Renforcer l’impact du processus d’Oran

Malgré la tenue de neuf séminaires de haut niveau, les objectifs du processus d’Oran se heurtent à plusieurs difficultés.

Le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’Union africaine accueillera, les 17 et 18 décembre, le séminaire annuel d’Oran sur la paix et la sécurité en Afrique. La 10e édition réunira les 15 membres du CPS, les trois membres africains (A3) du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU), ainsi que les partenaires et « amis du séminaire ». Ces derniers regroupent les États ou entités qui veulent soutenir le processus. Les délégués discuteront des préoccupations du continent autour du thème « Renforcer la coopération entre le CPS et les A3 ».

Lancé en 2013, le séminaire vise à renforcer la collaboration entre le CPS et les A3 afin de promouvoir la paix, la sécurité et le développement en Afrique. Plateforme de réflexion, il se donne également pour mission de renforcer les capacités des nouveaux membres africains. L’Angola, l’Égypte, l’Éthiopie et le Niger ont participé à l’édition 2022 en tant qu’« amis » et le Tchad comme simple pays invité, le CPS étant autorisé à y convier des États membres. Cependant, la distinction entre pays ami et pays invité reste floue.

Au cours des dix dernières années, le Conseil a institutionnalisé le séminaire qui s’est ainsi mué en réunion annuelle statutaire. Ce qui lui permet, ainsi qu’aux A3, de disposer d’une plateforme de consultations régulières, essentielle pour formaliser la collaboration consacrée dans les premières conclusions du séminaire. Cependant, malgré son importance et ses atouts, l’initiative a obtenu des résultats mitigés et doit relever de nombreux défis si elle veut atteindre son objectif.

Quelques succès

Depuis 2013, neuf séminaires ont été organisés avec les mêmes objectifs et selon un format similaire, impliquant le CPS et les A3 d’une part, et les Nations unies et les amis du processus d’autre part. La confusion entourant le format du séminaire peut remettre en question son appropriation, sa nature et ses objectifs initiaux, notamment la garantie d'une position commune africaine au sein du CSNU.

Depuis 2013, le processus d’Oran œuvre à renforcer la collaboration entre le CPS et les A3

Dès son lancement, la réunion a identifié vingt questions relatives à la coordination, à l’information et l’analyse, ainsi qu’aux capacités humaines et financières. Les conclusions de la dernière édition, qui s’est tenue en décembre 2022, font état de progrès louables dans ces trois domaines.

Une ébauche de guide sur le dialogue et la coordination entre le CPS et les membres africains du CSNU a été soumise aux États membres pour qu’ils y apportent leur contribution. La version consolidée du document sera à nouveau présentée au Conseil pour adoption « dès que possible ». Malgré le calendrier suggérant des négociations en cours, et retardant l'adoption, la présentation d'une ébauche est vue comme un progrès dans la formalisation de la collaboration entre le CPS et les A3.

Dans ses conclusions, le séminaire de 2022 a félicité la mission d’observation permanente de l’UA auprès des Nations unies pour son rôle essentiel de secrétariat des A3 et de dépositaire de sa mémoire institutionnelle. Cette mission se concentre sur la fonction de porte-plume et sur l’inadéquation des canaux de coordination identifiés il y a dix ans.

Les dernières années ont vu cinq résultats concrets, dont la rédaction d’une ébauche de guide, la désignation de la mission d’observation de l’UA en tant que secrétariat et dépositaire de la mémoire institutionnelle des A3, et la mise en place de la troïka. Les deux derniers résultats sont la création d’un groupe diplomatique africain à New York et la mise en place d’une plateforme de dialogue permanent avec les ambassades des A3 à Addis Abeba.

Les défis

Toutefois, plusieurs défis persistent ou émergent qui limitent l’impact du séminaire et entravent ses efforts de coordination. Même si la rédaction du guide constitue une initiative louable, il s’agit d’un projet dépourvu de tout caractère contraignant et dont la date d’adoption reste incertaine. Son approbation lors du prochain séminaire est essentielle pour consolider la collaboration entre le CPS et les A3. Toutefois, le fait qu’il ne soit toujours pas adopté après près d’une décennie de séminaires soulève de sérieuses questions quant à la volonté politique des deux parties.

Un guide sur le dialogue a été ébauché, mais n’a pas encore été adopté

Les progrès réalisés dans la coordination et la transmission d’un seul et même message au CSNU sur les questions de paix et de sécurité en Afrique sont louables, mais l’utilisation des A3 comme canal de communication pose certains problèmes. Leur caractère et leur rôle politiques doivent encore être précisés par rapport aux objectifs du séminaire. La question de savoir si l’objectif ultime est de faire des A3 un prolongement de l’UA reste ouverte. Ce serait toutefois très difficile pour plusieurs raisons.

Bien qu’ils s’y soient engagés en 1999, les dirigeants africains éprouvent des difficultés à parvenir à une position africaine commune. L’adoption des déclarations de Syrte (1999 et 2005) et du consensus d’Ezulwini (2005) n’a ni atténué les divergences entre les États africains, ni modifié leur approche axée sur la défense de leurs intérêts nationaux individuels dans les forums multilatéraux.

Dans la quête de l’Afrique pour que les contributions obligatoires de l’ONU appuient les opérations de soutien de la paix de l’UA, certains membres du groupe des A3 ont contourné l’accord UA-A3, en prônant l’adoption d’une résolution de l’ONU qui ne reflétait pas le point de vue de l’Afrique. C’est ce qu’il s’est passé avec la Côte d’Ivoire durant son mandat au CSNU entre 2018 et 2019. Bien que ce comportement puisse être considéré comme isolé, il met en évidence la fragilité de l’accord CPS-A3, qui reste soumis aux intérêts fluctuants des États membres.

Au cours des cinq dernières années, la volonté constante des membres du groupe des A3 de soutenir et de diffuser le point de vue de l’Afrique a été remarquable. Dans le discours de clôture du dernier séminaire, l’ambassadeur Bankole Adeoye a félicité le Kenya. Il a souligné la collaboration constructive entre le CPS et les A3 lors des négociations pour le communiqué conjoint de la 16e réunion consultative annuelle avec le CSNU en 2022, dirigées par le Gabon et le Maroc.

Cette attitude pourrait être le signe d’une volonté croissante des membres des A3 de défendre les objectifs de l’UA au CSNU. Ce qui impliquerait toutefois de leur part de rendre compte à l’UA de leurs activités au CSNU, comme cela a été mentionné dans les premières conclusions du séminaire.

Cependant, en dépit de leur appartenance à l’UA, les pays membres des A3 siègent au CSNU en tant qu’États souverains et n’ont de comptes à rendre qu’à leurs capitales, et non à l’UA. Ainsi, la demande de l’organisation continentale que les pays fassent un rapport de leurs activités au CSNU constitue une hérésie diplomatique fondée sur l’hypothèse d’une obligation morale panafricaine plutôt que d’une responsabilité codifiée.

La participation devrait se limiter aux acteurs africains pour favoriser des positions communes sur les enjeux continentaux

Les conclusions du dernier séminaire ont rappelé le défi que représente le manque de financement et de capacités des missions diplomatiques des États africains et de la mission d’observation de l’UA. La solution choisie par le Nigeria et le Maroc de déployer à leurs propres frais du personnel de soutien à l’UA ne semble guère viable à long terme.

Autre point litigieux : la participation potentielle du Gabon, sous le coup d’une suspension de l’UA, mais qui fait partie des A3. L’article 23 de l’Acte constitutif de l’UA et le cadre d’Ezulwini de 2009 stipulent que les États suspendus ne doivent pas participer aux activités de l’UA. Cependant, le Mali a été autorisé à assister à la conférence d’Oran en 2022. De même, le Gabon pourrait bien être présent à la prochaine réunion.

Toutefois, des inquiétudes subsistent quant à la participation de ce dernier aux sessions à huis clos des A3 avec des partenaires et amis, risquant de compromettre davantage les normes et principes de l’UA. Dans un cas comme dans l’autre, le fait d’autoriser ou de refuser la présence du Gabon à ces sessions créerait un précédent. Ce serait un signal fort, car le Gabon est le premier pays touché par un coup d’État et à être suspendu par l’UA alors qu’il est membre des A3, depuis la création du groupe. Une alternative à sa participation serait d’inviter les nouveaux membres des A3, à savoir l’Algérie et la Sierra Leone.

La voie à suivre

Le séminaire d’Oran devrait être soigneusement conçu et seuls devraient y participer des protagonistes africains, puisqu’il a pour but de favoriser des discussions franches pour améliorer la coordination dans la diffusion des positions africaines communes. Pour ce faire, l’UA et les A3 doivent s’approprier le séminaire sur le plan financier et politique et assurer un contrôle total de la participation et de l’ordre du jour.

La coordination pourrait également être renforcée par la formation continue des missions diplomatiques de l’UA à New York, Bruxelles ou encore Addis Abeba. Le séminaire a été conçu à l’origine pour combler un manque de connaissances concernant les méthodes de travail du CPS et du CSNU et un tel projet permettrait de pallier cette lacune. Ces formations pourraient être dispensées par des groupes de réflexion africains sur la paix et la sécurité, ce qui réduirait les débats sur la formation lors du séminaire et libérerait ainsi du temps pour des sujets plus importants.

Dans l’esprit de la politique de tolérance zéro de l’UA à l’égard des coups d’État, le CPS devrait insister sur le fait que le Gabon ne devrait pas être admis aux sessions à huis clos. Une telle position témoignerait de la cohérence du Conseil dans la mise en œuvre des normes démocratiques et de sa volonté à les faire respecter. Elle créerait un précédent concernant les États africains défaillants siégeant au CSNU.

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