S’engager militairement au Soudan pour l’Union africaine ?
Une force d’intervention pour accompagner les processus de paix est nécessaire pour résoudre la crise au Soudan.
Le 16 avril, au lendemain du début des affrontements au Soudan, le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’Union africaine (UA) a tenu en urgence une réunion d’information sur la situation et a publié un communiqué condamnant fermement les affrontements et appelant à un cessez-le-feu immédiat.
Depuis lors, l’UA a convoqué plusieurs réunions importantes. Elles ont notamment abouti à un appel énergique à la cessation des hostilités et à un cessez-le-feu de la part de toutes les parties aux conflits, ainsi qu’à l’établissement formel du mécanisme élargi. En outre, une feuille de route de l’UA pour la résolution du conflit au Soudan a été adoptée lors de la 1156e réunion du CPS, à laquelle ont participé les chefs d’État et de gouvernement du Conseil.
Parallèlement à l’UA, les Nations unies, l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), les Émirats arabes unis et les États-Unis se sont également efforcés de prévenir une aggravation de la situation. L’initiative la plus notable a été le processus de Djeddah mené par les États-Unis et l’Arabie saoudite, même si les cessez-le-feu temporaires négociés ont été précaires et n’ont guère été respectés.
Si ces engagements diplomatiques montrent certains efforts pour contenir la crise soudanaise et quelques progrès dans ce sens, l’intensification des violences contre les civils, les pillages et la destruction d’infrastructures essentielles donnent une image bien différente. Malgré les nombreuses annonces, déclarations et communiqués des acteurs régionaux et internationaux, les avancées pour mettre fin à la violence et résoudre les crises humanitaires ont été très limitées.
Très peu de progrès ont été réalisés pour endiguer les crises politiques et humanitaires
En outre, rien n’indique que les parties en conflit aient décidé de mettre fin à la violence. Au contraire, la récente annonce de l’armée de suspendre sa participation aux pourparlers de Djeddah fait craindre une escalade des combats. En outre, le fait que le général Burhan ait reconnu, dans une déclaration aux médias, que l’armée était prête à déployer toutes ses forces si les FAR ne répondaient pas aux appels à la reddition, constitue une nouvelle provocation de nature à prolonger le conflit.
La déclaration de Burhan, sur fond d’efforts diplomatiques et d’échecs récurrents des cessez-le-feu négociés, met en évidence la difficulté d’atteindre l’objectif fixé. Elle souligne également l’influence limitée des acteurs régionaux et internationaux sur les belligérants. La situation humanitaire au Soudan exige une approche différente, car les tentatives de médiation n’ont pas abouti et pourraient prendre trop de temps dans un pays dont le contexte évolue rapidement.
Forcer une intervention de l’UA
Le Soudan semble être au bord d’une guerre civile prolongée. Une stratégie de désescalade axée sur l’action est donc nécessaire pour rassembler les acteurs régionaux et internationaux autour d’une cause commune. Pour que cette stratégie porte ses fruits, il faut qu’elle soit plus musclée que les efforts déployés jusqu’ici.
Compte tenu de l’escalade destructrice du conflit, il est urgent de mettre fin aux hostilités, d’établir un corridor humanitaire et de protéger les civils et les infrastructures. La communauté internationale devrait sérieusement envisager la mise en place d’une force d’intervention complémentaire mandatée et soutenue par l’UA. Alors que le mécanisme élargi a pour objectif de ramener les parties à la table des négociations, une force d’intervention pourrait maintenir le cessez-le-feu et soutenir la transition. Une telle force devrait figurer sur la feuille de route continentale visant à résoudre le conflit au Soudan.
La doctrine des opérations de soutien à la paix de l’UA et le concept de la force africaine en attente fournissent des scénarios pertinents qui soulignent la valeur ajoutée d’une telle intervention. Une force dotée d’une capacité de réaction rapide permettrait à l’UA de répondre en urgence à la crise du Soudan, qui a jusqu’à présent été difficile à contenir.
Si certains diplomates africains envisagent déjà un déploiement, des facteurs déterminants tels que le manque de financement peuvent susciter des hésitations. Cependant, les principes, l’objectif et la pertinence de l’UA appellent à une réponse plus proactive qui reflète son engagement à préserver les vies humaines et à défendre les idéaux continentaux de non-indifférence.
Quel cadre de déploiement ?
Si les acteurs politiques africains entendent déployer une force d’intervention au Soudan, plusieurs facteurs doivent être pris en compte pour que celle-ci ait un impact significatif et permette d’instaurer la paix pour le peuple soudanais. Tout d’abord, une stratégie d’entrée et de sortie bien définie est essentielle et devrait se concentrer principalement sur la prévention d’une nouvelle escalade du conflit, la sauvegarde des vies humaines et la protection des infrastructures civiles. Cette stratégie devrait s’accompagner de critères clairs permettant d’évaluer les progrès réalisés et de déterminer les conditions du retrait.
Deuxièmement, la politique doit primer. L’une des principales critiques formulées à l’encontre des opérations de paix régionales et continentales est la déconnexion à leurs objectifs politiques. À défaut de l’accord-cadre de paix global de décembre 2022, toute force d’intervention devrait viser à créer les conditions nécessaires au rétablissement ou à l’établissement d’un cadre politique de base en vue d’une solution politique durable au Soudan.
Le déploiement d’une force de paix permettrait à l’UA de mieux gérer les intérêts des acteurs politiques
Cela est à la fois indispensable et urgent. Toutefois, il est primordial d’établir un séquençage minutieux et de programmer la désescalade afin de permettre la mise en œuvre simultanée des processus politiques. Cela influencera considérablement, à long terme, les chances de succès du processus de paix et aura un impact durable sur la reconstruction et le développement post-conflit.
Les partenariats mobilisés sont également importants. Compte tenu de la multiplicité des acteurs impliqués dans la recherche de la paix au Soudan, l’incapacité à identifier le partenariat approprié pour ancrer le déploiement compromettra son succès. Actuellement, le cadre adéquat pour un déploiement au Soudan serait le mécanisme trilatéral IGAD-UA-ONU.
Ce mécanisme a été créé en 2021 pour tirer parti des forces institutionnelles de chacune des trois organisations et pour réduire leurs rivalités lors de la médiation de la transition politique au Soudan. Par conséquent, un déploiement mené dans ce cadre permettrait de combiner la légitimité de l’UA et de l’IGAD, conformément au principe de subsidiarité. Il bénéficierait également de la capacité des Nations unies à fournir des ressources et à garantir la pérennité du déploiement.
Bien que l’IGAD ne dispose pas des cadres institutionnels nécessaires pour déployer une force d’intervention, sa capacité à exploiter la bonne volonté des principales puissances régionales serait indispensable. Toutefois, les intérêts régionaux concurrents et une mauvaise harmonisation entre les acteurs extérieurs pourraient facilement saper les efforts d’intervention. Ainsi, le fait de faire appel à des troupes de pays autres que les voisins immédiats du Soudan, tels que le Kenya et le Burundi, constituerait un avantage supplémentaire.
La voie à suivre
Le CPS a été fondé sur la volonté des États membres de l’UA de prendre des mesures supplémentaires en faveur de la paix et de la sécurité en Afrique. Sa création témoigne d’une intention : celle de prendre des risques et d’apporter des réponses pragmatiques aux menaces qui pèsent sur le continent. La crise du Soudan est l’exemple même de situation qui a incité l’UA à passer du principe de non-ingérence à celui de non-indifférence et à créer le concept de la Force africaine en attente.
L’action de l’UA dépend de l’esprit de décision du CPS. Toutefois, si l’UA veut avoir un impact, son approche devrait se traduire par des mesures et un déploiement rapides, conformément à l’article 4 (h) de l’Acte constitutif, afin de maintenir la paix et la sécurité à l’échelle du continent, comme l’exige la situation au Soudan.
Image: © ATMIIS Photo/Mukhtar Nuur