Le Liberia d’après-guerre toujours confronté à la corruption et à l’impunité
La corruption, facteur clé des 14 ans de guerre civile, a déclenché la crise politique actuelle qui menace la stabilité du pays.
Publié le 05 mai 2025 dans
ISS Today
Par
Sampson Kwarkye
chef de projet, États Littoraux d'Afrique de l'Ouest, bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel
Le 23 avril, la Cour suprême du Liberia a confirmé la légitimité du président de la Chambre des représentants, Jonathan Fonati Koffa. Cette décision intervient après des mois de crise politique déclenchée par un vote visant à révoquer Koffa en raison de présomptions de manipulations et de dépassements budgétaires, et d’un conflit d’intérêts impliquant son cabinet d’avocats et des agences de l’État.
Les législateurs, formant le « Bloc majoritaire », ont élu Richard Koon en remplacement de Koffa. Ils ont allégué que le bureau de Koffa avait dépassé son allocation de 1,5 million de dollars américains de plus de 4 millions de dollars en 2022 et d’environ 3 millions de dollars en 2023. Selon eux, ces montants n’ont pas pu être justifiés.
Cette situation qui perturbe les travaux législatifs, a provoqué des protestations et aurait déclenché des incendies dans le bâtiment du Capitole. Elle met en évidence la détermination du Liberia à endiguer l’une des causes directes de la guerre civile de 1989-2003 (la corruption et l’impunité) et la nécessité d’efforts soutenus de lutte contre la corruption.
La lutte contre la corruption et l’institutionnalisation de la bonne gouvernance figuraient parmi les principaux objectifs de l’Accord de paix global de 2003, qui a mis fin au conflit. Ces objectifs ont été renforcés par les recommandations de la Commission Vérité et Réconciliation, et les gouvernements successifs de l’après-guerre en ont fait, du moins officiellement, des piliers de leur programme.
Le Liberia se classe dans les derniers rangs de l’Indice de perception de la corruption
Pour atteindre ces objectifs, il a fallu créer la Commission de gouvernance en 2007, la Commission anticorruption du Liberia en 2008 et la Commission générale d’audit en 2014.
En 2022, la loi sur la Commission anticorruption a été modifiée afin de la doter de pouvoirs de poursuite directs, en sus de l’adoption d’une loi sur les lanceurs d’alerte et d’une autre sur la protection des témoins afin de faciliter la dénonciation des faits de corruption.
En avril 2024, l’assemblée législative a voté en faveur de la proposition du président Joseph Boakai de créer un Tribunal des crimes de guerre et des crimes économiques afin de poursuivre les auteurs d’abus commis pendant la guerre civile.
Malgré ces efforts, la corruption reste bien ancrée au Liberia qui se trouve régulièrement au bas du classement de l’Indice de perception de la corruption de Transparency International. Son score est inférieur à 40 et a baissé depuis 2013.
Les entretiens menés par l’Institut d’études de sécurité font état d’une culture de clientélisme et d’un manque de volonté politique pour garantir la responsabilité pénale en cas de corruption. La faiblesse des institutions – voire leur dysfonctionnement – fait également partie des causes qui dépassent les différents gouvernements.
Malgré les cadres législatifs et institutionnels existants, la corruption est bien ancrée au Liberia
Ces défis ont été reconnus en 2016 par Ellen Johnson Sirleaf, la première présidente d’après-guerre, mais ils ont persisté. Elle a noté que son gouvernement n’avait « pas pleinement respecté l’engagement de lutte contre la corruption [...] en raison de la dépendance et de la malhonnêteté engendrées par des années de privation et de mauvaise gouvernance ». Des scandales de corruption ont ébranlé son gouvernement, notamment ceux émanant des enquêtes de la Commission générale d’audit, qui n’ont pas fait l’objet de poursuites.
George Weah, successeur de Sirleaf, a été confronté à un malaise public suite à plusieurs scandales impliquant ses collaborateurs. Comme sous l’ère Sirleaf, les nominations basées sur les connexions politiques et les relations personnelles sous Weah signifiaient que les personnes nommées n’étaient pas poursuivies pour corruption. Cependant, certains soutiennent que la corruption sous Weah est devenue insidieuse et a causé sa défaite électorale en novembre 2023.
En août 2022, le Département du Trésor des États-Unis a sanctionné les responsables libériens Nathaniel McGill, Sayma Syrenius Cephus et Bill Twehway pour corruption. L’ancien ministre des Finances Samuel Tweah a également été sanctionné en décembre 2023, ainsi que deux sénateurs et le maire de Monrovia, Jefferson Koijee, pour corruption et, dans le cas de Koijee, pour violation des droits de l’homme.
Aucune de ces affaires n’a donné lieu à des poursuites, une situation qui a suscité des critiques à l’égard de la Commission anticorruption. Toutefois, cette situation reflète les contraintes en matière de ressources et de capacités, ainsi que le manque d’indépendance politique et budgétaire auxquels sont confrontés la Commission et d’autres institutions de lutte contre la corruption, en particulier la Commission générale d’audit.
À l’instar de ses prédécesseurs, Boakai a donné le ton en promettant de lutter contre la corruption. En février, il a suspendu plus de 450 fonctionnaires, dont les ministres de la Santé et de l’Éducation ainsi que de hauts responsables accusés de saper « les efforts de lutte contre la corruption et de responsabilisation » en ne déclarant pas leurs biens.
Boakai a été critiqué pour avoir suspendu certains fonctionnaires pour corruption, de manière sélective
Pourtant, le président a été accusé de partialité car il a suspendu seulement certains fonctionnaires et non pas toutes les personnes fautives.
L’agenda anti-corruption de Boakai est également confronté à d’autres défis. La nomination de Jonathan Massaquoi à la tête du Bureau du Tribunal des crimes de guerre et des crimes économiques – l’organe chargé de préparer les bases juridiques de la création du Tribunal– a suscité une controverse parce que, Massaquoi, avait été le représentant juridique d’Agnes Taylor, épouse de l’ancien président condamné Charles Taylor.
L’éradication de la corruption et l’institutionnalisation de la bonne gouvernance restent un impératif vital de l’après-guerre. Pour ce faire, il ne suffit pas de mettre en place des cadres de lutte contre la corruption. Les parties prenantes doivent s’attaquer à la culture du clientélisme, promouvoir la responsabilité pénale en cas de corruption et supprimer les obstacles politiques et financiers à l’efficacité institutionnelle.
La crise politique actuelle, fondée sur des allégations de corruption, offre également au Liberia l’occasion de faire le point sur ses progrès en matière de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption et de redoubler d’efforts.
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