Afrique : où sont les bonnes nouvelles ?

Malgré des turbulences politiques et économiques suscitant des inquiétudes légitimes, il y a également des raisons de se montrer optimiste.

Le discours sur l'Afrique a été teinté de morosité cette année. Lors d'une récente table ronde d'investisseurs à Londres, il y a eu un silence embarrassé lorsqu'on a demandé aux participants quelles étaient les bonnes nouvelles. L'explosion des devises et l'inflation galopante, l'augmentation des prix des denrées alimentaires et des carburants, ainsi que les menaces constantes pour la sécurité (y compris un nombre croissant de coups d'État) ont sérieusement refroidi les investisseurs à l'égard du continent.

Les poids lourds de l'économie africaine sont particulièrement en difficulté : l'Éthiopie est confrontée à une guerre civile permanente, le Nigeria à l'insécurité, l'Égypte aux chocs externes du conflit entre la Russie et l'Ukraine et l'Afrique du Sud à des délestages persistants.

Il y a pourtant des raisons d'être optimiste. Sur le plan politique, les élections au Kenya et en Zambie ont été pacifiques avec une passation de pouvoir sans heurts. La Zambie a démontré sa maturité l'année dernière lorsque l'ancien président Edgar Lungu, enclin à l'autoritarisme, a reconnu sa défaite sans contestation. Et le Kenya a relevé le défi de surmonter sa propension aux violences électorales en organisant cette année l’élection la plus pacifique depuis 1992. Pendant ce temps, les majorités des partis au pouvoir se sont érodées à mesure que les dividendes de la libération s'estompaient dans des pays comme l'Afrique du Sud, l'Angola et le Botswana.

Pris ensemble, ces éléments révèlent un paysage démocratique contrasté plutôt que globalement négatif. Ils montrent également que les victoires des candidats sortants ne sont plus acquises. Cela est dû en grande partie à un électorat plus jeune et impatient, qui ne se laisse pas influencer par l’esprit partisan et le poids de l'histoire.

Les jeunes exigent plus d'efficacité et de responsabilité de la part de leurs dirigeants. Ils sont également plus disposés à changer d'allégeance en cas d'échec, ce qui alimente la résurgence des oppositions politiques en Afrique. Cela crée plus de dynamisme dans une vie politique où les dirigeants doivent être à la hauteur ou partir.

D'autres parties du continent ont également procédé à des réformes politiques. En Tanzanie, Samia Suluhu Hassan a ouvert l'espace politique, réengagé le monde des affaires et mis fin au déni vis-à-vis de la COVID-19 du régime de John Magufuli.

De même, en Côte d'Ivoire, Alassane Ouattara est revenu sur des années d'animosité avec son rival politique de longue date, Laurent Gbagbo, en annulant la condamnation à 20 ans de prison prononcée contre l'ancien homme d'État en 2018. Entre-temps, Ouattara a supervisé un processus de dialogue politique et un réengagement avec l'opposition politique, ce qui devrait contribuer à la stabilité de son pays.

Les jeunes sont plus enclins à changer d'allégeance en cas d'échec, ce qui stimule le jeu politique

Et Félix Tshisekedi a réussi à garder le contrôle d'une République démocratique du Congo (RDC) volatile, générant un calme relatif dans le proverbial baril de poudre de l'Afrique — malgré les problèmes à l'est et avec le Rwanda. La RDC a pu ainsi renouer le contact avec des organismes multilatéraux tels que le Fonds monétaire international (FMI) et apaisé la consternation face à ce qui reste une économie hautement lucrative.

Il y a eu également des développements positifs sur le plan économique. Bien que l'Afrique soit toujours en proie à des difficultés budgétaires et de balance des paiements, les programmes du FMI ont été largement adoptés — par pas moins de 25 pays — et les engagements financiers ont dépassé les 16 milliards de dollars. Ce qui montre une orientation plus pragmatique et moins idéologique de la politique des gouvernements en place.

Les efforts de privatisation et de déréglementation en Angola, le nouveau système de crédits carbone du Gabon et la décision de l'Afrique du Sud d'ouvrir la production d'électricité aux acteurs privés sont autant de changements politiques dynamiques qui produiront des dividendes à long terme.

Bien que les marchés financiers n'aient pas été tendres avec les souverains africains, les nouvelles sont plus réjouissantes dans d'autres domaines. La trajectoire des investissements directs étrangers en Afrique est encourageante, comme en témoigne la forte reprise des flux entrants depuis les creux de 2020. Selon le dernier Rapport sur l'investissement dans le monde de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement, les investissements directs étrangers en Afrique ont atteint un niveau record de 83 milliards de dollars en 2021.

La part des investissements directs étrangers mondiaux sur le continent a également augmenté, passant de 4,1 % en 2020 à 5,2 % en 2021. Les entreprises des économies dites « vertes » et « bleues » représentent la majorité des entrées de capitaux.

En outre, le climat macroéconomique actuel a attiré l'intérêt des étrangers et a permis une série de fusions et d'acquisitions très médiatisées sur le continent africain. Avec plus de 12 milliards de dollars US de transactions signées au cours du premier semestre 2022, l'activité dans le secteur pétrolier et gazier africain se distingue et devrait dépasser les niveaux d’avant la pandémie. Parmi les opérations notables, citons la fusion de Tullow avec Capri-corn Energy et celle d'Eni avec bp en Angola pour créer Azule Energy.

Les investisseurs internationaux injectent des fonds dans les start-up africaines, avec plus de 4,3 milliards de dollars levés en 2021

En 2021, DP World, basé à Dubaï, a acquis la société sud-africaine Imperial Logistics, tandis que le brasseur néerlandais Heineken continue de faire la cour à Distell. L'opération de plusieurs milliards de rands a été approuvée sous conditions par la Commission sud-africaine de la concurrence et attend l'approbation finale du Tribunal de la concurrence. Ces entreprises sont principalement motivées par des valorisations bon marché et par la capacité des acteurs étrangers à tracer une empreinte claire sur le continent.

L'univers des investisseurs s'élargit également à mesure que les puissances établies (États-Unis, Chine et Europe) et les puissances émergentes comme l'Inde et la Turquie renforcent leurs engagements stratégiques.

L'accord sur la zone de libre-échange continentale africaine stimulera davantage les perspectives de commerce et d'investissement à mesure que les efforts d'intégration s'accéléreront. La phase pilote de l'accord, actuellement en cours, a franchi une étape importante le 23 septembre lorsque le Kenya a effectué sa première exportation vers le Ghana. À court et moyen terme, d'autres transactions sont attendues entre les pays de la phase pilote.

Enfin, les investisseurs internationaux continuent à injecter de l'argent dans les jeunes entreprises innovantes africaines, les quatre grands moteurs régionaux (Afrique du Sud, Nigeria, Kenya et Égypte) s’attirant la part du lion. Les start-up africaines ont levé plus de 4,3 milliards de dollars US en 2021, soit 2,5 fois plus qu'en 2020. Le succès des entreprises Fintechs et la prolifération de licornes telles que Fawry, Interswitch, Jumia et Flutterwave ont généré un optimisme supplémentaire autour de ces perspectives. Et la population du continent étant jeune, innovante et férue de technologie, ces tendances devraient se poursuivre.

Contrairement à l'afro-pessimisme ambiant, l'Afrique reste une destination attrayante pour les capitaux extérieurs. Si l'on en croit l'évolution du marché mondial de l'énergie, cet attrait n'est pas éphémère. Le conflit entre la Russie et l'Ukraine, l'insécurité énergétique en Europe et la transition vers l'énergie verte sont autant de facteurs qui offrent à l'Afrique une chance unique.

L'environnement macroéconomique a permis une série de fusions et d'acquisitions très médiatisées

La perspective de verrouiller un client lucratif en Europe a fait naître chez les gouvernements et les investisseurs africains l'urgence de finaliser les réformes structurelles et les projets d'infrastructure clés. En Afrique du Nord et de l'Ouest, il est question de reprendre et d'achever des grands projets de pipelines qui les relient à l'Europe, comme les gazoducs Nigeria-Maroc (25 milliards de dollars) et transsaharien (13 milliards de dollars).

Et au Mozambique, la multinationale italienne de l'énergie Eni envisage la construction d'une deuxième plateforme flottante de gaz naturel liquéfié pour répondre à la hausse de la demande européenne. Ailleurs, l'Afrique australe et centrale est dotée de ressources telles que l'hydrogène vert et d'autres ressources nécessaires aux technologies durables, comme le cobalt et le lithium, qui font de ces régions des bénéficiaires clés de la transition vers l'énergie verte.

Ces tendances permettront au continent de s'attaquer à plusieurs problèmes à la fois. Le dynamisme des recettes tirées de la vente des minéraux renforcera les bilans publics, tandis que les investissements en capital fixe entraîneront les entrées de capitaux étrangers dont nous avons tant besoin, et l'amélioration des bases structurelles.

L'Afrique a certainement sa part de problèmes, mais les perspectives sont importantes et il faut éviter les généralisations. À côté des coups d'État, on trouve des pays qui s'acheminent vers la consolidation démocratique, et à côté des difficultés économiques, on voit de nouveaux secteurs qui promettent d'offrir des gains importants aux investisseurs avisés.

Les tendances géoéconomiques, les réformes politiques et l'engagement plus important de la société civile signifient également que les ressources vertes de l'Afrique deviennent moins une malédiction et plus une opportunité. Par exemple, le Gabon est en passe d’être le premier pays à adopter les crédits carbone pour atténuer la dégradation de l'environnement et promouvoir le développement durable. Et si tout se passe comme prévu, le secteur du gaz naturel liquéfié du Mozambique pourrait être l'un des premiers en Afrique à voir le déploiement à grande échelle de la technologie de capture du carbone.

Les investisseurs doivent regarder au-delà des apparences négatives et trouver les poches de croissance et de succès qui existent.

Ronak Gopaldas, consultant ISS, directeur de Signal Risk et cofondateur de Mindflux Training, et Menzi Ndhlovu, analyste principal du risque pays et du risque politique, Signal Risk

Image: © Vesselfinder.com

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