ZLECAf

ZLECAf : des coûts initiaux pour des bénéfices importants en perspective

Malgré les écueils, la mise en œuvre de la zone de libre-échange continentale africaine affiche des résultats prometteurs.

Bien que l'Afrique représente 17,9 % de la population mondiale, elle ne génère que 3 % du produit intérieur brut (PIB) de la planète et 2,5 % de ses exportations, qui se composent principalement de biens primaires. En conséquence, le continent n'a pas encore maximisé les gains que pourrait générer la mondialisation. Afin de stimuler les échanges commerciaux, l'Union africaine (UA) a annoncé son intention d'instaurer la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) en 2012.

Conformément à l'Agenda 2063 de l'UA, la ZLECAf s'appuie sur des politiques commerciales pour créer un marché continental unique et promouvoir le développement industriel en tant que moteur de croissance et de développement durable afin d’atteindre l'« Afrique que nous voulons ». Après une série de réunions entre la Commission de l'UA et les États membres entre 2012 et 2018, l'accord a été ouvert à la signature le 21 mars 2018. Ratifiée par 24 États membres, la ZLECAf est entrée en vigueur le 30 mai 2019. Afin de la stimuler, l'UA a fait de l'accélération de la ZLECAf le thème de l'année 2023.

Des priorités et des bénéfices

L'Afrique est fortement tributaire de ses échanges commerciaux avec le reste du monde, ses exportations se concentrant sur un nombre restreint de biens primaires. De leur côté, les exportations de produits manufacturés portent essentiellement sur des produits issus de l'exploitation de ressources naturelles, soumis à la volatilité des prix mondiaux. Par conséquent, la contribution de l'Afrique aux chaînes de valeur mondiales est essentiellement celle d'une production en amont, caractérisée par la fourniture de produits du secteur primaire. Cette dépendance excessive à ce type de production a progressivement exposé le continent aux fluctuations de la demande et de l'offre extérieures, ce qui a eu d'énormes répercussions sur les efforts de développement et de réduction de la pauvreté. En favorisant le commerce intra-africain et les chaînes de valeur régionales, la ZLECAf sera un moteur essentiel de la transformation structurelle et de l'industrialisation de l'Afrique. Elle réduira sa vulnérabilité aux chocs extérieurs, diversifiera ses exportations et stimulera ses performances économiques.

Grâce aux chaînes de valeur régionales développées dans le cadre de la ZLECAf, les États membres renforceront leur compétitivité mondiale, poursuivront la diversification de leurs exportations et augmenteront leurs exportations de produits manufacturés à forte valeur ajoutée. Ces évolutions aideront les pays africains à réduire leurs importations et leur dépendance à l'égard de biens qui pourront, à leur tour, être produits et échangés sur le continent. Ceci aura un effet d'entraînement important sur la balance commerciale des États.

L'accord de la ZLECAf donne la priorité à l'industrialisation des secteurs de l'agroalimentaire, de l'automobile, des produits pharmaceutiques, du transport et de la logistique, en fonction du potentiel de substitution des importations et des capacités de production. Ces secteurs offrent un potentiel plus élevé de création de valeur ajoutée locale, de génération d'emplois et de croissance économique, permettant ainsi d'accélérer la réduction de la pauvreté.

L'UA a fait de la ZLECAf son thème pour 2023, orientant ainsi les activités de l'année

L'accord prévoit en outre que les États parties éliminent toute mesure restrictive qui entrave l'approvisionnement transfrontalier, la consommation à l'étranger, la présence commerciale et la circulation temporaire des personnes. Les États ont convenu de commencer par cinq secteurs prioritaires : les services aux entreprises, les services de communication, les services financiers, les services de transport et les services touristiques. Les secteurs à libéraliser ultérieurement seront entre autres la construction et l'ingénierie connexe, la distribution, l'éducation, l'environnement, la santé et les services sociaux.

Avec ces priorités et les avantages qui en découlent, l'accord offre à l'Afrique une occasion unique de réaliser la vision qui est depuis longtemps la sienne, à savoir celle d'un marché intégré à l'échelle du continent. Celui-ci est également voué à transformer les économies et à accroître sensiblement la part de l'Afrique dans les échanges commerciaux mondiaux, ce qui lui permettra de se positionner en tant que force internationale dynamique. Des recherches antérieures de la Banque mondiale indiquent que la ZLECAf pourrait doubler le volume des échanges intra-africains d'ici à 2035, augmenter les investissements directs étrangers de 111 % à 159 % et accroître le PIB de 1,4 % à 2,7 %. Le revenu réel des Africains pourrait ainsi passer de 7 à 9 % d'ici 2035, réduisant à 45 millions le nombre de personnes vivant dans l'extrême pauvreté.

Des défis de mise en œuvre

La taille, le niveau de développement et de diversification des activités économiques varient considérablement d’un pays africain à l’autre. En 2022, par exemple, les Comores, le Cap-Vert, São Tomé-et-Principe et les Seychelles comptaient moins d'un million d'habitants, tandis que le Nigeria, l'Éthiopie et l'Égypte en abritaient plus de 100 millions. Il y va de même pour le poids économique des États. Le Nigeria, l'Afrique du Sud et l'Égypte affichent des PIB supérieurs à 300 milliards de dollars US, tandis que ceux de la Gambie, du Soudan du Sud, des Seychelles, de la Guinée-Bissau, des Comores et de São Tomé-et-Principe n’atteignent pas les deux milliards.

L'expérience, notamment celle de l’Europe, montre que l'inclusion d'États à des stades de développement différents tend à profiter aux plus avancés, les moins développés accusant un retard plus important à court et à moyen termes. Comme tout autre accord de libre-échange, la ZLECAf ne garantit donc pas nécessairement un gain de prospérité immédiat pour tous. Dans un premier temps, elle pourrait en effet entraîner des coûts pour certains pays. Elle exacerberait, par exemple, la concurrence sur les marchés nationaux, entraînant des fermetures d'entreprises et une augmentation du chômage, les investissements initiaux se déplaçant vers des économies plus compétitives. Ainsi, la ZLECAf est susceptible de faire des gagnants et des perdants, l'hétérogénéité des pays africains devenant un obstacle majeur à la participation et à la coopération dans sa mise en œuvre.

La ZLECAf pourrait générer des coûts initiaux, en particulier pour les pays les moins développés

Comme tout accord de libre-échange, la ZLECAf pourrait générer des coûts initiaux, en particulier pour les pays les moins développés. À mesure que les recettes douanières diminuent, les industries subissent des transformations, les chaînes de valeur sont réorganisées et des emplois sont supprimés. Il peut en résulter des pertes et une plus grande inégalité de revenus, ainsi qu’une augmentation du chômage, surtout si cette libéralisation du commerce ne s'accompagne pas de mesures permettant à tout un chacun de saisir les nouvelles opportunités émergeant ailleurs.

Certains États membres, conscients de cela, sont d'ailleurs réticents à l'égard de la libre circulation de la main-d'œuvre. En janvier 2023, seuls le Rwanda, le Niger, São Tomé-et-Principe et le Mali avaient ratifié le protocole de la ZLECAf sur la libre circulation des personnes.

Les concessions tarifaires restent également une question sensible. On s’attend à une réduction des recettes fiscales pour les États, alors que les revenus des droits de douane génèrent des recettes considérables pour la plupart des économies africaines. Ainsi, des pays comme la République centrafricaine, le Tchad, les Comores et la République démocratique du Congo dépendent des recettes tarifaires intracontinentales pour plus de 5 % de leurs revenus. En janvier 2023, bien que la plupart des pays africains (45) aient soumis des listes provisoires de concessions tarifaires, certains, dont Djibouti, la Libye, le Mozambique, la Somalie, la République sahraouie et le Soudan, ne l'ont pas encore fait.

Des efforts et quelques réussites en 2023

Parmi les succès, citons le fonds d'ajustement lancé en mars 2023 pour compenser les pertes de recettes. Ce fonds devrait aider le secteur privé à s'adapter au nouvel environnement commercial de la ZLECAf.

Certains points restent toutefois à éclaircir, notamment la définition de l'origine nationale des produits et l'établissement de seuils de contenus locaux ou de valeur ajoutée locale avant qu'un article ne soit réexporté. Les 2e et 3e réunions extraordinaires et la 12e réunion du Conseil des ministres de la ZLECAf en décembre 2023 ont convenu de lignes tarifaires spécifiques, pour autant que les produits non d’origine utilisés ne dépassent pas la barre des 60 %. Cette règle garantira que les préférences de la ZLECAf soient accordées à des activités industrielles significatives afin d'attirer davantage d'investissements. Le Conseil a décidé d'interdire le commerce des biens d'occasion.

L'initiative de commerce guidé avait intégré des États répondant à des exigences commerciales minimales

Les échanges commerciaux de la ZLECAf ont débuté dans le cadre de l'initiative de commerce guidé, qui a permis aux pays membres répondant à des exigences commerciales minimales et à leurs entreprises privées ou publiques de tirer parti du libre-échange. En 2023, le champ d'application de l'initiative s'est élargi, avec 35 pays membres issus de cinq régions à la ZLECAf, y compris des États insulaires.

Lors de la 17e session extraordinaire du Conseil des ministres de la ZLECAf en novembre 2022, il a été convenu de conclure les négociations sur les protocoles relatifs au commerce numérique et aux femmes et aux jeunes avant juillet 2023. Malgré des retards, ceux-ci ont été adoptés lors de la réunion de la Conférence de l'UA de février 2024.

Le thème de l’année

En faisant de 2023 « L'année de la ZLECAf : accélération de la mise en œuvre de la Zone de libre-échange continentale africaine », une étape clé a été franchie. Le thème traduit un engagement politique accru en faveur de l'avancement de la ZLECAf et de la réalisation des aspirations et des objectifs de l'Agenda 2063. Les activités liées à la thématique ont renforcé la collaboration entre les États membres, les communautés économiques régionales, les organes de l'UA, le secteur privé et les partenaires de développement. Elles concernent notamment la promotion du commerce intra-africain de produits à valeur ajoutée et du commerce dans tous les secteurs de l'économie africaine.

Pour un développement harmonieux de la ZLECAf, l'UA doit trouver des solutions aux problèmes liés aux règles d'origine, aux réductions tarifaires et aux questions relatives au traitement des produits sensibles. Sa mise en œuvre est, après tout, le chapitre le plus exigeant de la ZLECAf.

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