Des groupes terroristes d’Afrique de l’Est exploitent les mers
Les stratégies de lutte contre le terrorisme doivent tenir compte du fait que le littoral constitue une bouée de sauvetage financière et opérationnelle pour les extrémistes violents.
Les groupes extrémistes violents agissant en Afrique de l’Est, tels qu’al-Shabaab, Ansar al-Sunna et l’État islamique en Afrique de l’Est-Somalie (ÉI-Somalie), tirent de plus en plus profit des lacunes existantes en matière de sécurité maritime. Les stratégies de lutte contre le terrorisme doivent cibler tout particulièrement cet aspect des opérations de ces groupes afin d’empêcher des extrémistes d’exploiter les côtes africaines en lançant des attaques ou en pratiquant la contrebande et l’extorsion.
Les groupes terroristes financent une partie de leurs activités par le biais de la contrebande par voie maritime. Il s’agit notamment de trafic de drogues et d’armes, ainsi que de traite d’êtres humains. De nombreux extrémistes violents exploitent également des ressources telles que le sucre, les céréales et le textile. Al-Shabaab est ainsi impliqué dans un trafic de charbon de bois depuis 2011. Le groupe gagnerait environ 7 millions de dollars américains par an grâce à la seule criminalité maritime, soit une somme suffisante pour assurer sa survie à long terme et financer ses attentats terroristes sur la terre ferme.
Al-Shabaab a également augmenté ses revenus en ayant recours à l’extorsion et à la taxation illicite du port de Mogadiscio et d’entreprises indépendantes associées. Par exemple, le groupe se procure des manifestes de chargement qui lui permettent d’extorquer de l’argent à des entreprises, en les menaçant de représailles, à hauteur de 100 dollars pour chaque conteneur de 20 pieds et de 160 dollars pour les conteneurs de 40 pieds.
L’ÉI-Somalie est un autre groupe opérant dans les zones côtières somaliennes et tanzaniennes. Bien que moins actif qu’al-Shabaab, l’ÉI-Somalie tire régulièrement profit de la mauvaise connaissance des océans. Moins d’un an après sa création, l’ÉI-Somalie occupait et contrôlait la ville portuaire de Qandala, dans le nord du pays.
On estime qu’al-Shabaab gagne 7 millions de dollars par an grâce à la criminalité maritime
C’est par ce biais que le groupe a eu accès à une pléthore de ressources de la part d’un groupe affilié, l’ÉI-Yémen. Comprenant notamment des armes et des combattants, ces ressources ont permis à des formateurs expérimentés d’enseigner aux recrues de l’ÉI-Somalie certaines des tactiques et compétences développées depuis le début du conflit au Yémen.
Forcé de quitter Qandala moins d’un mois après avoir pris le contrôle de la ville, l’ÉI-Somalie a néanmoins continué à importer des armes et des combattants de l’ÉI-Yémen, principalement grâce à des réseaux de contrebande et d’arrangements avec certains habitants de la ville. Les petits ports et les sites de débarquement qui jalonnent la côte somalienne, à quelques heures de bateau des côtes yéménites, permettent un accès continu à ces ressources. Cela a eu un rôle déterminant pour le développement et l’enracinement de l’ÉI-Somalie.
Les attentats dans la province de Cabo Delgado, sur la côte nord-est du Mozambique, ont augmenté en intensité en 2020. Le groupe responsable, Ansar al-Sunna, se sert du littoral pour perturber les forces gouvernementales. Dans le nord de la province, les insurgés ont notamment ciblé Mocimboa da Praia, une ville de taille modeste mais d’une grande importance en raison de sa richesse en ressources naturelles. En mars 2020, les terroristes ont lancé des attaques simultanées depuis la terre et la mer. Pendant quelques heures, les forces de sécurité se sont retrouvées accablées par la situation, ce qui a permis au groupe d’occuper le port quelque temps.
Les tentatives du gouvernement pour récupérer le port ont échoué et celui-ci reste partiellement sous le contrôle des insurgés. Depuis lors, le groupe a lancé de multiples attaques contre des bases militaires et des camps de réfugiés, toujours en approchant par la mer.
L’ÉI-Somalie importe des armes et des combattants de l’ÉI-Yémen, principalement par le biais de réseaux de contrebande côtiers
Plusieurs gouvernements et organisations internationales, telles que les Nations Unies, ont dépensé des millions de dollars pour lutter contre le terrorisme dans la région, en particulier au Kenya, en Somalie, en Tanzanie et au Mozambique. Quant à la Mission de l’Union africaine en Somalie, elle n'a pas développé de réelle expertise ni de cohérence dans ce domaine, bien qu’elle soit dotée d’une composante maritime.
La Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) mène également des activités antiterroristes dans la région. La plupart des opérations se concentrent toutefois à l’intérieur des terres, et les activités illicites relevant de l’extrémisme violent sur les côtes sont généralement prises en charge par des agences de lutte contre la piraterie.
Willem Els, coordinateur principal de la formation à l’Institut d’études de sécurité (ISS), affirme que la police maritime et les garde-côtes, le cas échéant, se concentrent davantage sur la piraterie que sur la criminalité organisée ou le terrorisme le long de la côte est-africaine. Si certains actes de piraterie sont le fait de groupes extrémistes violents, la plupart relèvent de réseaux criminels. Cependant, dans bien des cas, la police maritime ne s’intéresse ni au trafic d’êtres humains, ni au commerce d’armes dans les ports.
Les groupes al-Shabaab et Ansar al-Sunna sont très mobiles et passent par la mer pour déplacer des biens et des personnes, ainsi que pour lancer des attaques. Leurs activités dépassent néanmoins souvent le cadre des opérations antiterroristes. Parfois, ces opérations n’ont pas le mandat nécessaire pour intervenir dans les cas de « vols à main armée en mer » perpétrés par des groupes extrémistes violents sur la côte Est de l’Afrique.
Les opérations antiterroristes n’ont pas mandat pour agir sur les « vols à main armée en mer » perpétrés par des extrémistes violents
Timothy Walker, chef du Projet Maritime de l’ISS, affirme que certaines opérations maritimes de lutte contre la piraterie pourraient également se concentrer sur la prévention du terrorisme dans les eaux nationales des États participants. C’est par exemple le cas de l’opération Prosperity, dans le golfe de Guinée, et de l’opération Copper, dans laquelle les forces navales sud-africaines sont déployées dans les eaux territoriales du Mozambique.
Les mandats et les déploiements des garde-côtes et d’autres organismes répressifs maritimes diffèrent, de sorte qu’il pourrait se révéler difficile de créer une approche régionale visant les terroristes. Non seulement les groupes extrémistes opèrent au-delà des frontières maritimes, mais nombre de leurs activités se déroulent à la fois sur terre et en mer, ce qui rend difficile l’établissement de toute compétence juridictionnelle.
Selon M. Walker, des agences comme l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, l’Organisation maritime internationale, et certains pays (tels que les États-Unis) dispensent des formations visant à renforcer les capacités des États à faire face à toutes sortes de crimes. Cependant, la volonté politique d’agir et de coopérer avec les États voisins est indispensable.
Les efforts de lutte contre le terrorisme visant les trois groupes extrémistes violents qui opèrent sur la côte Est de l’Afrique se poursuivent depuis des années avec plus ou moins de succès. Aucun de ces efforts ne prend en compte l’importance des océans pour la survie à long terme de ces groupes. Les stratégies de prévention du terrorisme doivent comprendre des éléments maritimes qui permettent de mettre un terme aux activités financières et opérationnelles dont dépendent ces groupes.
Isel van Zyl, chargée de recherche, ISS Pretoria, et Tyler Lycan, analyste en sécurité maritime dans le cadre du programme Stable Seas de One Earth Future
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