Au Niger, les conséquences de l’insécurité pour les filles et les femmes de Tillabéri

Une attention accrue aux besoins sexospécifiques des personnes affectées pourrait améliorer l’efficacité des réponses à la crise.

Au Niger, la crise sécuritaire qui sévit dans la région de Tillabéri affecte durement les communautés locales. D’après les données du projet Armed Conflict Location and Event Data (ACLED), les violences dans cette zone auraient coûté la vie à plus de 2 500 personnes depuis 2017 — soit 52,8 % des décès liés aux conflits au Niger sur la même période — faisant de cette région l’épicentre des violences dans le pays.

Début 2022, les Nations unies estimaient à plus de 99 000 le nombre de personnes  déplacées dans la région. Un chiffre qui ne cesse d’augmenter, avec des conséquences prononcées notamment pour les femmes déplacées. Dans un contexte de forte pression sur les services sociaux de base, celles-ci sont parfois confrontées à des difficultés accrues d’accès aux soins, y compris en cas de maternité. Le bureau de coordination des affaires humanitaires estime que la majorité (51 %) des personnes en besoin d’assistance humanitaire dans le pays sont de sexe féminin.

En plus des menaces communes à l’ensemble des populations affectées, les filles et les femmes sont exposées à des risques spécifiques. Mais le manque de données désagrégées par sexe entrave la mise en place de réponses publiques adaptées aux besoins sexospécifiques des victimes du conflit.

Une récente étude menée par l’Institut d’études de sécurité (ISS) et le bureau nigérien du Réseau ouest-africain pour l’édification de la paix (WANEP-Niger), en collaboration avec dix femmes des localités affectées par la violence, rend compte de l’expérience des filles et des femmes de la région de Tillabéri, à travers les témoignages de 52 d’entre elles.

51 % des personnes en besoin d’assistance humanitaire au Niger sont de sexe féminin

Elle révèle qu’outre les menaces qui pèsent sur leur vie, leur intégrité physique, leurs moyens d’existence et ceux de leurs proches, la crise sécuritaire représente pour les filles et les femmes de la région de Tillabéri un important facteur d’aggravation des violences basées sur le genre, déjà courantes en temps de paix.

Les jeunes filles sont concernées en raison des normes à la fois de genre et d’âge. Les témoignages recueillis pour l’étude indiquent qu’au regard de la précarité aggravée par la crise sécuritaire, le mariage des filles avant l’âge légal minimum – fixé à 15 ans par la loi nigérienne – constitue un mécanisme d’adaptation pour les familles. Ces dernières y recourent parfois pour limiter leurs charges financières ou établir des alliances de protection.

Avec 76 % des filles mariées avant l'âge de 18 ans, et 28 % avant 15 ans, le Niger présente, selon le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF), le taux de prévalence de mariages d’enfants le plus élevé au monde. Pourtant, les données empiriques de l’étude, collectées à 70 % par des enseignantes locales, fines observatrices des dynamiques scolaires, suggèrent des niveaux encore plus inquiétants dans certaines localités affectées par les conflits et les déplacements forcés. Une perception que corroborent d’autres enquêtes.

Le recours au mariage de filles aussi jeunes affecte négativement leur équilibre émotionnel et leur intégrité physique, surtout lorsqu’il débouche sur des relations sexuelles et des grossesses précoces. De plus, il existe un lien important, et à double-sens, entre mariage d’enfants et scolarisation des filles. Les jeunes filles précocement mariées abandonnent généralement l’école pour rejoindre leur foyer. À l’inverse, celles qui sont déjà en situation d’échec scolaire se trouvent davantage exposées au risque d’être mariées précocement.

Selon l’UNICEF, Le Niger présente le taux de prévalence de mariage d’enfants le plus élevé au monde

En cela, la fermeture en août 2022 de 817 écoles dans la seule région de Tillabéri en raison des violences et de l’insécurité, représente non seulement une entrave au droit de tous les enfants à l’éducation, mais également un risque de surexposition des filles au mariage d’enfants, et des garçons au recrutement dans les groupes armés.

Des cas de violences sexuelles liées aux conflits, telles que des viols et agressions sexuelles, sont également rapportés, même si les rares chiffres disponibles ne représentent que la partie émergée de l’iceberg. La stigmatisation sociale et parfois la banalisation qui entourent ces actes découragent bien souvent les victimes de les dénoncer.

Si la majorité de ces crimes est le fait d’acteurs armés non-étatiques, des incidents tels que ceux de mars 2021 à Téra rappellent que le danger peut également provenir des forces armées. Des membres des forces tchadiennes, stationnées dans la région dans le cadre de la Force conjointe du G5 Sahel, avaient été accusés du viol d’au moins trois personnes de sexe féminin, dont une fillette de 11 ans et une femme enceinte de 32 ans.

Enfin, l’étude consultative relève la situation particulièrement inquiétante des veuves et des enfants orphelins de victimes civiles du conflit, largement laissé·e·s pour compte. L’économie familiale étant traditionnellement dominée par les hommes, la disparition soudaine d’un mari expose son ou ses épouses – la polygynie demeure répandue au Niger – et leurs enfants à une détresse économique aiguë. Il en va de même pour les femmes âgées déjà veuves, que la perte d’un ou plusieurs fils adultes peut tout autant exposer au risque d’isolement et de paupérisation.

Des mécanismes de consultation des femmes permettraient de mieux cerner les préoccupations des populations locales

La crise ayant ralenti les activités économiques et dispersé les familles élargies, les mécanismes de solidarité sur lesquels les veuves peuvent traditionnellement s’appuyer s’avèrent de moins en moins disponibles. Il existe des programmes nationaux de soutien aux veuves de soldats tombés au combat, mais ils ne sont pas accessibles aux veuves de civils. La mise en place de dispositifs de recensement et de soutien à celles-ci est une priorité que les politiques publiques devraient intégrer.

Au-delà de la sécurisation du territoire, la réponse à l’insécurité dans la région de Tillabéri doit s’inscrire dans une large stratégie de soutien à la sécurité humaine, qui prend en compte et vise à atténuer l’impact négatif de l’insécurité sur les personnes – hommes comme femmes, filles comme garçons. Une telle réponse ne sera possible que si elle s’intéresse aux expériences et aux préoccupations exprimées par les populations elles-mêmes, y compris par les femmes en milieu rural.

À cet égard, la mise en place et l’institutionnalisation de mécanismes de consultation des femmes des communautés locales, tels que ceux expérimentés par l’étude de l’ISS et de WANEP-Niger, pourrait permettre aux pouvoirs publics de mieux cerner les préoccupations des populations locales et de maintenir un dialogue constructif quant aux réponses élaborées.

De même, le déficit de données ventilées par sexe entrave l’analyse des impacts sexospécifiques de l’insécurité, et donc la réponse aux besoins qui en découlent. Il importe que les organismes, étatiques ou non, qui produisent des données sur la situation sécuritaire, humanitaire, sociale ou économique dans les zones affectées par le conflit s'attellent à leur ventilation systématique, afin d’éclairer utilement l’action publique.

Ornella Moderan, consultante, et Fatoumata Maïga, chargée de recherche, Programme Sahel, Bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du Lac Tchad

Image : © UN Photo Niger

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