Sommet Russie-Afrique : quels avantages pour l’Afrique ?
Pour être plus forte, l’Afrique doit évaluer la réelle pertinence de l’organisation de sommets avec ses principaux partenaires.
Le récent sommet Russie-Afrique, initialement prévu pour octobre 2022 à Addis-Abeba, en Éthiopie, a finalement été reporté à juillet 2023 à Saint-Pétersbourg en raison de la guerre en Ukraine et des sanctions occidentales à l’encontre de la Russie.
Contrairement aux précédents, le sommet de 2023 était crucial pour la Russie qui se trouve de plus en plus isolée, et qui cherche à renforcer ses relations avec les États africains et à obtenir leur soutien. Moscou a besoin de l’Afrique pour disposer d’un nombre suffisant de voix à l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ONU) et pour étendre son influence économique, politique et géostratégique. Le sommet a également permis à Moscou de démontrer sa capacité à contourner les efforts occidentaux visant à l’isoler en raison de la guerre en Ukraine.
Le sommet a confirmé l’importance de la Russie dans les affaires africaines
Enfin, le sommet a confirmé l’importance de la Russie dans les affaires africaines et a débouché sur une déclaration sur les projets de Moscou pour le continent. Toutefois, on ne sait pas si ces engagements se réaliseront dans l’intérêt de l’Afrique.
La faible participation des dirigeants africains
Le sommet était également important pour l’Afrique en raison des perturbations qui ont affecté les exportations de céréales et des répercussions des sanctions occidentales sur les exportations de pétrole et de gaz russes. Toutefois, les effets plus larges des tensions créées par la situation en Ukraine ont conduit de nombreux chefs d’État africains à ne pas se rendre à Saint-Pétersbourg. Si le nombre de délégations a augmenté, passant de 48 lors du sommet d’octobre 2019 à 49, 17 chefs d’État seulement étaient présents en 2023 contre 43 en 2019, représentant une baisse de 60 %.
Participation des chefs d’État africains aux sommets Russie-Afrique  (cliquez sur le tableau pour voir l'image en taille réelle)
|
Certains décideurs politiques interrogés par le Rapport sur le CPS attribuent la faible participation des chefs d’État africains aux inquiétudes suscitées par le retrait de Poutine de l’Initiative céréalière de la mer Noire, aux controverses sur les activités du Groupe Wagner en Afrique et aux tensions entre l’Afrique et l’Occident concernant la crise ukrainienne.
Le sommet de Sotchi de 2019 n’ayant pas abouti à des avancées significatives, l’absence d’un grand nombre de chefs d’État pourrait également s’expliquer par la lassitude des États africains à participer à des sommets entre l’Afrique et ses principaux partenaires en nombre croissant. De son côté, le Kremlin accuse l’Occident, en particulier les États-Unis et la France, d’avoir exercé une pression sans précédent sur les États africains pour empêcher la tenue du sommet. Ce point de vue minimise toutefois le rôle des États africains dans le choix des modalités de collaboration avec leurs partenaires internationaux.
Des propositions russes somme toute limitées
L’un des principaux résultats du sommet est l’offre de Moscou d’envoyer gratuitement 25 000 à 50 000 tonnes de céréales au Burkina Faso, au Zimbabwe, au Mali, à la Somalie, à la République centrafricaine (RCA) et à l’Érythrée dans un délai de trois à quatre mois. Si, par cette initiative, la Russie reconnaît l’importance de ne pas interrompre l’approvisionnement en céréales des pays africains, les attaques continues de Moscou contre les ports ukrainiens, qui détruisent des tonnes de céréales, contredisent l’approche de la Russie. On peut se demander si sa promesse est à la hauteur de sa garantie à l’Afrique d’un approvisionnement ininterrompu en céréales.
Les actions de Poutine quant à la livraison de céréales aux États africains contredisent ses paroles
Face aux problèmes d’insécurité alimentaire engendrés par la crise ukrainienne, le volume de céréales proposé aux six pays africains fait pâle figure par rapport aux 32,9 millions de tonnes expédiées à divers pays africains dans le cadre de l’Initiative céréalière de la mer Noire. L’Afrique continuera à subir les conséquences des ingérences dans cette initiative à travers la flambée des prix des denrées alimentaires, ce qui ne manquera pas d’avoir des répercussions désastreuses sur la stabilité de nombreux États.
Beaucoup s’interrogent également sur le choix des pays bénéficiaires. On se demande si celui-ci a un quelconque rapport avec les habitudes de vote de ces pays relatifs à la guerre en Ukraine à l’Assemblée générale de l’ONU ou leurs relations avec la Russie en matière de sécurité militaire.
La promesse de la paix
L’initiative de paix africaine de juin a été abordée. Les dirigeants africains ont demandé à Poutine d’aller de l’avant pour mettre fin au conflit ukrainien. Leurs interventions, notamment celle bien visible du président de la Commission de l’Union africaine (UA) le deuxième jour du sommet, ont semblé plus concertées et plus déterminées qu’en juin. Elles ont souligné la profonde inquiétude des Africains face aux conséquences de la guerre, notamment les perturbations sur les approvisionnements en énergie et en céréales.
Si Poutine s’est dit intéressé par l’initiative africaine, il a également salué les efforts de la Chine pour trouver une solution au conflit. Il s’agissait là d’un changement notable par rapport à la position adoptée en juin. À l’époque, le Kremlin affirmait que l’initiative africaine serait très difficile à mettre en œuvre ; lors du sommet, il a laissé entendre qu’elle pourrait servir de base à d’éventuels processus de paix.
L’initiative africaine démontre la volonté et la capacité des États africains à contribuer à la gestion diplomatique des crises mondiales et à sortir du rôle de récipiendaire habituel de soutien de la communauté internationale. Les efforts africains resteront probablement altérés par les perceptions concernant le degré de considération de la Russie pour l’initiative de paix africaine en tant que principale option en faveur de la paix. Certains pourraient en effet estimer que l’accueil plutôt positif de cette initiative relève simplement du formalisme diplomatique de la part du pays hôte.
Jusqu’à présent, le vote des États africains sur les résolutions de l’Assemblée générale de l’ONU a montré un continent divisé sur la question de l’Ukraine. Les intérêts militaro-sécuritaires du Kremlin en Afrique, y compris la participation au sommet d’Evgueni Prigogine, le chef du groupe Wagner aujourd’hui décédé, interrogent sur les implications des relations entre la Russie et l’Afrique dans le domaine de la paix et de la sécurité. En effet, les activités de Wagner en Afrique auraient contribué à financer la guerre russe en Ukraine, en plus de s’être accompagnées de pillages des populations et d’atrocités en matière de droits de l’homme.
Une meilleure médiation africaine intensifierait la diplomatie de paix dans le conflit en Ukraine
En outre, l’invitation au sommet des juntes militaires suspendues par l’UA est en contradiction avec l’engagement de la Russie en faveur d’une coopération étroite avec l’Afrique dans le domaine de la sécurité. Elle soulève des questions quant au respect de Moscou pour les efforts de l’UA pour relever les défis de l’Afrique et la manière dont le partenariat entre le continent et la Russie devrait être redéfini.
Plus de déclarations, mais moins d’actions ?
L’engagement pris par Moscou lors du sommet de 2019 d’étendre et de diversifier les échanges commerciaux avec l’Afrique pour atteindre un volume annuel de 40 milliards de dollars US dans les cinq ans n’a pas été tenu. Si le chiffre réel n’est pas encore connu, il semble toutefois avoir plutôt chuté à environ 18 milliards de dollars US, qui plus est, au profit de la Russie. Les engagements du sommet de cette année, en particulier celui de Moscou de livrer des céréales aux pays africains, seront probablement respectés, mais la mise en œuvre d’une initiative de paix sur l’Ukraine menée par l’Afrique pourrait être improbable à court ou moyen terme. Il est impératif de mettre en place un mécanisme de suivi des progrès des sommets Afrique + 1.
Par ailleurs, les dirigeants africains doivent commencer à réfléchir aux solutions à apporter aux crises auxquelles ils font face. Les conséquences de la guerre en Ukraine sur le continent sont telles qu’il ne s’agit plus d’un « conflit non africain ». Les chocs sur les prix des denrées alimentaires pourraient attiser le mécontentement des populations et exacerber les tensions entre celles-ci et les autorités étatiques, ajoutant ainsi aux menaces déjà complexes qui pèsent sur la paix et la sécurité en Afrique. Les dirigeants africains ont donc tout intérêt à tenter de mettre fin à cette guerre.
Une réunion du CPS consacrée à l’examen du cycle entre conflits armés et insécurité alimentaire constituera une première étape pour mettre fin à la forte dépendance céréalière de l’Afrique envers l’Ukraine et la Russie. Il est essentiel de s’engager à résoudre de manière constructive les conflits en Afrique afin de renforcer la souveraineté alimentaire, conformément aux conclusions du sommet de Dakar 2.
Une médiation mieux organisée et mieux coordonnée sous l’égide de l’Afrique est nécessaire pour intensifier les efforts diplomatiques visant à mettre fin à la guerre. Cela permettrait également aux États africains de se positionner en tant que parties prenantes actives dans la diplomatie de crise, sur la base de leurs propres valeurs, principes et engagements en faveur d’un ordre international pacifique.
La délégation africaine devrait être suffisamment audacieuse pour dénoncer les incohérences de la Russie, qui prône la sécurité alimentaire tout en attaquant les ports céréaliers ukrainiens. Le CPS de l’UA devrait également tirer parti de ces forums pour soutenir la mise en œuvre des décisions majeures des institutions continentales. En ce qui concerne la gestion des changements anticonstitutionnels de gouvernement en Afrique, par exemple, il est temps que l’UA travaille avec ses principaux partenaires pour que les États frappés de suspension ne soient pas invités. Il est également temps que les pays africains qui participent à ces sommets évaluent de manière critique la réelle utilité de ces rencontres pour le développement de leurs pays et leur contribution à la recherche d’une Afrique plus forte.