Une mobilisation plus forte en RDC pourrait pallier l'instabilité sécuritaire
L’adoption d'une stratégie efficace par l'Union africaine favoriserait la paix dans l'est de la République démocratique du Congo et dans les Grands Lacs.
En dépit des nombreux efforts de stabilisation, le paysage sécuritaire dans l'est de la RDC et dans la région des Grands Lacs ne cesse de se complexifier. Depuis février 2024, les activités des rebelles du Mouvement du 23 mars (M23) et de groupes armés dans les provinces de l'Ituri, du Nord-Kivu et du Sud-Kivu ont repris. Elles ont provoqué une augmentation du nombre de morts et des déplacements forcés, et limité l'accès des organisations humanitaires. Cette situation a eu un impact négatif sur les relations entre le Rwanda et la RDC et a fragilisé encore davantage le contexte sécuritaire dans la région des Grands Lacs, elle pourrait dégénérer à tout moment.
Cependant, diverses initiatives régionales militaires et politiques, parallèles et bien souvent concurrentes, tentent d'y apporter une réponse, mais elles se heurtent à des obstacles considérables qui nuisent à leur efficacité. Bien que l'Union africaine (UA) cherche des solutions, l'absence d'une stratégie cohérente de mobilisation pour la République démocratique du Congo (RDC) minimise son impact. Une telle stratégie permettrait-elle de surmonter ces difficultés et d'améliorer l'efficacité des efforts déployés pour stabiliser le pays et la région ?
Les limites du processus de Nairobi
Le processus de Nairobi, mené par l'ancien président du Kenya, Uhuru Kenyatta, sous les auspices de la Communauté de l'Afrique de l'Est (CAE), constitue l'une des principales initiatives prises récemment par les acteurs régionaux pour remédier à la situation. Elle a abouti à un double processus militaire et politique visant à assurer la stabilité, en particulier dans l'est de la RDC. Sur le plan militaire, le déploiement des forces régionales de la CAE (EAC-RF) de novembre 2022 à décembre 2023 a contribué aux efforts de protection des civils. Il a en effet facilité l'instauration d'un cessez-le-feu de courte durée entre les parties belligérantes et l'ouverture partielle de certaines voies d'approvisionnement. Dans l'ensemble, le déploiement a contribué au retour des personnes déplacées dans certaines régions.
La RDC a expulsé la force en novembre 2023 en raison de son incapacité à attaquer et à désarmer les groupes armés et le M23. Cette mesure a compromis les efforts de paix, aggravé les problèmes de sécurité dans la région et soulevé des questions quant à l'avenir du processus de Nairobi. Dans un contexte de reprise et d'intensification des activités des groupes armés dans certaines parties du pays, notamment à Sake et à Goma, la capitale du Nord-Kivu, la nature des affrontements a érodé l'intérêt porté au processus et en a freiné l'élan.
En RDC, les nombreuses initiatives régionales militaires et politiques se heurtent à des obstacles
Un expert de la région des Grands Lacs a expliqué au Rapport sur le CPS que l'initiative n’était maintenue en vie que grâce aux relations personnelles qu'entretiennent le président Félix Tshisekedi et le facilitateur du processus, Uhuru Kenyatta. En outre, les tensions entre la RDC et le Kenya, qui se sont encore aggravées avec l'émergence du mouvement Alliance fleuve Congo, affilié au M23, limitent les perspectives d'une solution pacifique.
Des débuts difficiles
Le transfert des responsabilités à la mission de la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) en RDC (SAMIDRC) en décembre 2023 a connu des débuts difficiles. Outre les insuffisances logistiques et opérationnelles qui ont entravé son mandat, elle subit un sort similaire à celui de l'EAC-RF. En effet, les forces de la SAMIDRC ne disposent pas actuellement des effectifs nécessaires pour combattre les groupes armés qui opèrent dans l'est de la RDC.
Quatre mois après l'annonce de son déploiement, seuls 800 des 2 900 soldats sud-africains promis sont arrivés sur place. De plus, le nombre des contingents tanzaniens et malawites déployés, qui devrait avoisiner les 5 000 hommes, n'a toujours pas été confirmé. Par conséquent, le M23 contrôle désormais plus de territoires et provoque des pertes au sein des contingents sud-africains et tanzaniens. A l'instar de l'EAC-RF, le SAMIDRC manque de ressources financières, ce qui mine progressivement sa capacité d'action. Compte tenu de l'opposition évidente du gouvernement rwandais au déploiement, la nouvelle force va au-devant de nombreux défis.
Un dialogue politique à la traîne
Compte tenu du nombre limité d'options, le processus de Luanda, mené au nom de l'UA par le président angolais João Manuel Gonçalves Lourenço, demeure l'initiative politique la plus engagée. L'Angola a accueilli avec succès le sommet quadripartite inaugural de la CAE, qui a réuni la Communauté économique des États de l'Afrique centrale, la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs et la SADC sous les auspices de l'UA le 27 juin 2023. Le sommet a adopté un cadre commun qui vise à faire converger les initiatives de paix, à répartir les responsabilités et à fixer des échéances. Il a également établi une plateforme quadripartite chargée de coordonner et d'harmoniser les initiatives de paix régionales en cours.
L'influence de l'UA en RDC pâtit de l'absence d'une stratégie cohérente d'implication
Un mini-sommet sur le processus de Luanda, organisé en marge du 37e sommet de l'UA, a toutefois mis en évidence certaines difficultés résultant de la méfiance et du manque d'adhésion à ses initiatives. Les efforts pour encourager les pourparlers directs entre les présidents Tshisekedi et Kagame ont donné lieu à des accusations réciproques et révélé une forte animosité entre les deux hommes. Bien que le processus ait ensuite débouché sur un accord de principe en vue de futurs contacts diplomatiques, les accusations entre Kigali et Kinshasa continuent d'entraver le dialogue, ce qui fragilise la situation.
L'implication de l'UA reste insuffisante
L'UA a fait son possible pour entériner les décisions des organisations régionales et pour collaborer avec les initiatives régionales ad hoc en vertu du principe de subsidiarité. Beaucoup ont critiqué son manque d'implication directe, qualifiant son action d'inadéquate et timorée, d'où la nécessité d'une stratégie bien définie pour guider son engagement. L'Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la RDC et la région des Grands Lacs, signé en 2013, constitue à ce jour la démarche la plus ambitieuse de l'UA. Il réunit 13 pays et quatre organisations garantes. Comme l'a noté le CPS lors de sa 1 140e réunion, c’est l'instrument le plus « viable pour soutenir la RDC et les organisations de la région dans leurs efforts pour parvenir à la paix et à la stabilité ». Depuis que le CPS a appelé en février 2023 à une revitalisation rapide de l'accord, les efforts et les consultations régionales ont cherché à en renforcer l'appropriation, à instaurer la confiance entre les pays signataires, les garants et les autres parties prenantes et à en affermir leur volonté de mise en œuvre.
Le CPS a également récemment demandé à la Commission de l'UA d'accélérer la disponibilité des fonds de la Facilité de réserve de crise du Fonds pour la paix de l'UA. Il l'a également exhortée à assurer le transfert des équipements donnés à la SADC par la base logistique continentale de l'UA à Douala, au Cameroun, pour soutenir les opérations de la SAMIDRC.
Le déploiement d'une force dans le cadre de la FAA favoriserait une approche continentale plus structurée
Malgré ces annonces, les efforts régionaux ont pris le pas sur ceux de l'UA en RDC, qui continuent de pâtir de l'absence d'une stratégie d'implication institutionnelle clairement définie. Une telle stratégie servirait de cadre pour rechercher des solutions sans dupliquer les efforts ou entrer en concurrence avec les initiatives régionales.
Vers une stratégie d'implication
Les cercles politiques s'accordent à dire qu'une stratégie solide d'implication de l'UA en RDC et dans la région des Grands Lacs est nécessaire. Elle pourrait remédier aux luttes d'influence entre les États et les organisations régionales, combler les lacunes persistantes dans la coordination et limiter les déploiements ad hoc.
D'une part, elle devrait permettre d'équiper une force militaire qui lutterait efficacement contre le M23 et les autres groupes armés. À cette fin, le CPS devrait faciliter la mise à disposition d'un financement suffisant, bien supérieur aux maigres allocations de la Facilité de réserve de crise, pour soutenir les opérations de la SAMIDRC. Une conférence des donateurs pour la RDC pourrait attirer des fonds de sources non traditionnelles, y compris des acteurs du secteur privé. La résolution 2719 du Conseil de sécurité des Nations unies offre également une opportunité stratégique pour l'UA d'obtenir des fonds supplémentaires afin de renforcer les capacités opérationnelles et logistiques de la SAMIDRC pour restaurer la paix dans l'est de la RDC.
À moyen terme, le déploiement dans l'est de la RDC d'une force dans le cadre de la Force africaine en attente (FAA) favoriserait l'adoption d'une approche continentale plus structurée pour la mobilisation des troupes et des ressources. Cette démarche trancherait avec les déploiements régionaux ad hoc actuels et leurs limites.
D'autre part, une source diplomatique a confié au Rapport sur le CPS que, malgré l’augmentation des tensions dans leurs relations, Kigali et Kinshasa étaient ouverts à des pourparlers dans le cadre d'un accord tripartite (RDC, Rwanda et Angola). Un tel scénario leur permettrait de faire des concessions dans le cadre du processus de Luanda. La stratégie devrait également miser fortement sur des solutions politiques afin d'augmenter les chances de succès.