Burkina Faso : Traoré, au-delà de la popularité et des promesses
L’enjeu consistera à utiliser les ressources minérales du pays et son économie prometteuse pour la stabilité et le développement.
À 36 ans, le capitaine Ibrahim Traoré du Burkina Faso est le plus jeune président au monde, un contraste flagrant avec l’âge moyen des dirigeants africains qui est de 63 ans. Il est arrivé au pouvoir en septembre 2022 après avoir renversé le lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba, qui avait lui aussi évincé Roch Kaboré plus tôt dans l’année.
L’administration issue du coup d’État est fragile. La semaine dernière, le gouvernement militaire a déjoué une tentative de coup d’État, une parmi tant d’autres depuis l’arrivée au pouvoir de Traoré.
Dans son discours inaugural, Traoré avait dépeint le Burkina Faso comme un pays confronté à des situations d’urgence, du fait des crises en matière de sécurité, de défense, de santé, d’action sociale et d’infrastructures. Il s’est engagé à lutter contre le terrorisme et à respecter le calendrier de transition convenu avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qui portait sur le rétablissement d’un régime démocratique au 1er juillet 2024.
Selon le plan de transition du Burkina Faso, Traoré dirigera le pays jusqu’en 2029
Le Burkina Faso s’est depuis retiré de la CEDEAO, formant l’Alliance des États du Sahel avec le Mali et le Niger, des pays également dirigés par des administrations issues d’un coup d’État. Selon le nouveau plan de transition du Burkina Faso, Traoré peut rester en fonction au moins jusqu’en 2029.
Sa popularité est montée en flèche depuis son accession au pouvoir. Lors de l’investiture du président John Mahama au Ghana, le 7 janvier, Traoré a été le plus ovationné des 21 chefs d’État africain présents. Cela témoigne de sa popularité, mais aussi de la tolérance accrue envers les régimes militaires en Afrique, surtout chez les jeunes.
Selon l’Afrobaromètre, environ deux tiers des Burkinabés estiment qu’une intervention de l’armée est nécessaire lorsque les dirigeants abusent de leur pouvoir. De même, 66 % des personnes interrogées se disent favorables à un régime militaire, contre 24 % en 2012. Cette enquête, réalisée lorsque le pays était sous régime militaire, témoigne de l’acceptation du régime.
Mais la popularité de Traoré dépasse cette acceptation. Les réformes radicales qu’il a entreprises trouvent un écho auprès de nombreux Burkinabés, notamment l’annulation de l’augmentation salariale des fonctionnaires prévue par son prédécesseur, et le maintien de son salaire de capitaine.
Pour asseoir la mainmise sur les ressources minières, Traoré a nationalisé deux mines d’or et cessé les exportations d’or non raffiné vers l’Europe. Il a inauguré une raffinerie nationale qui devrait traiter 150 tonnes d’or par an.
La création du centre national d’appui à la transformation artisanale du coton, la construction d’un nouvel aéroport et des investissements agricoles considérables figurent au rang des autres réalisations importantes.
Certes, ces avancées en matière d’industrialisation sont notables mais, le pays doit s’affranchir de l’inefficacité, de la corruption et de la mauvaise gestion du secteur public.
Traoré a rejeté les prêts occidentaux proposés via le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, arguant que le développement du Burkina ne dépend pas de ces institutions. Cette position démontre la capacité de l'Afrique à gérer ses propres affaires. Aux yeux de la jeunesse, le régime de Traoré représente une opportunité de mettre en valeur leur potentiel et leurs aspirations. Néanmoins, la majorité des Burkinabés attend avant tout une amélioration tangible de leurs conditions de vie quotidiennes.
Dans un contexte d’incertitude mondiale et de diminution de l’aide internationale, l’Afrique doit s’efforcer à devenir autonome et contrôler ses ressources. À l’instar de plusieurs pays africains, le Burkina Faso est doté de nombreuses ressources naturelles dont la bonne gestion pourrait transformer la vie des citoyens.
Face à l’instabilité mondiale, l’Afrique doit renforcer son autonomie et contrôler ses ressources
Le pays dispose de ressources minérales et produit des quantités substantielles d’or, de zinc, de cuivre, de manganèse, de phosphate et de calcaire. Il possède des réserves de diamants, de bauxite, de nickel et de vanadium, pour la plupart inexploitées.
Le pays a toutefois réalisé des progrès. Le produit intérieur brut (PIB) (au taux de change du marché) est passé de 3,2 milliards de dollars US en 1990 à 18,3 milliards de dollars US en 2023, et l’extrême pauvreté a reculé de 83 % à 27,7 % au cours de la même période. Mais des défis majeurs restent à relever.
Selon le Rapport sur le développement humain 2023-2024, le Burkina Faso est classé 185e sur 193 pays selon l’indice de développement humain. Il se classe 149e sur 167 pays dans l’indice des objectifs de développement durable pour 2024 et, selon l’indice de pauvreté multidimensionnelle, 64,5 % de la population est pauvre de manière multidimensionnelle.
Cependant, les perspectives économiques sont prometteuses. Des récentes recherches menées par l’équipe du programme Afriques Futures et Innovation de l’Institut d’études de sécurité révèlent que l’économie du Burkina Faso pourrait croître à un taux moyen de 8 % entre 2025 et 2043.
Cela se traduirait par un PIB par habitant supplémentaire de 1 120 dollars US par rapport à une prévision de maintien du statu quo, et réduirait la pauvreté monétaire à seulement 2,6 % de la population. Cela signifie que 2,4 millions de Burkinabés supplémentaires pourraient sortir de la pauvreté d’ici 2043.
D’après les recherches, les réformes liées à la gouvernance sont essentielles pour libérer le potentiel de développement du pays. En effet, la bonne gouvernance augmenterait le PIB par habitant de 240 USD par rapport à une prévision de maintien du statu quo, ce qui permettrait à 500 000 Burkinabés supplémentaires de sortir de l’extrême pauvreté.
Pour ce faire, Traoré doit amener le pays à surmonter l’instabilité politique, l’extrémisme violent et la faiblesse des institutions. Des réformes institutionnelles et structurelles sont nécessaires pour renforcer la sécurité, la responsabilité, l’efficacité du secteur public et la gouvernance.
La priorité immédiate est la lutte contre le terrorisme, qui a entraîné la perte d’environ 40 % du territoire, sapant l’autorité de l’État et sa capacité à fournir des services publics, puisque des milliers d’écoles et d’établissements de santé sont fermés. L’Agence des Nations unies pour les réfugiés recense plus de deux millions de déplacés internes et note une augmentation du besoin en aide humanitaire de 35 % entre 2022 et 2023.
Il faudra ensuite instaurer des institutions publiques solides et renforcer leur efficacité et la lutte contre la corruption en leur sein. Les gouvernements locaux doivent bénéficier de ressources pour créer des programmes de développement adaptés aux besoins communautaires.
Avec un dirigeant jeune, le Burkina Faso pourrait impulser sa gouvernance et concrétiser ses aspirations
À moyen terme, le pays doit passer à un régime constitutionnel, afin de garantir la stabilité politique et la légitimité nécessaires à la croissance économique. Cela renforcerait la confiance des investisseurs et permettrait au Burkina Faso d’attirer les investissements étrangers directs. Pour une transition harmonieuse vers la démocratie, l’Union africaine, les organisations de la société civile et les partenaires du développement devraient soutenir le plan de transition de 60 mois.
Traoré n’est pas le premier personnage charismatique à émerger sur la scène politique africaine. Plusieurs acteurs de la révolution l’ont précédé, mais ils ont ensuite dévié de leur trajectoire en s’accrochant au pouvoir. Au Ghana, Jerry Rawlings, 32 ans, surnommé « Jésus Junior », s’est fait connaitre en 1979 lors d’une révolution sanglante visant à éradiquer la corruption et à assainir le système politique du pays. Mais après 19 ans au pouvoir, son bilan est resté mitigé.
Avec un dirigeant jeune et charismatique, le Burkina Faso pourrait transformer sa gouvernance et concrétiser ses ambitions de développement, gage d’un héritage durable pour le régime de Traoré.
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