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Tirer parti du FOCAC pour l’interconnectivité régionale en Afrique

L’UA et les CER pourraient ensemble faire prospérer le partenariat Chine-Afrique et en tirer des avantages similaires.

Lors du Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC) qui s’est tenu à Pékin du 4 au 6 septembre 2024, le président Xi Jinping a déclaré que les relations sino-africaines étaient «dans la meilleure période de l’histoire ». Cette déclaration audacieuse s’est accompagnée d’un engagement à hauteur de 50,7 milliards de dollars US pour ouvrir des perspectives régionales en matière d’infrastructures, de commerce et de sécurité. Toutefois, le forum a souligné la nécessité d’une plus grande capacité d’action de la part de l’Afrique et d’une meilleure coordination régionale. Certaines questions cruciales demeurent également : qui doit piloter cette coordination régionale et comment la capacité d’action de l’Afrique se manifeste-t-elle dans le domaine du développement des infrastructures ?

Des institutions multilatérales

Au cours des premières années du FOCAC, les pays africains ont surtout noué des relations bilatérales avec la Chine, tandis que la participation de l’Union africaine (UA) était limitée et largement symbolique. De nombreux projets étaient spécifiques à chaque pays, avec une coopération restreinte avec les communautés économiques régionales (CER). Toutefois, en 2011, la Commission de l’UA (CUA) a officiellement rejoint le FOCAC en tant que membre à part entière, ce qui a marqué un tournant dans les relations entre l’Afrique et la Chine à l’échelle continentale.

Au niveau régional, la situation est un peu différente. Les CER ne sont pas des membres officiels du FOCAC, mais participent souvent aux sommets. La Chine et les pays africains doivent encore trouver le moyen d’impliquer les CER qui constituent un élément clé du multilatéralisme africain. Les pays africains pourraient tirer profit de l’alignement des plans chinois sur les programmes des CER, en particulier lors de la création de chaînes de valeur régionales.

Figure 1 : Les principaux résultats du FOCAC

Figure 1 : Les principaux résultats du FOCAC

 

Cette année a une fois de plus mis en évidence l’alignement entre les initiatives mondiales de la Chine et l’Agenda 2063 de l’UA, y compris son deuxième plan décennal de mise en œuvre et l’Agenda 2030 pour le développement durable. Parmi ces initiatives figurent les « nouvelles routes de la soie », l’Initiative pour le développement mondial, l’Initiative pour la sécurité mondiale et l’Initiative pour la civilisation mondiale. La synergie entre les capacités de la Chine et les besoins de l’Afrique, du moins en apparence, reste évidente. Elle a été réaffirmée dans le plan d’action de Pékin (2025-2027).

Figure 2 : Les initiatives mondiales de la Chine

Figure 2 : Les initiatives mondiales de la Chine

 

Entre priorités bilatérales et continentales

Il s’agit d’un exercice constant de conciliation entre les priorités de développement du continent qui seront les plus bénéfiques à long terme et les gains économiques à court terme réalisés par les différents États. Bien que le FOCAC ait connu des évolutions positives, il reste beaucoup à faire pour que les relations soient propices aux objectifs à long terme du continent.

De nombreux projets sont spécifiques à un pays avec une coopération régionale limitée

Par exemple, le sommet de 2024 a mis l’accent sur la coopération en matière d’investissement dans les infrastructures nationales et régionales. L’engagement pris par la Chine de réaliser 30 nouveaux projets infrastructurels répond aux besoins du Programme de développement des infrastructures en Afrique (PIDA) et de l’Accord de libre-échange continental africain. Ces engagements concernent des projets ferroviaires, routiers et énergétiques et visent à améliorer la connexion régionale et à promouvoir le commerce transfrontalier.

Le développement d’un réseau de transport mer-rail reliant les ports de la côte Est de l’Afrique aux régions intérieures chinoises devrait permettre de réduire les coûts de transport et de stimuler les exportations des États membres de la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE). De même, un protocole d’accord a été signé lors du FOCAC pour moderniser le chemin de fer Tanzanie-Zambie, un axe de transport crucial entre la CAE et la Communauté de développement de l’Afrique australe. Ces infrastructures permettront de développer des chaînes de valeur régionales afin de libérer le potentiel de l’Afrique. Par ailleurs, leur réalisation suscitera une certaine rivalité entre la Chine et d’autres partenaires extérieurs désireux de maximiser leur part du marché africain.

Un accroissement du poids de la dette

Le revers de la médaille de l’investissement dans les infrastructures est l’endettement qui l’accompagne pour les pays africains. Bien que la Chine ne soit pas la principale responsable du surendettement des États africains, le modèle de prêt chinois a des conséquences négatives sur la santé fiscale du continent. Bien que des mesures prometteuses aient été prises en faveur d’un financement plus durable — comme l’initiative chinoise Small is beautiful qui se concentre sur des projets de développement plus petits et à fort impact —, ces efforts ne sont pas suffisants.

Le statut de membre du FOCAC de la CUA a marqué un tournant dans les relations Afrique-Chine

Lors du FOCAC 2024, Pékin s’est engagé à renoncer aux prêts intergouvernementaux sans intérêt dus avant la fin de l’année pour les pays africains les moins avancés ayant des liens diplomatiques avec la Chine. Bien que ce geste soit bienvenu, les prêts sans intérêt ne représentent qu’une fraction relativement faible de l’ensemble des prêts accordés par la Chine à l’Afrique. En effet, le financement de la Chine passe surtout par des prêts concessionnels, des lignes de crédit ou des prêts commerciaux, qui sont souvent assortis d’intérêts et d’obligations de remboursement considérables. La nature relativement cachée de cette dette pose un problème de responsabilité, en particulier lors des alternances de pouvoir, lorsque les nouvelles autorités sont informées de la nature des prêts de la Chine.

Les relations commerciales entre la Chine et l’Afrique ont également fait l’objet d’un exercice similaire de mise en balance. Si les mesures chinoises pour faciliter le commerce sont positives — telles que la suppression des droits de douane sur les produits agricoles —, il reste encore beaucoup à faire pour réduire le déficit commercial de 64 milliards de dollars US entre la Chine et l’Afrique. Le FOCAC s’est aussi engagé à créer un million d’emplois pour les Africains au cours des trois prochaines années. Bien que ces projets soient encourageants, ils doivent être considérés à l’aune du mécontentement local face aux pertes d’emplois dues à l’éviction des concurrents africains par les entreprises chinoises.

Tirer parti du FOCAC

Le pouvoir collectif de négociation de l’UA est directement lié à la division du travail entre les États membres et la Commission de l’UA. Il est également lié à l’autonomie que les gouvernements sont prêts à accorder aux CER et à la Commission en matière d’infrastructures et de commerce au niveau régional. À l’instar des relations de l’Afrique avec ses partenaires extérieurs, les gouvernements et les organisations régionales sont souvent les cibles des ambitions d’autres acteurs.

Le déficit commercial de l’Afrique envers la Chine s’élève à 64 milliards de dollars US

aient été consultées, cette vision n’est pas spécifiquement africaine et les perspectives du continent n’y sont pas pleinement représentées. L’UA et la plupart des pays africains n’ont pas de stratégie équivalente vis-à-vis de la Chine. Toutefois, l’adoption de stratégies n’est pas une panacée : la CUA en a élaboré de nombreuses qui n’ont pas encore été mises en œuvre. L’adhésion de l’UA au G20 et la demande croissante d’implication de l’UA dans les questions internationales requièrent une réflexion stratégique et une finesse opérationnelle soutenues par une volonté politique considérable.

Les recherches de l’Institut d’études de sécurité suggèrent qu’il est dans l’intérêt à long terme des pays africains de s’adapter à l’évolution des rapports de force mondiaux en établissant des partenariats avec toutes les puissances, grandes et moyennes, et en tirant parti de leurs avantages comparatifs. L’UA et les CER ne peuvent renforcer le pouvoir de négociation de l’Afrique que si elles sont dotées d’un mandat approprié et de ressources suffisantes par les États membres.

Le FOCAC est l’un des nombreux partenariats dans lesquels l’UA est impliquée. Le Conseil exécutif, par l’intermédiaire du sous-comité sur la coopération multilatérale du Comité des représentants permanents, joue un rôle important en guidant la CUA sur la manière dont ces partenariats doivent être gérés. Les difficultés rencontrées dans l’élaboration de la stratégie et du cadre politique de l’UA concernant le partenariat reflètent la complexité de l’articulation des intérêts nationaux, régionaux et continentaux, qui sont en jeu dans le cadre du FOCAC. La bonne nouvelle est néanmoins que le comité et la CUA se sont engagés à confier à l’UA un rôle dans le domaine de la politique étrangère par le biais d’une approche fondée sur l’apprentissage par la pratique.

Le CPS doit orienter les relations Chine-Afrique dans le domaine de la sécurité

Pour la CUA et les États membres, le défi le plus important consiste à rompre la relation donateur-bénéficiaire qui a généré une certaine complaisance parmi les acteurs africains. Pour ce faire, il faudra dépasser une stratégie globale de partenariat et formuler des stratégies spécifiques à chaque partenariat. Actuellement, l’UA est assujettie aux stratégies de ses partenaires sans parvenir jusqu’à présent à définir les siennes. On retrouve cette même incapacité à élaborer des stratégies au sein des CER et même au niveau national. Cela reflète une faiblesse structurelle africaine qui vient altérer les trois strates du multilatéralisme africain et augmente sérieusement les risques de duplication, de concurrence et de conflit.

Quelles implications pour le CPS ?

En tant que plus haute instance décisionnelle de l’UA en matière de paix et de sécurité, le Conseil de paix et de sécurité (CPS) devrait s’impliquer davantage dans le rôle de prévention des conflits joué par le développement économique et le commerce. Compte tenu de l’élargissement des liens en matière de sécurité par le biais du FOCAC et de l’Initiative mondiale de sécurité, il est important que le CPS donne une orientation à l’évolution des relations entre la Chine et l’Afrique dans le domaine de la sécurité au cours des années à venir. Cela garantira que les efforts de paix et de sécurité viennent compléter les projets d’infrastructure, favorisant non seulement la croissance économique, mais aussi la stabilité régionale à long terme.

Ces avancées nécessitent des actions nationales, régionales et continentales fondées sur des données probantes. Tout en maintenant les gains économiques à court terme des négociations bilatérales avec la Chine, les pays africains devraient davantage songer à construire les chaînes de valeur régionales à long terme envisagées dans le PIDA. Les CER pourraient avoir une place plus importante au sein du FOCAC, tandis que l’UA doit bénéficier de son pouvoir de négociation pour obtenir des résultats plus équitables au lieu de se contenter de victoires partielles ou d’initiatives externes au continent. La Chine tire des avantages considérables de son partenariat avec les pays africains, qui méritent des gains équivalents. La clé est de donner aux organisations régionales les moyens d’adopter une approche stratégique unifiée de ces relations.

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