Burkina Faso : reconquérir la stabilité au profit des populations, maintenant
Malgré l’urgence sécuritaire, la protection des civils doit être au cœur de la stratégie de reconquête du territoire.
En justifiant le coup d’État du 24 janvier 2022 par l’incapacité du régime Kaboré à surmonter le péril sécuritaire et en faisant de l’amélioration de cette situation son objectif premier, la junte au pouvoir à Ouagadougou a cristallisé les espoirs populaires d’un retour rapide à la stabilité. Trois mois après le putsch, l’insécurité reste pourtant préoccupante. La gestion de la crise par les militaires tarde à renverser le cours de l’insécurité et à mettre un terme au lot d’incidents violents et quasi quotidiens qui l’accompagne.
Selon les chiffres de l’organisation Armed Conflict Location & Event Data Project (ACLED), le pays a enregistré entre le 25 janvier et le 8 avril 2022 610 incidents de sécurité impliquant majoritairement des groupes extrémistes violents. Ils ont, au total, occasionné la mort de 567 personnes. Par rapport à la même période en 2021, les incidents ont quadruplé et le nombre de morts a triplé.
Si la courbe de l’insécurité était déjà ascendante avant le coup d’État, la déstabilisation institutionnelle qu’il a provoquée semble avoir profité, au cours des premières semaines, aux groupes extrémistes. Le mois de février a ainsi enregistré un pic de violences qui en a fait le plus meurtrier du semestre octobre 2021-mars 2022.
Évolution mensuelle du nombre d'incidents violents et de victimes octobre 2021 à mars 2022 Source : graphique de l’Institut d’études de sécurité, à partir des données de l’ACLED
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Nombre de personnes déplacées internes enrégistrées au Burkina Faso, oct. 2021 à fév. 2022 Source : graphique de l’Institut d’études de sécurité, à partir des données du CONASUR
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Les groupes extrémistes ont également renforcé au mois de février leur emprise sur les régions du Sahel, du Nord, de l’Est et du Centre-Nord. Dans la région du Sahel notamment, ils se sont employés à contrôler les voies de communication pour isoler de nombreuses localités. À la mi-février, ils sont parvenus à imposer un blocus à la ville de Djibo qu’ils menacent d’étendre à celle de Dori. Le 11 avril, dans la région du Centre-Nord, la Société des mines d’or de Taparko a été contrainte de fermer ses portes pour « des raisons sécuritaires ».
Le flux de personnes déplacées, déjà important, s’est encore amplifié sous la pression de l’insécurité. Selon le Conseil national de secours d’urgence et de réhabilitation (CONASUR), leur nombre est passé de 1 741 655 personnes à la fin janvier 2022 à 1 814 283 à la fin février, soit une hausse de 4,17 %. Le Burkina continue ainsi de faire face à la crise de déplacement forcée la plus importante du Sahel, représentant à lui seul 64 % de l’ensemble des déplacés de la région.
Face à la persistance des violences, l’euphorie constatée aux premières heures du coup d’État est retombée. Elle laisse progressivement place à des critiques sur les capacités des nouvelles autorités à ramener effectivement la sécurité.
Le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, président de la transition, s’est dit conscient des attentes. Il a toutefois justifié l’absence de progrès sur le terrain par la nécessaire phase d’installation des institutions de transition, qui devraient servir de cadre politique à l’orientation cohérente d’une lutte plus efficace contre l’insécurité. De fait, les mois de février et de mars ont été consacrés aux processus politiques qui ont notamment abouti à la définition d’une charte précisant la durée (fixée à 36 mois) et les organes de la transition, ainsi que leur composition et leurs missions. Le gouvernement et l’Assemblée législative de la transition ont aussi été installés.
Les espoirs du président de la transition reposent sur une stratégie de lutte réaménagée autour de l’action militaire et d’une approche de dialogue
Mais face à une urgence sécuritaire qui n’en finit pas, et malgré les justifications avancées, les Burkinabè ne sont pas prêts à patienter plus longtemps. Ces attentes, si elles ne sont pas convenablement prises en charge, pourraient engendrer une nouvelle crise politique qui précipiterait le pays dans une instabilité durable.
C’est dans ce contexte que début avril, Damiba a précisé ses engagements en évoquant un délai de cinq mois pour que les premiers résultats soient visibles. Ses espoirs reposent sur l’efficacité d’une stratégie de lutte réaménagée autour de l’action militaire et d’une approche de dialogue.
Au niveau militaire, des mesures ont été prises pour redynamiser l’appareil sécuritaire. Les têtes des grands commandements et des unités opérationnelles ont été renouvelées. Un Commandement des opérations du théâtre national a été créé et des militaires récemment retraités ont été rappelés pour renforcer les ressources humaines. Les autorités se sont donné pour objectif d’améliorer l’équipement et les conditions de vie des forces de défense et de sécurité. Elles ont également annoncé le lancement d’un audit de gestion de l’armée, dont les résultats devraient orienter une meilleure gouvernance interne de l’institution.
Alors que l’intensification de l’action militaire se profile, il est essentiel que les autorités fassent de la protection des civils une priorité absolue sur les théâtres d’opérations. Certaines données disponibles en septembre 2021 attribuaient aux forces progouvernementales (forces de défense et de sécurité et Volontaires pour la défense de la patrie) 10 % des exactions envers les civils. Or, l’expérience de la lutte contre l’extrémisme violent dans tout le Sahel central montre clairement que de telles exactions amplifient la spirale de la violence. Pour éviter de reproduire les erreurs du passé, il importe de ne pas confondre vitesse et précipitation.
Il est essentiel que les autorités fassent de la protection des civils une priorité absolue sur les théâtres d’opérations
Outre la redynamisation de la réponse militaire, les autorités affichent clairement une volonté de recourir au dialogue avec les groupes armés. Le ministère d’État chargé de la réconciliation nationale ainsi que le nouveau ministère des Affaires religieuses et coutumières seront des répondants politiques majeurs à cet égard. Dans son adresse à la nation du 1er avril 2022, le chef de la transition a souhaité que de tels dialogues s’appuient sur des comités locaux créés à dessein.
Des expériences ad hoc de dialogue ont déjà été menées par le passé, notamment en 2020 dans la région de Djibo. Cette expérience avait permis une accalmie relative dans cette zone, le temps de la tenue des élections présidentielles. L’initiative actuelle, à la différence du passé, bénéficie d’un portage institutionnel clairement défini, reflet d’une volonté politique assumée, même si le détail de ses contours et de son contenu reste à définir. Pour maximiser ses chances de réussite, le dialogue devra également tirer les enseignements des expériences antérieures.
L’efficacité des réponses envisagées par les autorités, qu’elles passent par les armes ou par le dialogue, dépendra largement de la qualité de mise en œuvre de ces approches, et en particulier de leur synchronisation. Clarifier le séquençage, la coordination et les articulations de ces deux composantes pourrait permettre de les activer de manière complémentaire, plutôt que concurrentielle, dans le cadre d’une stratégie coordonnée.
Dans ce contexte, les partenaires du Burkina tels que la CEDEAO, l’Union africaine, les Nations unies et l’Union européenne devraient définir des stratégies d’accompagnement souples et pragmatiques, tenant compte des évolutions du contexte national et régional.
Sans renoncer à l’exigence d’un retour à l’ordre constitutionnel dans des « délais raisonnables », leur crédibilité dépendra de leur capacité à adopter une approche constructive, au-delà des exigences, en soutenant notamment le Burkina dans la poursuite de ses objectifs de sécurité. L’adoption effective de sanctions économiques, brandie par la CEDEAO si les autorités ne révisent pas le calendrier de transition, pourrait à l’inverse enclencher une spirale négative et mener à une rupture.
Dans l’optique d’un dialogue, les organisations régionales et sous-régionales pourraient également mobiliser l’expertise et la crédibilité de légitimités traditionnelles issues de pays voisins pour soutenir les efforts envisagés au Burkina.
Le retrait des partenaires européens du Mali et les incertitudes liées aux évolutions de leurs dispositifs d’appui aux États sahéliens devraient offrir à la CEDEAO et à l’Union africaine l’opportunité d’accroître leur engagement auprès des États de la sous-région en proie à l’instabilité politique et à une insécurité grandissante.
Fahiraman Rodrigue Koné, chercheur principal, Programme Sahel, ISS Bamako
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Image : © Olympia De Maismont / AFP
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