Des élections crédibles, une chance pour la stabilité de la Guinée-Bissau
Mais à moins de deux mois de l'échéance, les principaux partis politiques peinent à trouver un consensus sur les règles électorales.
Les élections législatives prévues le 4 juin sont déterminantes dans le processus de stabilisation de la Guinée-Bissau. Le rapport de force politique qui en découlera conditionnera les futures réformes institutionnelles, notamment la révision de la Constitution. Discutées de longue date, elles continuent de diviser le pays.
Les législatives étaient programmées à la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale populaire (ANP) par le président de la République, Umaro Sissoco Embaló, en mai 2022. Le décret portant dissolution de l’ANP évoque certes des divergences persistantes entre celle-ci et les autres organes de souveraineté et le refus de l’audit des comptes de l’Assemblée. Il mentionne aussi le rejet par les députés de la levée de l'immunité parlementaire de certains d’entre eux.
Mais tout laisse penser que cette décision répond plutôt à une volonté du président de contrôler le pouvoir politique. En effet, depuis son accession au pouvoir, ce dernier a clairement manifesté son intention de revoir les fondements du régime semi-présidentiel de la Guinée-Bissau. Ce système d’inspiration portugaise instaure un équilibre et une collaboration entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire et les personnalités qui les incarnent.
Les partis politiques ne trouvent pas de consensus sur le renouvellement du secrétariat exécutif de la CNE
Embaló a adopté un style de gouvernance présidentialiste et a, dans la foulée, créé une commission chargée d’élaborer une nouvelle constitution qui consacre le régime présidentiel. En Guinée-Bissau, l'initiative et la révision de la constitution incombent à l'ANP qui adopte toutes propositions à la majorité des deux tiers.
Le projet de constitution, rédigé par la commission mise en place par le président Embaló, propose un régime présidentiel, avec un renforcement conséquent des pouvoirs du président de la République, qui n’a finalement pas recueilli l’assentiment des députés, y compris des alliés du pouvoir. Ce rejet semble indiquer leur volonté de conserver le système d’équilibre entre les pouvoirs, tel que défini dans la Constitution en vigueur.
La Guinée-Bissau avait opté depuis 1993 pour un régime semi-présidentiel de type portugais. À l’époque, ce choix avait été dicté par la volonté de mettre un terme à la toute-puissance du président João Bernardo Vieira, qui, par des révisions constitutionnelles, avait concentré l’essentiel des pouvoirs entre ses mains. En rejetant le projet de constitution, les députés ont peut-être également cherché à garantir un système politique inclusif qui permette aux partis politiques, en particulier ceux représentés au Parlement, de participer à la gouvernance du pays.
Le mandat de la commission électorale a pris fin en avril 2022 et le poste de président demeure vacant
C’est dans ce sens que s'inscrit la contre-proposition de l’ANP qui a soumis un projet de révision constitutionnelle privilégiant le maintien du régime actuel avec une clarification des dispositions à l’origine des tensions, et qui devaient être débattues juste avant la dissolution de l’Assemblée. Ces tensions, combinées à une gouvernance désastreuse, ont été à l’origine des nombreux coups d’État qui ont miné l’histoire de la Guinée-Bissau depuis son indépendance en 1974.
Ce désaccord sur la nature du régime rappelle que la révision de la Constitution est indispensable à la stabilité de la Guinée-Bissau. Cependant, le processus devant mener à l’adoption d’une nouvelle loi fondamentale devrait être consensuel, et surtout succéder à des élections législatives libres et transparentes aux résultats acceptés par tous.
Or, à moins de deux mois du scrutin, les principaux partis politiques, dont le Parti africain pour l'indépendance de la Guinée et du Cap-Vert, le Mouvement pour l'alternance démocratique, le Parti pour le renouveau social, l'Union pour le changement et l’Assemblée du peuple uni - Parti démocratique de la Guinée-Bissau, n'arrivent toujours pas à s’accorder sur le renouvellement du secrétariat exécutif de la Commission nationale électorale (CNE). Le mandat de la Commission, qui est d’organiser et de superviser les processus électoraux, a pris fin le 30 avril 2022. Son ancien président, José Pedro Sambú, a d'ailleurs été élu depuis décembre 2021 président de la Cour suprême, laissant le poste vacant.
Le contrôle de la CNE est important pour les acteurs politiques dans la perspective des prochaines élections
Depuis la réforme électorale de 2013, le secrétariat exécutif de la CNE est composé uniquement de magistrats, élus par les deux tiers du Parlement pour un mandat de quatre ans sur une liste proposée par le Conseil supérieur de la magistrature. Si ce changement avait permis de dépolitiser l’organe électoral et de le doter de compétences pour organiser des élections crédibles, il a été confronté à une crise de légitimité majeure à la suite de la crise post-électorale de 2019. Cela a poussé les acteurs politiques à se battre pour son contrôle dans la perspective des prochaines échéances électorales.
En l’absence d’une ANP pour élire les membres du secrétariat exécutif et le président de la CNE et devant l’urgence de sa mise en place, il est nécessaire de trouver un consensus politique sur les règles du jeu électoral pour permettre l’organisation d’un scrutin apaisé.
Pour créer les conditions d’une élection dont les résultats seront acceptés par tous, le président Embaló devrait encourager le dialogue entre les acteurs nationaux afin de trouver une solution à ce problème juridique qui aura des ramifications politiques majeures.
Les partenaires internationaux présents à Bissau, en particulier la CEDEAO, l’Union africaine, l’Union européenne, les Nations unies et la Communauté des pays de langue portugaise, devraient appuyer cette démarche. Ces cinq organisations engagées dans le processus de consolidation de la paix dans ce pays pourraient soutenir la création d’un cadre de dialogue entre les acteurs politiques et ceux de la société civile. Cela permettra de créer un climat de confiance, tant dans la perspective des élections que dans celle de la révision de la Constitution.
Paulin Maurice Toupane, chercheur principal, Bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad
Image : © AFP
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