Au Mozambique, les discours victorieux ne dissuadent pas les insurgés
Les dirigeants espèrent apaiser les inquiétudes des investisseurs concernant la sécurité, qui freinent l’extraction du gaz naturel à Cabo Delgado.
Les présidents du Mozambique et du Rwanda ont déclaré victorieusement que l’insurrection de Cabo Delgado était presque terminée, suggérant qu’al-Shabaab est sur le point d’être vaincu. Les populations et les investisseurs pourraient donc revenir dans la région, qui est la cible d’attaques violentes depuis 2017. De nombreux résidents et investisseurs sont en effet revenus, alors que l’insurrection n’est pas pour autant finie.
Ces discours, pour le moins optimistes, sont prononcés après deux années de présence de troupes étrangères dans la province, déployées par le Rwanda et la Communauté de développement de l’Afrique australe, en plus des forces nationales de défense. Toutefois, si le nombre d’attaques a diminué et si les violences semblent contenues dans les districts de Palma, Mocímboa da Praia, Nangade, Muidumbe, Macomia et Quissanga, l’insécurité reste générale.
Ces déclarations semblent pour objectif de persuader les investisseurs des projets de gaz naturel liquéfié (GNL) de reprendre leurs activités. En 2021, la compagnie pétrolière française TotalEnergies a déclaré la force majeure et a suspendu la construction d’une usine de traitement de GNL d’une valeur de 20 milliards de dollars US à la suite d’une attaque contre la ville côtière de Palma.
TotalEnergies a conditionné la reprise des travaux, entre autres, au « rétablissement de la sécurité et des services publics dans la région et le retour à une vie normale pour ses habitants ».
Le retour des populations dans une zone de conflit ne signifie pas que toute menace est écartée
En mai 2023, le président Filipe Nyusi a déclaré que la situation sécuritaire de Cabo Delgado était redevenue normale et que TotalEnergies pouvait reprendre ses activités. En juin, le président rwandais Paul Kagamé a assuré que « 80 % du problème causé par l’insurrection avait été résolu » et annoncé le retour des investisseurs.
La même semaine, le ministre de la Défense du Mozambique, Cristóvão Chume, accompagné de journalistes, a visité deux des cinq districts ciblés par les militants. Il a affirmé que l’objectif principal des opérations des troupes étrangères — à savoir libérer les zones occupées par les insurgés et créer les conditions de base pour le retour de la population — avait été atteint.
Chume a précisé que 60 à 80 % des habitants qui avaient fui avaient regagné leur région d’origine, attestant ainsi de la stabilité de la situation. Il a ajouté que le seul défi qui restait à relever, était de garantir les « services de base [tels que] l’accès à l’eau, à la santé, aux infrastructures et à l’aide humanitaire afin de sortir la population de la pauvreté ».
Le déploiement de troupes étrangères dans cinq districts de Cabo Delgado a certainement contribué à déloger les insurgés de leurs bases et à les expulser des villes et villages qu’ils contrôlaient. Les données de l’Organisation internationale des migrations indiquent que fin mars 2023, parmi le million de personnes déplacées, 400 000 étaient effectivement rentrées chez elles.
Les deux seuls districts sécurisés sont ceux des zones de prospection et d’extraction de GNL
Toutefois, il n’existe pas de chiffres précis. Si certains sont rentrés chez eux, beaucoup n’y sont que partiellement parvenus, vivant dans des quartiers sécurisés sans pouvoir atteindre leur destination. Dans certaines zones, notamment à Palma, les « rapatriés » englobent des personnes qui ne sont pas originaires du district.
Le retour des populations dans une zone de conflit ne signifie pas pour autant que toute menace est écartée. L’insurrection reste active et s’est adaptée à la présence des 5 000 agents de sécurité étrangers déployés en plus des soldats mozambicains. Les insurgés délogés de leurs bases n’ont pas été vaincus et aucun de leurs chefs n’a été tué ou capturé. Ils commandent toujours des effectifs réduits, mais lourdement armés, qui attaquent les militaires, mais s’en prennent désormais moins violemment aux civils.
Le retour de nombreux déplacés pourrait également n’être que le résultat de leur besoin d’échapper aux conditions épouvantables qui prévalent dans les zones de réinstallation. Même si leurs villages restent marqués par l’instabilité et que les conditions de vie y sont médiocres, ils peuvent à tout le moins cultiver, pêcher et nourrir leur famille.
Les insurgés continuent d’infiltrer ces communautés, notamment pour radicaliser et recruter des civils. Quelques jours après les discours de Nyusi et de Kagamé, des extrémistes ont tué au moins huit soldats à Macomia, dont certains appartenaient à la Force de réaction rapide, une unité spéciale mozambicaine formée par la mission de formation militaire de l’Union européenne. Cette attaque prouve que les militants n’ont pas été vaincus et qu’il est peu probable qu’ils puissent être éradiqués par la seule force des armes.
Le soutien des populations par les militants pourrait affaiblir mais prolonger le conflit
Réalisant qu’ils ont perdu du terrain, les insurgés ont changé de stratégie, abandonnant les attaques contre les civils pour tenter de « conquérir les cœurs et les esprits », une tactique nouvelle à Cabo Delgado, mais déjà utilisée par d’autres extrémistes en Afrique. Au Nigeria, Boko Haram cherche à mobiliser les populations locales et se sert des civils comme boucliers humains pour contrecarrer les opérations anti-insurrectionnelles du gouvernement. Les militants y utilisent également les civils comme informateurs et à des fins logistiques.
Avec le retour des populations, les insurgés de Cabo Delgado disposent désormais d’un champ d’action élargi. Mais ils devront s’assurer, en recourant à l’intimidation, que celles-ci ne coopéreront pas avec les forces de sécurité. Les habitants de ces zones se retrouvent souvent dans la position peu enviable de vivre à la fois sous la menace des troupes gouvernementales et des insurgés.
À Cabo Delgado, la présence de l’État est très faible et les relations entre civils et militaires sont médiocres, les forces de défense étant accusées de torturer, voire de tuer des civils. Dans ce contexte, la stratégie des militants en soutenant les populations locales pourrait porter ses fruits et transformer l’insurrection en un conflit de faible intensité et de longue durée.
La sécurisation de la province de Cabo Delgado n’est effective que dans les deux districts où il y a des opérations de prospection et d’extraction de GNL. Ce n’est pas le cas dans les cinq districts les plus fortement ciblés par les insurgés.
Cette approche risque de favoriser la mise en place d’un modèle de sécurité non durable de type « zone verte », c’est-à-dire des poches sécurisées dans lesquelles les services publics et les affaires courantes sont assurés tandis que les districts aux alentours demeurent en proie à l’instabilité. Ce qui crée une menace permanente pour les opérateurs économiques, avec le risque que des militants attaquent ou enlèvent contre rançon des travailleurs du secteur extractif.
Pour parvenir à une véritable stabilité, les causes profondes du conflit de Cabo Delgado doivent être reconnues et traitées. Il s’agit avant tout des inégalités sociales et économiques dans le partage des richesses de la province et d’une meilleure gestion de ses ressources naturelles. La jeunesse locale a également besoin de perspectives plus prometteuses et d’opportunités : le contexte qui conduit à la radicalisation doit être transformé.
Borges Nhamirre, consultant, ISS Pretoria
Image : © Design Pics Inc / Alamy Stock Photo
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