à des risques d’association avec des groupes extrémistes violents.

Des recherches menées par l’Institut d’études de sécurité (ISS) révèlent que les femmes, entre autres, contribuent aux réseaux de renseignement de ces groupes, participent à leurs efforts de recrutement et facilitent leurs chaînes d’approvisionnement logistiques. Leur implication présente des avantages stratégiques car, contrairement aux hommes, elles attirent moins l’attention et sont fouillées par des policiers et des soldats majoritairement masculins.

Selon l’ISS, dans le nord du Bénin, de la Côte d’Ivoire et du Togo, les femmes participent à plusieurs activités illicites, notamment l’orpaillage illégal et le trafic de drogues et de médicaments prohibés. Ces recherches ont également révélé l’implication des groupes extrémistes violents dans l’orpaillage et la chasse illégaux, l’économie du bétail sur pieds, les trafics de carburant et de cannabis.

Participer, même indirectement, à des activités illicites, ou entretenir des liens avec des malfaiteurs, permet aux groupes terroristes d’obtenir des moyens de subsistance (nourriture et médicaments) et des ressources opérationnelles (carburant et moyens de communication tels que téléphones et cartes SIM) et de générer des revenus (notamment en vendant de l’or provenant de l’orpaillage illégal).

Les groupes terroristes cherchent généralement à s’associer aux commerçants (hommes et femmes) qui se déplacent de ville en ville ou au-delà des frontières. Ces commerçants peuvent les renseigner sur leurs communautés et leur permettre de se procurer et de transporter diverses marchandises.

Les femmes sont des maillons essentiels des chaînes d’approvisionnement des activités illicites

Appréhender le rôle des femmes – ainsi que leurs motivations et les modalités de leur implication – est essentiel pour réduire leur participation à des activités illicites et leur risque d’association avec des terroristes.

Les femmes sont des maillons essentiels de la chaîne d’approvisionnement et des actrices qui structurent les activités illicites. L’implication de certaines remonte à plusieurs décennies et est liée au chômage, au manque de ressources financières et à un niveau d’éducation faible, voire inexistant.

Pour la plupart, ces activités leur permettent de subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille. Ces activités offrent des perspectives de gains et de profits rapides, supérieurs à ce qu’elles engrangeraient dans des activités traditionnelles comme l’agriculture de subsistance ou le petit élevage.

Les femmes s’impliquent dans le commerce de médicaments contrefaits, pour répondre aux besoins des communautés en services de santé, généralement coûteux et non subventionnés par les gouvernements. Des femmes ont été initiées à ces activités par leurs mères, leurs sœurs, leurs amies ou leurs compagnons.

L’orpaillage illégal constitue une activité économique majeure en Afrique de l’Ouest. Dans l’est et le sud-ouest du Burkina Faso et dans certaines parties du nord-est de la Côte d’Ivoire, cette activité a permis à des groupes extrémistes de se financer et de s’associer aux orpailleurs.

Les femmes sont au cœur de l’orpaillage, de l’extraction, du traitement et de la commercialisation

Les femmes y jouent divers rôles essentiels, notamment l’extraction, le traitement, la commercialisation, et parfois le financement. La majorité d’entre elles sont des laveuses. Leur tâche consiste à l’approvisionnement en eau pour le lavage des pierres, au transport des gravats vers des zones de tri et à la récupération de l’or présents dans les tamis. Ces corvées leur procurent un revenu variable, en fonction de leur expérience.

Les femmes participent également au transport de l’or, en le dissimulant dans des sacs de nourriture ou des vêtements, afin d’éviter les contrôles de police et les bandits. Certaines financent et dirigent des opérations d’extraction artisanale regroupant des laveurs et creuseurs, et participent à la vente de l’or.

Les recherches de l’ISS montrent que ces femmes comptent parmi les plus prospères du secteur. Elles achètent l’or brut directement aux mineurs et le revendent à des intermédiaires ou à des acheteurs, provenant parfois de pays voisins.

Le financement et la vente d’or extrait illégalement pourraient causer le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Ce risque est accru par la difficulté à déterminer l’origine du financement de l’extraction aurifère, ainsi que la destination et l’utilisation finale des revenus issus de la vente d’or.

L’orpaillage illégal favorise l’émergence d’autres écosystèmes socioéconomiques où les femmes jouent un rôle majeur tels que le commerce de produits alimentaires, de vêtements, de médicaments et de stupéfiants (tramadol, stimulants, aphrodisiaques, cannabis, etc.) - produits réputés aider les mineurs à surmonter les contraintes physiques de l’orpaillage.

Il faut des solutions viables combinant des alternatives économiques et une protection sociale

Les recherches de l’ISS révèlent que les extrémistes ont également tenté de recruter des femmes travaillant sur des sites d’orpaillage dans le nord de la Côte d’Ivoire en leur proposant de l’argent pour des activités de restauration ou pour cuisiner pour eux.

Quant au commerce de produits pharmaceutiques contrefaits, comme le tramadol et ses dérivés, les femmes sont généralement impliquées en aval de la chaîne de vente. Elles travaillent comme vendeuses sur les marchés locaux, dans les camps, les villages et les sites artisanaux d’extraction d’or. Certaines sont semi-grossistes ou grossistes, travaillant pour des grossistes plus importants, majoritairement des hommes ou s’approvisionnant auprès d’eux.

Le commerce de médicaments contrefaits ne nécessite généralement pas de capitaux pour démarrer. Certains grossistes fournissent des produits sur la base d’un accord tacite de règlement de la marchandise une fois sa vente effectuée. Cela permet aux femmes financièrement limitées de prospérer en augmentant progressivement leur autonomie économique.

Le manque de capitaux pourrait exposer certaines femmes à des financements provenant de personnes liées à des groupes terroristes. De plus, entretenir des liens avec des trafiquants de médicaments permettrait aux extrémistes de se procurer des médicaments pour leurs besoins.

L’étude de l’ISS a mis en évidence, particulièrement au Bénin, l’implication de commerçantes dans le trafic de cannabis, dont une partie est cultivée dans les départements de l’Atacora et de la Donga. Des femmes, soupçonnées d’être des épouses de militants extrémistes, ont participé au transport du cannabis des marchés de Matéri vers Kourou-Koualou, une zone  ayant été fréquentée par des groupes extrémistes. Le cannabis est présenté comme du moringa – une plante utilisée comme légume ou en médecine traditionnelle en Afrique de l’Ouest et au-delà – ou dissimulé dans des produits vivriers.

La participation des femmes aux activités illicites résulte de dynamiques complexes que les gouvernements et les acteurs de la prévention du terrorisme doivent appréhender et intégrer. Réprimer ces activités sans s’attaquer aux causes profondes sous-tendant l’implication des communautés n’est pas susceptible de contribuer au renforcement de la stabilité. Les interventions doivent offrir des solutions viables combinant des alternatives économiques et une protection sociale.

Les gouvernements doivent continuer à lutter contre les activités illicites et les facteurs qui les favorisent, comme la corruption. Ces activités, comme l’orpaillage, devraient être formalisées et réglementées. Cette approche pourrait contribuer à réduire les risques d’association des femmes avec des groupes extrémistes violents.

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Partenaires de développement
Les recherches pour cet article ont été financées par la Robert Bosch Stiftung GmbH. L’ISS tient à remercier les membres du Forum de partenariat de l’Institut, notamment la Fondation Hanns Seidel, l’Open Society Foundations, l’Union européenne, ainsi que les gouvernements du Danemark, de l’Irlande, de la Norvège, des Pays-Bas et de la Suède.
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