COP28 : le Fonds « pertes et dommages » doit être à la hauteur des enjeux
Les populations africaines déplacées par le changement climatique ont besoin d’aide, mais des différends sur les modalités du fonds pourraient freiner les progrès.
Publié le 23 novembre 2023 dans
ISS Today
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L’un des résultats les plus salués de la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques de 2022 à Charm El-Cheikh (COP27) a été la décision de créer un Fonds pour les pertes et dommages. Du fait de la résistance persistante des pays riches, cet accord a mis plus de 30 ans à émerger. Néanmoins, des interrogations subsistent quant aux contributeurs, aux bénéficiaires du fonds, ainsi qu’aux conditions d’accès.
Les « pertes et dommages » désignent les conséquences des effets climatiques qui échappent aux mesures d’adaptation et d’atténuation. Les « dommages » font référence à ce qu’il est possible de reconstituer ou de réparer, infrastructures, logements, terres agricoles, cultures ou autre bétail. Les « pertes » renvoient à tout ce qui n’est pas récupérable, notamment les vies, les atteintes à la biodiversité, l’interruption des études ou l’obligation de quitter la terre de ses ancêtres.
Le Fonds pour les pertes et dommages devrait fournir un financement rapide, accessible et sans endettement pour apporter au nombre croissant de personnes déplacées par l’aggravation des effets du changement climatique en Afrique l’aide dont elles ont désespérément besoin. En 2023, les phénomènes météorologiques extrêmes ont tué au moins 15 700 personnes en Afrique et en ont touché au moins 34 millions d’autres à ce jour.
Des catastrophes climatiques, l’on peut citer un « médicane » à Derna, en Libye, des inondations et des glissements de terrain en République démocratique du Congo et au Rwanda, le cyclone Freddy qui a battu des records et une sécheresse persistante en Afrique de l’Est, dans la Corne de l’Afrique et au Sahel. Alors qu’elle ne représente que 3 à 4 % des émissions de carbone, l’Afrique est la région du monde la plus durement frappée par le dérèglement climatique.
Les pays les plus exposés ont perdu 51 % de croissance de leur PIB depuis 2000 à cause du changement climatique
Un comité de transition composé de 14 membres issus de pays en développement et de 10 membres de pays développés a été chargé de mettre en place le Fonds. Le lancement devrait se faire lors de la COP28, qui s’ouvre le 30 novembre à Dubaï. Cependant, des désaccords au sein du comité sur les modalités pourraient freiner l’avancement du projet.
La dernière réunion statutaire du comité en octobre n’a pas abouti à des recommandations. Les discussions se sont heurtées à la question de savoir qui allait héberger, administrer et alimenter le fonds. Malgré des négociations tendues, un projet de cadre a finalement été adopté en début novembre lors d’une réunion extraordinaire.
Les pays en développement ont capitulé devant l’insistance des États-Unis pour que le fonds soit hébergé et administré par la Banque mondiale. Celle-ci ayant son siège à Washington DC, ils ont fait valoir qu’elle avait l’habitude de fonctionner comme un instrument politique américain, qu’elle effectuait des transactions génératrices de revenus et qu’elle n’avait pas encore d’engagement solide en matière de lutte contre le changement climatique. À l’instar des autres fonds pour le climat, les pays en développement souhaitaient que le Fonds pertes et dommages fonctionne sous la forme d’une entité indépendante des Nations unies.
Les États-Unis, l’Australie et le Canada ont également insisté sur la nécessité de dissocier le fonds des responsabilités ou des indemnisations. Si les pays riches étaient opposés à la création de ce fonds, c’est parce qu’ils craignaient que des accords ouvrent la voie à la responsabilité juridique et à des indemnisations. Ils ont également tenu à ce que le groupe de contributeurs intègre de gros pollueurs tels que la Chine, l’Inde, la Russie et l’Arabie saoudite, et à ce que seuls les pays les moins avancés puissent bénéficier des financements.
Le fonds doit prendre en compte les déplacements subis par les personnes vulnérables
L’une des pierres angulaires de l’accord de Paris de 2015 était le principe du « pollueur-payeur ». Les pays riches, qui ont une responsabilité historique dans la crise climatique, doivent apporter une aide financière aux pays en développement à qui l’on demande aujourd’hui de se priver de croissance pour ralentir le changement climatique.
Selon les estimations d’un rapport publié en 2022 par le Groupe vulnérable des vingt (composé à cette date de 58 pays pauvres dont 24 d’Afrique), ces derniers auraient perdu un cinquième de leur richesse au cours des deux dernières décennies et auraient été 20 % plus riches aujourd’hui sans le changement climatique. Cela représente un montant total d’environ 525 milliards de dollars US. Les pays les plus exposés ont perdu 51 % de croissance de leur PIB depuis 2000. Pourtant, seuls 6 milliards de dollars sur les 30 milliards consacrés au financement de l’adaptation au niveau mondial vont à l’Afrique.
Les déplacements forcés peuvent entraîner des pertes sociales et environnementales en cascade, notamment en qui concerne les moyens de subsistance, les liens communautaires, la nourriture, l’eau, l’éducation, les soins de santé et la sécurité. Les populations obligées de quitter leurs habitations subissent des pertes et des dommages importants, que ce soit d’ordre économique ou autre. Et les coûts grimpent de manière exponentielle si tout retour est impossible.
Face à des priorités concurrentes pour un volume de financement limité, il est essentiel que le Fonds pertes et dommages prenne en compte les déplacements subis par les personnes vulnérables. Les décisions quant à sa structure, sa gouvernance, son mandat et ses décaissements doivent permettre de débloquer des enveloppes pour prévenir et gérer les déplacements forcés dus au changement climatique. Les financements doivent reposer sur l’équité et la justice et être rapidement accessibles aux communautés africaines.
L’Écosse a brisé le tabou en versant 2 millions de livres sterling pour la gestion des pertes et dommages
En 2021, l’Écosse a versé une première contribution bilatérale de 2 millions de livres sterling, devenant ainsi le premier pays à briser le tabou et à engager des fonds. Un an plus tard, lors de la COP27, 200 États se sont entendus sur la création d’un Fonds pertes et dommages afin d’indemniser les pays et les communautés vulnérables.
Le premier versement a été effectué en mars 2023 par l’Écosse au profit des populations du Malawi touchées par le changement climatique. Sur les 2 millions de livres promis en 2021, une subvention de 500 000 livres a été octroyée au Fonds d’aide internationale catholique écossais (SCIAF) pour des projets visant à construire de nouvelles digues contre les inondations et à réparer des écoles frappées par des tempêtes tropicales dans six villages du Malawi.
Un million de livres a été consacré à un partenariat avec le Fonds de résilience pour la justice climatique (CJRF) afin de faire face aux pertes et dommages sur différents continents. Le montant restant a été versé au Centre international pour le changement climatique et le développement (ICCCAD) et à l’Institut de l’environnement de Stockholm (SEI) pour financer des recherches sur les plans et principes stratégiques en matière de pertes et de dommages.
Le financement des pertes et dommages pourrait constituer une avancée majeure pour les communautés africaines. La COP28 offre une occasion unique de déterminer comment, quand, où et dans quelle mesure le Fonds pertes et dommages peut venir en aide aux personnes les plus vulnérables.
Les décideurs à tous les niveaux doivent disposer de données probantes de qualité sur la mobilité liée au climat en Afrique et sur ses nombreuses nuances. Ils doivent veiller à ce que les modalités de décaissement soient fondées sur la justice climatique et permettent un accès simple et rapide.
Aimée-Noël Mbiyozo, consultante chercheuse principale, Migrations, ISS Pretoria
Image : © Yasuyoshi CHIBA / AFP
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