Retrait de la MINUSMA : une occasion de faire valoir le leadership de l’Union africaine
Une approche globale pour rétablir la stabilité au Mali grâce à des mesures militaires et non militaires pourrait pallier le retrait de la mission.
Le 30 juin 2023, le Conseil de sécurité des Nations unies a voté à l’unanimité la fin de la Mission multidimensionnelle intégrée pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) pour le 31 décembre 2023. La MINUSMA avait été déployée en juillet 2013 en réponse à la prise de contrôle du nord du Mali par des groupes armés en 2012. Le vote faisait suite à la requête du gouvernement de transition du Mali de procéder « sans délai » au retrait de la mission.
En mai 2022, avant cette requête, Bamako s’était retiré du dispositif régional d’intervention du G5 Sahel. Peu après, les forces françaises Barkhane et Takuba ont quitté le pays. La fin de la MINUSMA, considérée comme un événement distinct, constitue donc une nouvelle étape dans ce qui semble être une démarche méthodique de démantèlement de la réponse sécuritaire internationale face à l’insécurité qui touche le Mali et le Sahel.
L’insatisfaction du Mali
Des fissures dans les relations entre Bamako et Paris sont apparues dès janvier 2013 à propos de la libération de Kidal. Après la reconquête de Gao et de Tombouctou par les forces françaises et maliennes, ainsi que des zones environnantes occupées par des groupes terroristes armés, l’armée française a empêché les troupes maliennes d’entrer dans Kidal. Cette décision a été perçue par les Maliens comme un soutien aux groupes rebelles touaregs.
Cependant, l’entreprise de déconstruction des mécanismes de coopération bilatérale et multilatérale a été amorcée par le réalignement du Mali sur la Russie à la suite du second coup d’État en mai 2021 et de la crise diplomatique avec la France. La décision du Mali d’explorer de nouvelles alliances militaires reflète l’insatisfaction des partenariats forgés au cours de la dernière décennie.
Le retrait de la MINUSMA ouvre la voie à un leadership plus affirmé dans la gestion de la crise au Sahel
Les tensions diplomatiques et géopolitiques — exacerbées par la polarisation entre l’Occident et la Russie au sujet de la guerre en Ukraine — ont également mis à l’épreuve les partenariats régionaux du Mali. Ses relations avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et le G5 Sahel ont été particulièrement ébranlées. Les autorités de transition maliennes perçoivent ces deux instances comme étant sous l’influence de la France. Ce qui s’explique par la forte implication de la France dans la mise en place et le fonctionnement du G5 Sahel et par la proximité entre les principaux chefs d’État de la CEDEAO et les autorités françaises.
La place prépondérante de la France dans la configuration politique et militaire de la mission de l’ONU et son rôle de porte-plume au Conseil de sécurité de l’ONU sur la situation au Mali ont renforcé la méfiance des gouvernements maliens successifs à l’égard de la mission. Les autorités de transition ont ainsi dénoncé la politisation par l’Occident des questions relatives aux droits humains après la mort de civils et les abus commis par les forces armées maliennes depuis 2022. La posture de Bamako s’explique également par le fait que le mandat militaire de la MINUSMA visait principalement la stabilisation du pays et ne répondait pas à ses objectifs de lutte contre le terrorisme.
Les implications du retrait
La demande de retrait de la MINUSMA fait peser des risques politiques, sécuritaires et humanitaires importants sur le Mali et la région dans son ensemble. Bien que le gouvernement malien semble confiant en sa capacité à contrôler pleinement la situation après le retrait de la MINUSMA, il convient de définir clairement une stratégie alternative.
À ce stade, la stratégie de Bamako semble reposer sur le renforcement de la coopération militaire avec la Russie et de la collaboration bilatérale avec certains pays voisins. Cependant, les autorités maliennes doivent garder à l’esprit que les solutions non africaines impliquant une dépendance financière ou technique, sont assorties de contraintes qui peuvent affecter leur durabilité et leur efficacité.
Le retrait de la MINUSMA ouvre la voie à un leadership plus affirmé de l’Union africaine (UA) et de la CEDEAO dans la gestion de la crise au Sahel. Il permet de redéfinir de manière constructive les relations multilatérales dans une région marquée par des rivalités institutionnelles préjudiciables entre l’ONU, l’UA, la CEDEAO, le G5 Sahel et, dans une moindre mesure, l’initiative d’Accra.
La région du Sahel aura du mal à se relever d’une nouvelle décennie d’instabilité
La région du Sahel est à la croisée des chemins et aura beaucoup de mal à se relever d’une nouvelle décennie d’instabilité. Les organisations africaines doivent tirer les leçons de dix années d’intervention ainsi que des actions qu’elles ont menées au début de la crise.
Lorsque la crise a débuté, l’UA et la CEDEAO ont efficacement piloté le dialogue politique entre les acteurs maliens et mobilisé des troupes pour reprendre le contrôle des régions occupées. Elles ont toutefois été mises à l’écart en 2013 dans l’organisation et la gestion de la riposte politique et militaire. Dans un contexte de lutte pour le leadership, le Conseil de sécurité des Nations unies a préféré la MINUSMA à la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA).
Un comité tripartite
D'un point de vue stratégique, l’UA devrait mettre en place un comité tripartite avec la CEDEAO et les Nations unies afin de gérer conjointement la période de transition post-MINUSMA et de répartir les tâches de manière optimale entre les organisations. Le comité devrait également anticiper les conséquences régionales du retrait pour le Burkina Faso, le Niger et les pays côtiers. Il pourrait être soutenu par un secrétariat technique et envisager la participation de structures ad hoc d’appui à la sécurité, telles que la Commission du bassin du lac Tchad, le G5 Sahel et l’Initiative d’Accra.
Conformément à l’architecture africaine de paix et de sécurité, fondée sur le principe de subsidiarité, axée sur les avantages comparatifs et guidée par les circonstances, l’UA devrait travailler en étroite collaboration avec la CEDEAO, qui dispose d’un cadre adéquat pour s’attaquer aux problèmes régionaux. La gestion des coups d’État récurrents et de l’insécurité liée aux groupes extrémistes violents a mis à mal la coopération régionale et multilatérale. Il s’agit là peut-être de la dernière occasion, compte tenu des recommandations du rapport à venir du Panel de haut niveau sur la sécurité et le développement au Sahel, dirigé par l’ancien président du Niger, Mahamadou Issoufou.
Une certaine dose de volonté politique est nécessaire
L’UA et la CEDEAO doivent aider les autorités maliennes à définir la voie à suivre en s’appuyant sur l’expérience acquise au cours des dix années d’intervention internationale au Sahel. Elles doivent demeurer à l’écoute des besoins du Mali bien qu’elles l’aient suspendu de leurs instances. Les autorités militaires de transition du Burkina Faso et de la Guinée, qui ont des frontières communes avec le Mali, devraient faire de même.
En soutenant les efforts régionaux, l’UA, à travers sa Mission pour le Mali et le Sahel (MISAHEL), devrait privilégier une approche politique en vue de stabiliser la situation politique et sécuritaire à court terme. Pour ce faire, la MISAHEL a cependant besoin de ressources financières et humaines adéquates ainsi que d’un mandat clair de la part du Conseil de paix et de sécurité de l’UA.
L’UA et la CEDEAO doivent être à l’écoute des besoins du Mali bien qu’il en ait été suspendu
Cette approche politique doit comporter deux volets. Premièrement, il faudrait que l’UA et la CEDEAO mobilisent les ressources diplomatiques nécessaires pour soutenir la médiation internationale de l’Algérie. L’objectif serait de relancer l’accord de paix et de réconciliation d’Alger de 2015. L’élection de l’Algérie en tant que membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations unies à partir de janvier 2024 facilitera ces efforts.
Deuxièmement, l’UA devrait désigner une personnalité politique africaine chargée de la reprise du dialogue de haut niveau entre le Mali et ses pays voisins. Cela rétablirait la confiance entre les États d’Afrique de l’Ouest et redynamiserait la coopération régionale en matière de sécurité.
Si le Mali acceptait le déploiement de la force en attente de la CEDEAO, l’UA pourrait partager les enseignements tirés de sa propre mission en Somalie ou de sa stratégie de stabilisation régionale dans le bassin du lac Tchad. Il s’agirait de la première opération de lutte contre le terrorisme et de stabilisation de la CEDEAO depuis la MISMA et elle pourrait inclure la mise à disposition de conseillers militaires et politiques ayant travaillé sur des processus similaires. Les opérations militaires régionales seraient planifiées et entreprises conjointement, et dans le respect de la légalité, avec les forces armées maliennes. L’instauration et le maintien de la confiance sont essentiels.
Alerte précoce et partage d’informations
L'UA devrait préconiser une approche globale de la lutte contre le terrorisme. Elle pourrait envisager d’utiliser la Plateforme interrégionale d’échange de connaissances de l’UA ou de mettre en place un cadre d’échange d’expériences afin d’améliorer les interventions antiterroristes au-delà des simples opérations cinétiques.
Outre les opérations militaires, des mesures non militaires sont nécessaires, notamment pour inciter les combattants à déserter les rangs des groupes extrémistes violents. On peut également les affaiblir en s’attaquant à leurs chaînes de ravitaillement et à leurs sources de financement. À cette fin, l’UA pourrait relancer le processus de Nouakchott, un mécanisme de collaboration pour agences de renseignement, qui vise à une mise en commun plus efficace des ressources militaires et de sécurité.
Image : © MINUSMA/Harandane Dicko