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Burkina Faso : le bilan de deux années de transition

Le retrait de la CEDEAO entrave la difficile transition du pays vers l’ordre constitutionnel.

Les auteurs des deux coups d’État de 2022 avaient invoqué l’insécurité et la mauvaise gouvernance pour justifier la prise de pouvoir par les militaires. Tous deux ont promis de rétablir l’ordre constitutionnel d’ici juin 2024, comme convenu dans le cadre transitoire coordonné par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).

Le capitaine Ibrahim Traoré, auteur du second coup d’État et président de la transition, s’était engagé à lutter contre le terrorisme et à respecter le calendrier convenu avec la CEDEAO. Cependant le Burkina Faso, ainsi que ses voisins, le Mali et le Niger, a annoncé leur retrait immédiat de la CEDEAO. Cette décision renforce les doutes sur la capacité du Burkina Faso à respecter les échéances de la transition.

La feuille de route actualisée du 14 octobre 2022 définit quatre objectifs principaux pour les autorités de transition. Le gouvernement a réorganisé les forces de défense et de sécurité, acquis de nouveaux équipements militaires et recruté environ 10 000 fonctionnaires dans l’armée et la marine.

L’enrôlement de 90 000 volontaires pour la défense de la patrie a reçu un accueil mitigé de l’armée et du public en raison de leur formation, leur encadrement et leurs perspectives à long terme, autant d’éléments susceptibles d’aggraver l’insécurité. Le gouvernement a également créé le Fonds de soutien patriotique afin de renforcer l’engagement des citoyens en matière de sécurité. L'initiative a été financée par des multinationales, notamment des sociétés minières.

La montée de la violence et de l’extrémisme place le Burkina Faso au bord de l’effondrement

Le Burkina Faso a renforcé sa coopération politique et militaire avec le Mali et le Niger, au détriment toutefois de ses liens régionaux et internationaux. En septembre dernier, les trois pays ont créé l’Alliance des États du Sahel pour lutter contre le terrorisme et promouvoir la coopération économique. L’alliance leur assure une couverture politique et un soutien face à la pression croissante de la CEDEAO et d’autres institutions régionales, liée au respect du calendrier de transition.

Malgré ces initiatives, la sécurité au Burkina Faso s’est détériorée. Selon le Centre africain d’études stratégiques, la violence islamiste militante a tué presque trois fois plus que pendant les 18 mois précédant le coup d’État de janvier 2022, et la violence a augmenté de 46 %. Ce phénomène, couplé à la propagation d’activités extrémistes autour de Ouagadougou, place le pays au bord de l’effondrement.

Le deuxième engagement de Traoré était de résorber la crise humanitaire. Avec près de deux millions de déplacés internes et plus de 36 000 réfugiés, le Burkina a besoin d’environ 877 millions de dollars US pour fournir de l’assistance, des abris et des soins médicaux, alors que le pays ne dispose d’aucun financement.

Pour tenir le troisième engagement, celui de reconstruire l’État et d’améliorer la gouvernance, la junte a adopté une nouvelle législation majeure contre le clientélisme et le favoritisme politique dans la fonction publique. La lutte contre la corruption a conduit à l’arrestation de Vincent Dabilgou, ancien ministre des Transports, et à la condamnation de quatre autres personnes à 11 ans de prison pour détournement de fonds et blanchiment de capitaux. Toutefois, les progrès dans l’application des réformes et la lutte contre la corruption piétinent et suscite des doutes quant à la volonté réelle du gouvernement à cet égard.

Traoré a déclaré que sa priorité était de préserver la nation et non les élections

Enfin, Traoré entendait superviser l’organisation d’élections destinées à rétablir l’ordre constitutionnel et démocratique. À cinq mois à peine de la fin de la transition, rien n’est fait. Lors d’un entretien accordé à la télévision publique en septembre, Traoré a déclaré que sa priorité était de lutter contre l’insécurité et de préserver la nation, et non les élections.

Ce discours laisse entendre que le scrutin sera retardé, d’autant plus que les préparatifs techniques n’ont pas encore commencé. La précarité de la situation sécuritaire pourrait également servir de prétexte pour un report. Le retrait de la CEDEAO, avec qui l’échéance électorale avait été convenue, accentue ces craintes.

Les partis politiques se plaignent d’un manque de dialogue et appellent à la fin de la suspension de leurs activités. La société civile a dénoncé l’utilisation répressive de la loi de mobilisation générale d’avril 2023 et plusieurs de ses représentants, opposés aux choix sécuritaires du gouvernement, ont été contraints de rejoindre les volontaires pour la défense de la patrie. Des allégations d’abus commis par les forces de défense circulent, démenties par les autorités.

Le gouvernement affirme contrôler les communications pour venir à bout des groupes djihadistes. Cependant, il ne devrait pas ignorer les appels à une approche plus consensuelle favorable aux civils, surtout lorsque la cohésion nationale est vitale pour la sécurité et la gouvernance durable de l’État.

Le retrait de la CEDEAO compromet le processus de transition et les élections prévues en juin 2024

Par ailleurs, le Burkina s’est éloigné de ses anciens alliés internationaux. Bien que Traoré en ait entretenu le secret, l’augmentation constante de soldats et d’avions russes et une visite au Kremlin en juillet 2023 indiquent de nouveaux liens avec la Russie.

Cette alliance est née peu après la fin des opérations françaises. Le 6 août 2023, la France a suspendu l’aide au développement et l’appui budgétaire après le soutien de la junte aux putschistes nigériens. En réaction, le gouvernement burkinabè a dénoncé la convention de non double imposition avec la France et Air France a suspendu tous ses vols à destination et en provenance de Ouagadougou et de Bamako.

Ces difficultés sont autant d’enseignements pour les pays en transition. Les réformes électorales et institutionnelles sont essentielles pour fortifier le paysage politique. Les organisations de la société civile contribuent de manière décisive à la lutte contre la désinformation dont pâtit la démocratie. L’action civique et l’éducation à la communication numérique sont limitées dans l’environnement politique actuel, et les OSC devront élaborer des stratégies en conséquence.

Enfin, la CEDEAO devrait revoir ses protocoles sur la démocratie et la bonne gouvernance pour relever les défis auxquels elle est confrontée, notamment la non limitation des mandats. Ces protocoles datent d’une vingtaine d’années. La multiplication des coups d’État, les changements anticonstitutionnels et les retraits récents montrent qu’il est urgent de les réformer.

La décision du Burkina Faso de quitter la CEDEAO a exacerbé les principaux problèmes que rencontre la transition. Ce retrait remet en cause l’engagement de la junte à organiser des élections d’ici juin 2024, mais aussi l’ensemble du processus de transition. Cette décision, ainsi que les conflits internes, la montée de l’insécurité et les changements diplomatiques, démontre la fragilité de la transition burkinabè. Un dialogue sur le retrait et le calendrier de transition s’impose.

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