CEDEAO-Niger : donner une chance à la médiation
L’absence prolongée d’accord avec la CEDEAO menace la stabilité du Niger et risque de compromettre davantage la cohésion régionale.
Publié le 07 décembre 2023 dans
ISS Today
Par
Djiby Sow
chercheur principal, bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel
Hassane Koné
chercheur principal, bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel
La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) tiendra, le 10 décembre à Abuja, un sommet ordinaire des chefs d’État qui se penchera notamment sur la situation politique au Niger. Lors du sommet précédent, le 10 août, l’organisation avait réitéré sa préférence pour une solution diplomatique à la crise née du coup d’État du 26 juillet 2023, tout en matérialisant sa menace d’intervention militaire par l’activation de sa Force en attente.
Quatre mois plus tard, la situation n’a pas connu de progrès significatif. Des divergences entre États membres de la CEDEAO, associées à un effritement du soutien extérieur (en particulier de l’Union africaine et des États-Unis), ont progressivement dissipé la perspective d’une intervention militaire ouest-africaine.
Sur le plan diplomatique, une légère décrispation a permis la visite de délégations de la CEDEAO à Niamey, dont l’une a pu rencontrer le président renversé Mohamed Bazoum le 19 août. Les discussions, tenues pour l’essentiel au niveau bilatéral avec le Nigéria, qui assure la présidence de la CEDEAO, se sont toutefois avérées infructueuses à ce jour.
Le président Bazoum et sa famille demeurent en détention et, bien qu’un gouvernement dirigé par un civil ait été nommé dès le 9 août, la période de transition n’a pas formellement débuté. Le dialogue national inclusif annoncé par les nouvelles autorités pour en fixer le contenu et la durée n’a pas eu lieu non plus.
Le sommet du 10 décembre offre une opportunité cruciale de médiation face à la crise au Niger
Cette absence prolongée d’accord politique comporte plusieurs risques. Elle menace tout d’abord d’affecter davantage la stabilité du Niger, dont la situation sécuritaire s’est significativement détériorée depuis le coup d’État. Les attaques d’ampleur contre les forces de sécurité se multiplient, celles du 3 octobre et du 15 novembre derniers ayant respectivement fait 29 et 130 morts. Le rappel à Niamey d’unités combattantes pour parer à une éventuelle intervention militaire serait l’un des facteurs explicatifs de cette tendance.
La situation politique intérieure se caractérise en outre par des arrestations de nature politique et par une réduction continue de l’espace civique, notamment marquée par l’interdiction de toute manifestation de soutien au président Bazoum. Ces tensions politiques risquent de s’aggraver avec les conséquences sociales des sanctions imposées au Niger sur le coût de la vie et l’économie nationale.
L’impasse diplomatique actuelle présente par ailleurs des dangers pour la cohésion régionale, déjà fortement affaiblie, comme l’illustre le retrait du Burkina Faso et du Niger du G5 Sahel annoncé le 1er décembre. La CEDEAO a opté pour une stratégie assumée consistant à attendre que les sanctions économiques et financières produisent leurs effets. Au-delà de la question de l’efficacité même de ces sanctions et de leur impact indiscriminé sur les populations, cette posture pourrait intensifier la dynamique de fragmentation de la coopération actuellement à l’œuvre.
L’Alliance des États du Sahel (AES), initialement conçue comme une alliance de défense collective par le Burkina Faso, le Mali et le Niger, semble en effet évoluer assez rapidement vers une organisation de coopération étendue aux domaines économique et commercial. Dans ce contexte, il convient de mesurer le risque que ces trois pays recourent à des solutions drastiques pour répondre à leurs besoins économiques et financiers, telles que la formalisation d’une union monétaire.
L'impasse politique risque d'aggraver la stabilité du Niger, accentuant les problèmes sécuritaires et les tensions politiques
Le sommet du 10 décembre constitue donc une opportunité de sortie de crise que les différentes parties prenantes doivent impérativement saisir. La première étape vers un accord politique réside dans le choix d’un médiateur. Après l’échec de la tentative de médiation algérienne, le Togo a été sollicité début novembre par les autorités nigériennes.
Connu pour sa position atypique sur la gestion des changements anticonstitutionnels de gouvernements, le Togo avait pu jouer un rôle de facilitateur dans la crise consécutive au second coup d’État au Mali et dans l’affaire des 49 soldats ivoiriens. Une initiative personnelle du président Faure Gnassingbé dans les semaines qui ont suivi le renversement du président Bazoum lui a ainsi permis d’établir un rapport de confiance avec les nouvelles autorités militaires. Il est néanmoins souhaitable que le Togo soit dûment mandaté par la CEDEAO, ou qu’il agisse en coordination avec cette dernière, pour rechercher une solution de sortie de crise acceptable.
Sur le fond, les négociations entre la CEDEAO et le Niger butent sur plusieurs points, à commencer par la libération du président Bazoum. Alors que certains acteurs extérieurs continuent d’exiger sa réinstallation, la CEDEAO demande désormais sa simple libération et son transfert vers un pays de la région accepté par Niamey. Il semble néanmoins qu’une proposition de l’organisation ouest-africaine en ce sens, portée par le Nigéria, ait été rejetée par la junte, même si elle n’exclut pas sa libération à un stade ultérieur du processus de normalisation. La présence à l’extérieur du pays du président légitime du Niger, internationalement reconnu et non démissionnaire, paraît constituer un risque trop important pour les militaires.
L’autre point d’achoppement entre la CEDEAO et le Niger concerne la durée de la transition et le caractère civil ou militaire de sa direction. Le rétablissement du président Bazoum dans ses fonctions, à l’instar d’Ahmad Tejan Kabbah en Sierra Leone en 1998, ne semble plus envisageable. Pour autant, deux scénarios restent ouverts à la médiation : une transition constitutionnelle dirigée par le président de l’Assemblée nationale, sur le modèle de la transition de 2012 au Mali avec Dioncounda Traoré, ou une transition dirigée par une personnalité civile consensuelle sur le modèle de la transition de 2014 au Burkina Faso avec Michel Kafando.
Les négociations doivent privilégier la résolution politique pour protéger les populations nigériennes et lever les sanctions
Toutefois, le fait que la CEDEAO ait accepté que les transitions au Mali, en Guinée et au Burkina Faso soient conduites par des militaires rend invraisemblable une concession des autorités militaires nigériennes sur ce point. Une nouvelle médiation devra donc privilégier les deux scénarios précités et, à défaut, obtenir de la junte nigérienne un compromis sur une durée et un chronogramme de transition acceptables par la CEDEAO.
En tout état de cause, l’inertie des discussions entre la CEDEAO et le Niger est préjudiciable aux populations nigériennes en premier lieu. Leur intérêt devra rester la préoccupation première des parties et servir de boussole aux négociations en vue d’une solution politique permettant de lever d’urgence les sanctions.
Djiby Sow, chercheur principal, et Hassane Koné, chercheur principal, Bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad
Image : © Gouvernement tchadien
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