L’Afrique détient les réponses à la crise énergétique en Europe liée à la guerre

Pour ne plus dépendre des énergies fossiles russes, l’Europe doit se tourner vers les énergies renouvelables africaines.

Le plan REPowerEU de la Commission européenne vise à réduire de deux tiers la demande de gaz russe en 2022 et à rendre l’Europe indépendante des combustibles fossiles russes d’ici 2030. En 2021, l’Union européenne (UE) a importé 155 milliards de mètres cubes de gaz naturel de Russie, soit près de 40 % de sa consommation de gaz.

Les contraintes qui pèsent sur le pétrole et le gaz russes vont inévitablement provoquer la recherche de nouveaux approvisionnements en Afrique, la région du monde ayant le moins fait l’objet d’exploration. À la mi-février déjà, en marge du sommet UE-Union africaine (UA), la présidente de la Tanzanie, Samia Suluhu Hassan, a déclaré que les tensions en Ukraine suscitaient un regain d’intérêt pour les réserves gazières du pays, les sixièmes plus importantes d’Afrique.

Outre son potentiel d’énergie solaire et en production hydroélectrique verte, l’Afrique pourrait émerger comme la nouvelle frontière mondiale pour l’exploration des hydrocarbures. En effet, les développements de la situation en Ukraine et en Russie augmentent la demande en combustibles fossiles non russes. Au cours de la seule année 2021, on a découvert du pétrole et du gaz en Angola, en Namibie, au Ghana, en Côte d’Ivoire, en Égypte, en Afrique du Sud et au Zimbabwe.

La reprise et l’intensification des projets d’énergie solaire en Afrique du Nord pourraient permettre de remplacer la totalité du gaz russe comme source d’énergie pour l’Europe. En fait, l’invasion de l’Ukraine par la Russie pourrait déclencher une renaissance énergétique de l’Afrique, lui faisant ainsi faire un grand bond en avant en offrant la possibilité à l’Europe et à l’Afrique de ne plus utiliser de combustibles fossiles. Cette renaissance serait susceptible aussi de stimuler et diversifier les économies stagnantes d’Afrique du Nord et de rendre commercialement viables de grands projets tels que le barrage hydroélectrique Grand Inga en République démocratique du Congo (RDC).

Les projets solaires en Afrique du Nord pourraient entièrement remplacer le gaz russe comme source d’énergie pour l’Europe

La Fondation DESERTEC encourage depuis des dizaines d’années la création de grandes fermes solaires dans le Sahara. En Afrique du Nord, les projets de la fondation ont été contrecarrés par l’instabilité causée par les Printemps arabes et l’étonnant manque de prévision de l’Allemagne, qui mise sur le gaz russe.

En théorie, le Sahara pourrait fournir quatre fois plus d’énergie que la demande mondiale actuelle. Même une fraction de ce potentiel pourrait remplacer l’énergie provenant des importations de gaz russe. L’énergie solaire peut également se développer rapidement, peut-être en devançant les plans de construction de nouveaux terminaux de gaz naturel liquéfié. L’énergie solaire est également beaucoup plus respectueuse de l’environnement que la fracturation, technique en pleine croissance aux États-Unis, ou l’intensification de la production de pétrole et de gaz par l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l’Iran et le Venezuela.

Il faudra mettre en place des infrastructures supplémentaires pour acheminer vers l’Europe l’électricité solaire provenant d’Afrique du Nord. Une fois les systèmes solaires mis en place et opérationnels, ils doivent être raccordés. À cet égard, le projet de boucle électrique méditerranéenne devrait donc être renforcé. Il faudrait installer davantage de câbles électriques sous-marins raccordés au sud de l’Europe, puis au réseau électrique européen.

Certains projets sont déjà en cours de réalisation. La Tunisie et l’Algérie prévoient la construction de tunnels sous le canal de Sicile, pour raccorder l’Italie et l’Espagne, et des discussions ont lieu concernant des projets de raccordement au Maroc par des câbles sous-marins à haute tension à courant continu d’une capacité de 3,6 GW. La Grèce et l’Égypte sont dans la phase finale d’un accord pour une interconnexion sous-marine d’une capacité de 2 GW.

L’Afrique pourrait répondre à une grande partie de la demande européenne en hydrogène vert

L’Europe disposant du plus grand réseau électrique synchrone au monde, il est relativement facile d’y raccorder des capacités supplémentaires et de trouver d’autres voies d’approvisionnement pour transporter l’électricité vers le nord. Il existe des projets pour toutes ces questions, mais à ce jour, l’Allemagne, première économie d’Europe, privilégie sa dépendance à l’égard des combustibles fossiles russes.

Il y a cependant des défis à relever. Recouvrir de panneaux solaires 20 % de la superficie du désert du Sahara, comme l’a modélisé une étude récente, pourrait augmenter les températures locales dans le désert de 1,5 oC. Cependant, la contrepartie est une réduction des émissions de CO2 que ces gigantesques fermes solaires apporteraient.

Advancing Earth and Space Science a publié récemment des analyses et des modélisations sur le sujet. Les auteurs ont noté qu’une « planification spatiale minutieuse et une plus grande efficacité des panneaux solaires seront nécessaires pour minimiser les conséquences involontaires des grandes fermes solaires dans le désert en Afrique du Nord ».

Les conséquences d’un projet d’une telle envergure nécessitent des recherches supplémentaires compte tenu des répercussions possibles sur le climat mondial. Entre-temps, des initiatives plus modestes pourraient compenser le déficit énergétique qui résulterait de l’arrêt des importations de gaz russe.

Le barrage Grand Inga promet hydrogène et acier vert : un éléphant blanc qui deviendrait réalité

Lorsque la demande européenne est faible, le surplus d’électricité pourrait fournir de l’énergie pour le dessalement de l’eau de mer en Afrique du Nord. Si les stations de dessalement sont situées dans la région, les exigences associées en termes de fabrication et de maintenance constitueront une opportunité d’industrialiser les économies stagnantes d’Afrique du Nord.

Le potentiel de production d’hydrogène vert par le biais de grands projets hydroélectriques en Afrique est la deuxième solution en attente, bien que plus controversée sur le plan environnemental et écologique. L’Afrique possède le plus grand potentiel hydroélectrique inexploité au monde, avec seulement 37 GW de capacité installée, soit environ 11 % de son potentiel. Le continent y a ajouté moins de 1 GW en 2020, contre 14,5 GW supplémentaires en Asie de l’Est et dans le Pacifique.

La principale raison de cette faible mise en œuvre est la nécessité de disposer de réseaux d’acheminement de l’électricité du barrage au consommateur, comme dans le cas du projet de barrage Grand Inga (qui a un potentiel de 42 GW).

Les deux premiers barrages, Inga l et Inga ll, sont déjà construits, et la mise en marche d’Inga lll est imminente. Mais le Grand Inga, plus important, est en projet depuis les années 1950. Ce mégaprojet est perpétuellement retardé par une mauvaise planification, des inefficacités, la corruption, et par la nécessité de poser des lignes électriques de transmission sur plusieurs milliers de kilomètres vers les marchés sud-africain et nigérian.

Le Grand Inga peut devenir commercialement viable dès l’instant où il utilise sa vaste production d’électricité pour produire de l’hydrogène à la source et convertir les gisements de minerai de fer et de bauxite en acier. Les produits finis, hydrogène vert et acier vert, pourraient être expédiés en Europe notamment par voie maritime.

Avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, on estimait que la demande annuelle en hydrogène passerait de 90 à 140 millions de tonnes en 2030, la part de l’hydrogène vert représentant 20 %. L’Europe, en particulier l’Allemagne, est avide d’hydrogène vert et son potentiel y est vanté de manière exponentielle depuis l’invasion de l’Ukraine. L’Afrique pourrait répondre à une grande partie de cette demande, en fournissant au passage de l’énergie à la RDC dont le taux d’électrification est parmi les plus faibles du monde.

Un projet Grand Inga basé sur l’hydrogène comme combustible du futur et sur l’acier vert pourrait faire de ce rêve une réalité, avec des avantages énormes pour une région qui possède parmi les plus grandes réserves de minerais au monde. Nombre de ces minerais sont cruciaux pour une transition mondiale vers les énergies renouvelables, notamment pour la production de batteries.

Même s’il ne sera pas facile pour l’UE de diminuer sa dépendance à l’égard du gaz russe, l’Afrique peut l’aider à la réduire. Elle pourrait également faciliter le passage de l’économie mondiale aux énergies renouvelables en profitant de cette occasion pour accélérer son propre développement et utiliser directement les énergies renouvelables. Alors, qui fera avancer les choses ?

Jakkie Cilliers, responsable du programme African Futures & Innovation, ISS Pretoria

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Image : © Green Egypt solar

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