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Sécurité maritime : une force africaine pour sécuriser le golfe de Guinée

La Force opérationnelle maritime conjointe, première continentale, nécessite un engagement politique, technique et financier adéquat pour réussir durablement.

Le commandant de la force, le commodore Mohammad Saghir Shettima, fait part de son point de vue au Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité.

Comment la Force opérationnelle maritime conjointe pour le golfe de Guinée, créée en mai 2023, a-t-elle vu le jour et quelles sont ses priorités ?

Les défis croissants en matière de sécurité maritime dans le golfe de Guinée ont attiré l’attention du monde entier sur la région. Ainsi, lors d’une réunion d’information du CPS de l’UA, le chef d’état-major de la marine nigériane et d’autres parties prenantes concernées ont souligné la nécessité de mettre en place un mécanisme de réaction collective pour lutter contre la piraterie et d’autres menaces maritimes, analogue à la Force multinationale mixte (FMM) qui lutte contre le terrorisme au Sahel. Cela a conduit le CPS à lancer un appel en ce sens dans son communiqué 1012 du 20 juin 2021.

Sur la base de ce communiqué, les chefs d’état-major des marines nationales du golfe de Guinée se sont réunis en marge de la Conférence maritime internationale de Port Harcourt et ont constitué un comité multinational d’experts chargé d’élaborer les modalités de mise en œuvre du communiqué à travers la Déclaration de Port Harcourt. Par la suite, le CPS a maintenu son soutien à la création de la CMTF dans ses communiqués 1128 de décembre 2022, 1174 de septembre 2023, 1209 d’avril 2024 et, plus récemment, 1275 d’avril 2025.

La CMTF, première initiative africaine conjointe de sécurité maritime, est une étape historique

Les principales priorités de la CMTF sont de préparer l’application de l’Accord de libre-échange continental africain, de promouvoir l’économie bleue du continent et de renforcer les capacités régionales de lutte contre les réseaux criminels transnationaux. Ces réseaux sont impliqués dans la piraterie, la pêche illicite non déclarée et non réglementée, les trafics d’armes et de drogues, la migration irrégulière et le vol de pétrole.

Quels sont les liens entre la CMTF et les initiatives régionales sur le plan de la sécurité maritime ?

Le golfe de Guinée compte plusieurs initiatives dans ce domaine, notamment l’Architecture de Yaoundé, qui fournit un cadre important pour la coordination et le partage d’informations. Cependant, ces initiatives ne disposent pas d’un mécanisme de réponse fiable et efficace. La CMTF est donc synchronisée avec les structures existantes en tant que mécanisme de réponse opérationnel permanent. À cet égard, elle fournirait un mécanisme de réaction collective, en complément de ces structures, avec les capacités cinétiques indispensables pour répondre de manière efficace et décisive aux menaces et aux urgences maritimes dans la région.

La CMTF étant une première du genre, quels enseignements pourrait-elle transmettre à des forces similaires dans d’autres régions maritimes telles que la Corne de l’Afrique ? Quels sont les principaux éléments favorables et les principaux obstacles à sa transposition ?

La sécurité maritime continentale en Afrique dépend fortement de la bonne volonté d’acteurs extracontinentaux, en particulier dans la Corne de l’Afrique, où les marines des États-Unis et de l’Union européenne, entre autres, composent les Forces maritimes conjointes. Les marines africaines peuvent s’inspirer de divers exemples à l’échelle internationale pour harmoniser et renforcer leur coopération grâce à un cadre comprenant une coordination militaire et politique. Le principal obstacle à la réplication de la CMTF pourrait être à la fois la capacité et la volonté politique des États africains.

Seul un dialogue africain sans médiateurs étrangers permettra d’avancer

Le partage de renseignements entre États reste un défi majeur dans la région. Quelles mesures la Force opérationnelle maritime conjointe (CMTF) envisage-t-elle pour y remédier ?

La CMTF a attentivement étudié le fonctionnement de plusieurs organisations militaires multinationales à travers le monde et a proposé la création d’un comité directeur de mission qui servirait de plateforme multinationale pour harmoniser les actions des parties prenantes et renforcer la cohérence au niveau politique. Ce comité permettrait d’instaurer la confiance entre les États et disposerait d’un bureau de centralisation des renseignements générés notamment par des officiers de liaison et des observateurs embarqués. Comme indiqué précédemment, la CMTF s’appuierait également sur les structures existantes pour le partage d’informations, notamment le Comité des services de renseignement et de sécurité en Afrique (CISSA).

Les infrastructures maritimes ouest-africaines reposent encore sur un soutien extérieur important. Quelle place la CMTF réserve-t-elle aux partenaires internationaux, et comment compte-t-elle garantir l'appropriation africaine de cette initiative, notamment les limites dans le cadre d’opérations conjointes, de formations ou de partage de renseignements ?

Il existe un dicton qui affirme que « la mer est le patrimoine commun de toute l’humanité ». La principale menace sécuritaire dans la région est transnationale, d’où la nécessité d’une réponse transnationale. Compte tenu de l’immensité du golfe de Guinée, seule la participation d’acteurs mondiaux permettra d’assurer sa sécurité et d’en maximiser les richesses. Le concept d’opérations de la CMTF invite tous les partenaires à contribuer à la lutte contre les réseaux criminels transnationaux.

Au cours des dernières années, vous avez fait plusieurs rapports au CPS concernant la sécurité maritime. Pouvez-vous nous faire part de ces expériences, des commentaires et du soutien que le CPS a pu vous apporter, et nous indiquer comment il pourrait continuer à vous appuyer dans ce dossier ?

Le fait d’avoir fait plusieurs fois rapport au CPS de l’UA en matière de sécurité maritime souligne l’importance de ces questions pour notre continent. Cela montre également la volonté des ambassadeurs du CPS de promouvoir le développement durable dans l’espace maritime africain.

La CMTF s’est inspirée de plusieurs organisations militaires multinationales à travers le monde

Cependant, il est nécessaire que les États membres s’approprient les conclusions des communiqués du CPS. Le décalage apparent entre le discours des représentants des États membres qui siègent au CPS et les actions de leurs capitales constitue un obstacle majeur à la prise en compte des communiqués. De même, que les parties prenantes concernées au sein de l’UA ne les appliquent pas sape les efforts et les ressources déployés par le CPS pour débattre de ces questions à l’échelle du continent. Par exemple, depuis 2021, le CPS appelle régulièrement la CUA à soutenir la CMTF, notamment en lui fournissant une aide logistique par l’intermédiaire de la Base logistique continentale. Cependant, à ce jour, la CMTF n’a reçu aucune forme d’appui de la part de la CUA. Il est donc nécessaire de synchroniser et d’harmoniser pleinement les activités du CPS avec celles de toutes les parties prenantes, en particulier les pays concernés et la CUA, afin de garantir le respect maximal des communiqués.

La sécurité maritime apparaît souvent comme très coûteuse. Comment la CMTF peut-elle se financer ?

Nous devons nous assurer que la CMTF contribue à la croissance économique bien au-delà de ce qui est nécessaire pour soutenir ses opérations. Selon un article de presse, qui cite des chiffres du ministère nigérian de la Marine et de l’Économie bleue, « le Nigeria déplore à lui seul chaque année des pertes d’environ 4 milliards de dollars US en raison de l’insécurité maritime ». Cependant, le simple déploiement de plateformes ne suffit pas : seul un financement durable permettra à la force de rester opérationnelle à long terme. La CMTF doit s’appuyer sur les États membres, mais aussi rechercher des financements auprès du secteur privé et de la communauté internationale, afin d’inciter ses États membres les moins bien dotés à déployer des moyens navals. Le soutien du secteur privé allégerait la charge financière des États membres et ferait de ce secteur un véritable acteur de la sécurité maritime.

Quelles mesures institutionnelles, politiques ou opérationnelles restent à prendre pour garantir le succès et la viabilité à long terme de la CMTF ?

À ce stade, deux éléments me semblent essentiels. Premièrement, il est important de mettre rapidement en place un Comité directeur de mission, afin de permettre des interactions transnationales au niveau politique. Un soutien politique total aux niveaux régional, continental et mondial renforcerait considérablement la crédibilité de la CMTF, ouvrant ainsi la voie à une action durable de la CMTF en faveur de la paix et de la stabilité à l’échelle mondiale.

La CMTF démontre que l’Afrique est capable de concevoir et de mettre en œuvre ses propres solutions. Elle complète des initiatives existantes en ajoutant une réelle capacité de réaction, soutenue par des ressources partagées et une volonté politique collective. Si nous parvenons à maintenir cette dynamique, tout en impliquant le secteur privé et en créant des structures dédiées au niveau de l’UA, l’Afrique sera enfin en mesure de prendre en main sa sécurité maritime.

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