Au Burundi, les réformes creusent les divisions du parti au pouvoir

La campagne de limogeage au sommet de l’État menée par le président Ndayishimiye montre la fragilité des récentes évolutions politiques et économiques.

Début septembre, un enregistrement audio a fuité au Burundi. On y entendrait le président Évariste Ndayishimiye accuser des personnalités politiques anonymes de comploter contre lui. Peu de temps après, il a limogé le Premier ministre Alain-Guillaume Bunyoni à l’occasion du premier grand remaniement politique depuis son arrivée au pouvoir en 2020.

Des rumeurs à propos d’un éventuel coup d’État et de tensions au sein du parti au pouvoir, le Conseil national pour la défense de la démocratie – Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), ont également circulé.

Il semble que des désaccords internes sur les réformes de politique étrangère et intérieure mises en œuvre par Ndayishimiye ces deux dernières années soient à l’origine de ce tumulte. Les changements engagés visent à redorer l’image du Burundi à l’international et à rétablir la stabilité dans le pays, ébranlée en 2015 par le projet du défunt président Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat.

La crise déclenchée par l’annonce de Nkurunziza et les sanctions imposées ensuite par les États-Unis et l’Union européenne (UE) avaient ravagé l’économie burundaise et aggravé des problèmes politiques et socioéconomiques enracinés de longue date.

Le président a promis de s’attaquer à la mainmise des élites du parti sur divers secteurs économiques

Les réformes de Ndayishimiye ont placé le Burundi sur une nouvelle trajectoire politique et économique et ont facilité le retour du pays dans la sphère internationale. Cependant, certains changements portaient atteinte aux intérêts d’élites du parti, ce qui a creusé le fossé entre le président et ses rivaux du CNDD-FDD.

Le Burundi a fait de grands progrès sur le front de la politique étrangère, en renouant notamment le dialogue avec ses voisins et en signant des accords d’infrastructures au sein de la Communauté d’Afrique de l’Est. Parmi les « réformes démocratiques » adoptées pour faciliter la levée des sanctions, on peut citer l’assouplissement des restrictions imposées aux médias, le rétablissement de la licence d’exploitation de la BBC et la libération de défenseurs des droits humains. L’UE et les États-Unis ont salué ces évolutions et ont récompensé les efforts du président en allégeant les restrictions et en rétablissant l’aide apportée au Burundi.

Au niveau intérieur, le gouvernement tente de relever les défis politiques et socioéconomiques auxquels le pays se heurte. Le président a promis de s’attaquer à la mainmise des élites du parti sur divers secteurs économiques. Dans cette optique, le ministre du Commerce a annoncé en septembre dernier que le pays allait faciliter les importations de produits de base, notamment le ciment, le sucre, le maïs et la farine de maïs. La banque centrale a levé les restrictions sur l’échange de devises étrangères, ce qui a permis aux bureaux de change de reprendre leur activité après deux ans d’interdiction.

La pénurie de devises a favorisé leur négociation au marché noir et contribué à dévaluer le franc burundais. Au début de l’année, le gouvernement est intervenu pour importer du carburant car les fournisseurs privés avaient du mal à se procurer des devises étrangères pour le faire. Le manque de carburant a exacerbé la pénurie de produits essentiels et accentué l’inflation.

La purge politique de septembre aurait ciblé des alliés de l’ancien président Nkurunziza

Si les mesures prises ont atténué les problèmes d’approvisionnement, les réformes ne font pas consensus dans la sphère politique et des doutes subsistent quant à leur crédibilité. Des défenseurs des droits humains ont lancé une pétition contre la levée des sanctions imposées par les États-Unis et l’UE, arguant que le gouvernement n’a pas encore changé la donne de façon significative. Plusieurs organisations locales et internationales de défense des droits humains restent interdites au Burundi. De surcroît, les militants et les membres des partis d’opposition sont toujours harcelés par les forces de sécurité et les Imbonerakure, la milice de jeunes affiliée au CNDD-FDD.

La nomination de Gervais Ndirakobuca pour succéder à Bunyoni tend à accréditer les allégations portées par les défenseurs des droits humains. Ndirakobuca fait toujours l’objet de sanctions de la part de l’UE pour son rôle dans la répression violente des manifestations civiles qui ont éclaté pendant la crise de 2015.

Les victoires diplomatiques du Burundi ont peut-être donné au président la latitude nécessaire pour placer ses alliés politiques aux plus hautes fonctions de l’État. De fait, la persistance de partisans de la ligne dure du CNDD-FDD comme Ndirakobuca à des postes importants dans le gouvernement jette un doute sur la crédibilité des réformes.

Les revirements politiques de Ndayishimiye ont également exacerbé les tensions au sein du CNDD-FDD. Des informations selon lesquelles la purge politique de septembre aurait ciblé des alliés de l’ancien président Nkurunziza ont encore aggravé ces discordes. Outre Bunyoni, la campagne de limogeage a aussi touché le chef de cabinet civil Gabriel Nizigama, cinq ministres et 54 commissaires de police provinciaux.

Certains hauts responsables s’opposent à une modification des politiques d’importation qui porte atteinte à leurs activités

Sans surprise, certains hauts responsables se sont opposés à une modification des politiques d’importation qui portait atteinte à leurs activités lucratives. Beaucoup accusent Bunyoni et d’autres membres influents du parti d’avoir tenté de saboter l’assouplissement des restrictions sur les importations, après avoir profité de la pénurie de produits de base en faisant monter les prix au marché noir.

Si l’on en croit les rumeurs de coup d’État, les membres lésés du parti pourraient être prêts à recourir à la violence pour bloquer les réformes. Les violations constantes des droits humains et les activités des Imbonerakure menacent également la stabilité politique du pays. Une chose est claire : les réformes de Ndayishimiye ont révélé des fissures dans le paysage politique du Burundi.

Au cours des prochains mois, le gouvernement devra veiller à la crédibilité de ses réformes, notamment aux yeux des citoyens. Il lui faudra lever les interdictions imposées aux organisations de défense des droits humains et libérer les militants emprisonnés. Les activités violentes des Imbonerakure contre la population devront également cesser.

Le président devra gérer avec prudence les tensions au sein du CNDD-FDD, ce qui pourrait supposer de prendre en compte les intérêts économiques de certains de ses rivaux. Malgré les dissensions au sein de son parti, le remaniement politique de septembre devrait donner à Ndayishimiye plus d’assurance pour faire avancer les réformes.

Chido Mutangadura, consultante, projet L’Afrique dans le monde et programme de formation pour la paix, ISS Pretoria

Image : © AFP

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