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Unification, division, guerre prolongée : quel sera l’avenir du Soudan ?

Le conflit soudanais a atteint un stade critique, marqué par l’évolution des dynamiques militaires, de la fragmentation politique et de l’influence extérieure.

Au début de l’année 2025, le conflit au Soudan a pris une tournure très inquiétante, les efforts de résolution du conflit ayant été freinés par des changements tactiques sur le champ de bataille et des évolutions dans le rôle des acteurs locaux et internationaux. Les instances politiques de l’Union africaine (UA), en particulier le Conseil de paix et de sécurité (CPS), se sont retrouvées face à un contexte très différent marqué par une médiation compromise, une évolution des dynamiques militaires et la possibilité d’une division du Soudan.

Dans ce contexte, la Cour internationale de justice s’apprête à évaluer la requête du Soudan contre les Émirats arabes unis (EAU). Les chefs de factions, les généraux Mohamed Hamdan Dagalo (Hemedti) et Abdel Fattah al-Burhan, font l’objet de sanctions américaines, les Forces de soutien rapide (FSR) sont accusées de génocide et le Soudan pourrait être gouverné par deux ou plusieurs administrations rivales.

Alors que les combats s’intensifient, les efforts nationaux et internationaux n’ont abouti à aucune solution nouvelle. Au contraire, l’approche militaire, sans succès définitif, est toujours privilégiée, la nécessité de négociations inclusives a été soulignée et la fin du soutien extérieur aux parties belligérantes a été préconisée. Compte tenu de l’évolution du paysage politique, militaire et diplomatique, le Groupe de haut niveau et le comité des cinq chefs d’État de l’UA doivent adapter et renforcer leurs stratégies, d’autant plus que le conflit dure désormais depuis plus de deux ans.

Une évolution inquiétante

Au cours du premier trimestre 2025, un certain nombre d’évènements militaires, politiques et diplomatiques ont apporté leur lot d’incertitudes. Les Forces armées soudanaises (FAS), qui étaient sur la défensive depuis le début du conflit, ont repris le contrôle de territoires détenus par les FSR. Elles ont également modifié la Constitution transitoire de 2019 pour y supprimer toute référence aux FSR.

En réponse, les FSR ont présenté une charte et une constitution pour un « nouveau Soudan » et installé un gouvernement parallèle pour rivaliser avec le Conseil souverain à Port-Soudan. Pendant ce temps, le groupe civil Taqqadum s’est scindé en deux factions : Qimam, alignée sur les FSR, et Somoud, qui est neutre. À l’exception de Somoud, les parties au conflit agissent comme si la guerre était terminée ou sur le point de l’être.

Le CPS doit composer avec l’évolution des dynamiques militaires et la possible division du Soudan

Ces évolutions alimentent des inquiétudes quant à la fragmentation potentielle du Soudan et à la possibilité d’une forte intensification des hostilités. La vague de succès des FAS a été amorcée au début de la saison sèche, en octobre 2024. Cette saison se terminant en mai, les FAS pourraient chercher à obtenir des gains militaires décisifs, en particulier à Khartoum et dans ses environs. En réponse, les FSR prévoient une contre-offensive massive pour reprendre les territoires perdus, se venger des pertes subies et étendre le conflit à d’autres régions du pays. Un tel scénario risque de détériorer encore davantage une situation humanitaire déjà désastreuse et de multiplier les violations des droits humains, alors même que des déplacés internes reviennent dans les zones « libérées ». Une perte des gains territoriaux des FAS n’est donc pas à exclure, ce qui pourrait perpétuer l’évolution en dents de scie qui caractérise ce conflit.

Le contexte régional

Le conflit soudanais pourrait modifier considérablement le paysage géostratégique de la Corne de l’Afrique, en particulier si le projet de gouvernement parallèle proposé par Tasis — l’aile politique des FSR — gagne du terrain. Les organisations multilatérales telles que l’UA et les Nations unies ont condamné cette idée, car elle contrevient au principe de l’UA de l’intangibilité des frontières. En outre, elle aurait des répercussions au-delà du Soudan.

L’Éthiopie, récemment élue au CPS, devrait aborder la question avec prudence afin d’éviter de provoquer ses propres mouvements sécessionnistes. Par ailleurs, la décision du Kenya d’accueillir des membres des FSR a suscité la controverse, même s’il n’a pas adopté de position claire. Les tensions diplomatiques avec Port-Soudan sont un problème récurrent qui découle des relations étroites qu’entretient le président kényan William Ruto avec Hemedti, le chef des FSR. Bien que l’Autorité intergouvernementale pour le développement n’ait pas formulé de position commune, l’Ouganda a rejeté la proposition. Le Soudan du Sud, voisin du Soudan, est de son côté resté silencieux, probablement par crainte d’aggraver des relations déjà tendues.

Les FSR semblent de plus en plus isolées, la Libye étant leur principal soutien en raison de la relation entre Hemedti et le commandant de l’armée nationale libyenne, le général Khalifa Haftar. Même le Tchad, qui avait précédemment autorisé les FSR à installer des bases militaires sur son territoire, hésite à soutenir le mouvement alors que des émissaires du président tchadien Mahamat Déby ont demandé, le 2 mars, à rencontrer al-Burhan. Les positions des États-Unis, de l’Arabie saoudite, de l’Égypte et des EAU soulignent la complexité de l’influence extérieure.

Ces positions suggèrent que ces alliances sont susceptibles de perdurer, même si un gouvernement parallèle venait à être mis en place. Les positions de la Russie et de la Turquie sont à, ce titre, adroites. La Turquie fournirait aux deux parties sa technologie militaire tout en négociant un accord entre les FAS et les EAU. Les liens de la Russie avec les FSR et les FAS laissent penser que Moscou tenterait de maintenir un équilibre en dialoguant avec les deux parties. Ces mesures protègent les intérêts de la Russie et de la Turquie au Soudan, quelle que soit la position des États-Unis et quelle que soit l’issue militaire du conflit.

Le paysage géostratégique pourrait changer si un gouvernement parallèle prenait de l’ampleur

Les EAU n’ont pas adopté de position claire, mais leurs liens de longue date et leur stratégie diplomatique suggèrent un penchant pour les FSR. Dans ce contexte, la récente requête du Soudan auprès de la Cour internationale de justice semble principalement axée sur la mise en évidence des liens entre les EAU et les FSR plutôt que sur les violations des droits humains pendant le conflit. Les FSR et les FAS sont toutes deux impliquées dans les violations des droits humains commises au cours du conflit.

Quelles perspectives ?

La consolidation des gains militaires des FAS pourrait mettre fin au conflit. C’est l’issue envisagée, voire préférée, dans les cercles politiques régionaux, même si, pour des raisons diplomatiques, aucun soutien officiel n’a été explicitement formulé. Un soutien irait à l’encontre des solutions politiques préconisées par les voisins du Soudan et par l’UA. Toutefois, il est peu probable que les FSR soient rapidement défaites. Il est possible que les FAS envahissent d’autres États du Soudan, mais sans pour autant parvenir à mettre les FSR en déroute, les forçant simplement à se replier dans leurs fiefs du Darfour. Avec le soutien de plusieurs groupes armés et non armés, et grâce aux lignes d’approvisionnement des FSR établies à partir du Tchad et de la Libye, un conflit prolongé pourrait s’ensuivre, conduisant soit à une division de fait du pays, soit à une séparation négociée.

On pourrait aussi assister à un autre scénario : celui d’une guérilla de très longue durée impliquant de nombreuses factions. Bien que les FAS et les FSR affichent leur attachement à l’unité soudanaise, ils sont soutenus par des groupes civils d’opposition, des milices locales et des entités extérieures imprévisibles dont les divergences idéologiques semblent irréconciliables. Les positions des belligérants accentuent les divisions au détriment de l’unité nationale.

La nouvelle charte et la nouvelle constitution des FSR consacrent la laïcité. La suppression de toute référence aux FSR dans la Constitution transitoire semble témoigner de l’influence persistante des Frères musulmans au sein des FAS et d’une grande animosité à l’égard des FSR. La réticence des FAS à négocier avec Somoud suggère que toutes les parties sont encore bien loin d’un éventuel compromis, ce qui rend la séparation plus probable.

L’attitude intransigeante des principales parties au conflit et leur attachement à une solution militaire réduisent les chances d’aboutir à un cessez-le-feu permanent. Compte tenu de la réticence des factions à renoncer aux avantages tirés de leurs récentes tactiques politiques à Nairobi et à Port-Soudan, une résolution rapide semble peu probable, mais pas impossible. La présence de deux gouvernements rivaux pourrait déboucher sur un conflit prolongé soutenu par des acteurs extérieurs, une situation que l’UA a toujours eu du mal à gérer.

Le format de médiation de l’UA risque de contribuer à une scission du Soudan sans préparation

Les conséquences et les options pour le CPS

La mise en place de deux administrations au Soudan, si elle se concrétise, risque de marginaliser les efforts de médiation de l’UA. Par conséquent, les principaux belligérants s’en remettront davantage à leurs soutiens extérieurs. Les acteurs soudanais, tels que les groupes civils et les factions armées, se fragmenteront de plus en plus ou continueront à chercher à se faire reconnaître soit par les FSR, soit par les FAS, sans pour autant avoir un impact significatif.

Le Groupe de haut niveau de l’UA et le Comité des cinq chefs d’État de l’UA ont peut-être anticipé cette fragmentation des groupes armés et ces changements d’alliances. Cependant, ils ne semblent ni avoir prévu ni s’être adaptés à l’idée d’une éventuelle désintégration du pays. La quête continue d’un Soudan unifié est de plus en plus déconnectée des réalités du terrain, comme en témoigne le communiqué de la 1264e réunion du CPS du 11 mars 2025. L’UA doit accorder son travail de médiation à l’éventualité d’une scission et l’intégrer dans ses plans d’urgence.

Cette nécessité est déjà évidente avant même que toutes les implications des récents évènements ne soient appréhendées. Outre les FSR, certains groupes darfouris — marginalisés par les différents gouvernements soudanais — demandent la même chose. Bien que ces revendications posent problème à bien des égards, elles ne sont pas sans précédent, comme en témoigne la séparation du Soudan du Sud du Soudan en 2011. Néanmoins, les conséquences d’un tel scénario doivent être soigneusement évaluées. En maintenant son format de médiation, l’UA risque de contribuer à la séparation du Soudan sans que ce dernier y soit convenablement préparé, ce qui reviendrait à une scission « somnambulique ».

L’UA devrait envisager toutes ces possibilités et adapter son approche en fonction de l’évolution de la situation. Une répartition des tâches entre l’UA et les Nations unies, qui a fait l’objet de nombreuses discussions, ainsi que la mise en place d’un mécanisme de médiation élargi restent nécessaires. Toutefois, les objectifs fondamentaux de la médiation semblent avoir évolué. À tout le moins, une stratégie à plusieurs niveaux et à plusieurs acteurs, impliquant éventuellement des processus par procuration, devrait être explorée.

Lors de la 1218e réunion du CPS, le sous-comité des sanctions a été chargé d’enquêter sur les soutiens militaires, politiques et financiers aux factions belligérantes. Aujourd’hui, plus que jamais, il est essentiel d’en rassembler les preuves afin que la spéculation cède le pas à la réalité et que soit établi un cadre qui limite au maximum les actions unilatérales des acteurs en Afrique et au-delà.

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