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Le miracle mauricien est-il en train de s’évanouir ?

Maurice doit cesser de se regarder avec complaisance et renouer avec l’audace de la réforme économique et stratégique qui a forgé sa réputation.

Maurice s'est longtemps distinguée sur le plan économique. De la canne à sucre au textile, du tourisme aux services financiers, le pays s'est réinventé à plusieurs reprises : une petite île qui a fait de son isolement géographique une opportunité plutôt qu'une contrainte.

Cependant aujourd'hui, alors que le monde fait face à des vents contraires et que les vulnérabilités nationales sont de plus en plus difficiles à ignorer, nombreux sont ceux qui se demandent si Maurice n’a pas fait preuve de complaisance vis-à-vis d’elle-même, se reposant sur sa gloire passée au lieu d'investir dans l'avenir.

Son évolution récente est plutôt sombre. Le pays est confronté à un dérapage budgétaire important, à une augmentation de la dette publique, à une croissance économique médiocre et à de nombreuses questions sur sa gouvernance.

Le récent changement de la note souveraine de Moody’s de stable à négative — tout en maintenant la note Baa3 — souligne ce que de nombreux investisseurs et observateurs soupçonnent depuis un certain temps : le miracle mauricien ne serait-il pas en train de disparaître ?

La réussite de Maurice repose sur sa bonne réputation en matière de gestion macroéconomique et de compétence technocratique. Au cours des décennies précédentes, ses dirigeants ont navigué en eaux troubles en se réinventant de manière stratégique. De la libéralisation des échanges à la diversification des secteurs, le pays a été proactif et agile.

L'inertie politique à Maurice s'est enracinée, érodant le climat des affaires

Néanmoins cette fois-ci, la réponse de l'État a semblé incertaine. Malgré des attentes élevées, l'inertie politique du nouveau gouvernement — qui, selon des sources locales, n'a pas réussi à pourvoir des postes économiques clés dans les entreprises parapubliques — s'est enracinée, érodant davantage le climat des affaires.

Maurice doit désormais faire face à quatre risques majeurs.

Tout d'abord, le secteur du tourisme est en déclin. Autrefois joyau de la couronne de son économie, les arrivées de touristes sont sous pression. Si des facteurs externes tels que l'inflation et la crise du coût de la vie en Europe jouent un rôle, l'offre de produits est peut-être en train de perdre de son éclat. Des destinations comme les Maldives et Zanzibar deviennent plus compétitives, tandis que Maurice risque de paraître chère et figée.

Les mauvaises performances économiques d'Air Mauritius et la diminution des vols en provenance d'Europe et de Chine depuis la COVID-19 y ont peut-être contribué, mais des questions se posent également sur la qualité des services. Peut-être le modèle touristique n'évolue-t-il pas assez vite pour répondre aux besoins d'un voyageur international plus exigeant.

Deuxièmement, les niveaux de compétence sont insuffisants. Maurice s'est vendue comme une plaque tournante pour l'externalisation des processus d'affaires et les services financiers, mais dans un monde de plus en plus guidé par l'intelligence artificielle (IA), l'automatisation et la technologie, le bassin de talents locaux est à la traîne. Les niveaux de productivité sont faibles et les employeurs luttent contre l'inadéquation entre l'offre et la demande de main-d'œuvre.

Face à l'IA, l'automatisation et la technologie, le bassin des compétences est à la traîne

Le pays est confronté à une vérité gênante : sa main-d'œuvre n'est pas adaptée à l'économie numérique et il doit donc soit importer les compétences requises, soit les développer.

Maurice présente également les signes du piège classique du revenu moyen : trop riche pour compter sur une main-d'œuvre à faible coût et trop sous-développée pour stimuler une croissance basée sur l'innovation. Le passage à une économie de services à forte valeur ajoutée nécessitera un changement de politique et de mentalité.

Troisièmement, son statut de passerelle est confronté à la concurrence. Maurice s'est toujours présentée comme une plaque tournante des services financiers et un tremplin vers l'Afrique, capitalisant sur ses traités fiscaux, la stabilité de son environnement politique et la relative solidité de ses institutions. Cependant, ces avantages sont en train de se dissiper.

La concurrence mondiale s'intensifie avec des juridictions comme les Émirats arabes unis (EAU) et les îles Caïmans qui se disputent la même part du gâteau, souvent avec moins de risques politiques et une plus forte connexion. En outre, la crédibilité de Maurice a été mise à mal par sa récente inscription sur la liste grise du Groupe d'action financière sur le blanchiment de capitaux. Elle ne figure plus sur la liste, mais sa réputation reste entachée.

Quatrièmement, les risques d'atteinte à sa réputation augmentent. Pour un pays qui a construit son image de marque sur la bonne gouvernance et la fiabilité institutionnelle, les tendances récentes sont inquiétantes. L'ingérence politique dans les affaires économiques, la multiplication des scandales de corruption, notamment la controverse autour de MissieMoustass, et les pratiques fiscales douteuses ont terni l'image de Maurice en tant que démocratie technocratique bien gérée. Les investisseurs s'en rendent bien compte.

Comme Singapour, Maurice pourrait devenir un centre de services maritimes juridiques et commerciaux

Plus inquiétant encore est le sentiment que Maurice s'appuie trop sur son héritage et n'a pas su s'adapter aux réalités modernes. Dans une économie mondiale post-pandémique, géopolitiquement fragmentée et centrée sur la technologie, la réputation seule ne suffit pas. Maurice doit gagner sa place à la table des négociations en élaborant une proposition de valeur claire et cohérente pour les partenaires internationaux.

Dans le même temps, l'environnement extérieur devient plus difficile. Les effets persistants de la COVID-19 et les retombées géopolitiques du conflit en Ukraine ont fait chuter les monnaies mondiales et freiné les flux d'investissements commerciaux qui sont autant d'éléments cruciaux pour une petite économie ouverte comme Maurice. Et maintenant, les risques de la guerre commerciale du président américain Donald Trump pour les principaux partenaires commerciaux auront presque certainement des effets de contagion pour Maurice.

Toutefois, si les chocs externes échappent au contrôle de tout pays, ce n’est pas le cas pour la réponse interne, et les décideurs politiques doivent relever le défi.

Premièrement, la dynamique géopolitique mondiale doit jouer en sa faveur. Alors que la géométrie du commerce international se modifie, Maurice doit donner la priorité à sa pertinence stratégique vis-à-vis des grandes puissances de l'Ouest et de l'Est à travers la diplomatie économique. Il s'agit pour elle de tirer parti des avantages potentiels de la zone de libre-échange continentale africaine en termes de croissance et de poursuivre le rapprochement avec les autres pays africains.

Une approche plus nuancée de son économie bleue, ainsi que la modernisation de son port, qui offre un accès à l'océan Indien en tant que passerelle maritime non alignée, pourraient également générer de la croissance.

La transformation de Port Louis en un centre régional polyvalent de transbordement et de ravitaillement pour les carburants de l'avenir, ainsi que l'offre de services tels que les quais de réparation, l'entreposage sous douane et le dédouanement numérique profiteraient aux entreprises de transport maritime mondiales, en particulier dans le contexte actuel de perturbations de la mer Rouge. Maurice pourrait adapter le modèle économique de Singapour et devenir un centre de services juridiques et commerciaux pour le transport maritime.

Deuxièmement, le pays devrait s'inspirer de la réussite des EAU et de l'Estonie, qui utilisent des systèmes numériques intelligents et des visas d'investisseur pour attirer une main-d'œuvre qualifiée. Il pourrait attirer la richesse et l'innovation en séduisant les nomades numériques et les personnes fortunées qui apprécient son mode de vie. Cela nécessitera des investissements dans le capital humain et les industries de services auxiliaires pour qu’elle soit compétitive au niveau mondial.

Troisièmement, la réforme économique est essentielle sur le plan fiscal et structurel. Il est essentiel de réorienter l'économie vers une voie plus verte, davantage axée sur la connaissance, tout en améliorant l'efficacité des dépenses.

Les décideurs politiques devraient positionner Maurice comme un centre africain d'IA et intégrer ces gains d'efficacité dans le secteur public afin de libérer des ressources pour des activités plus génératrices de PIB telles que la gouvernance électronique, les centres de données, l'énergie verte et les infrastructures. Les nouvelles stratégies devraient donner la priorité aux investissements dans l'environnement, les infrastructures et les compétences.

Maurice doit faire face à des réalités difficiles, repenser son modèle économique et retrouver l'ardeur réformatrice qui a fait d'elle la coqueluche des économistes du développement. Sinon, le pays sera bientôt confronté à un cyclone économique.

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