Renforcer le cadre sur le mercenariat en Afrique
Afin d’être efficace, ce cadre doit tenir compte de l’évolution du secteur militaire privé et assurer une mise en œuvre coordonnée.
Depuis une dizaine d’années, l’Afrique connaît une recrudescence du mercenariat. Il est difficile de déterminer le nombre de mercenaires présents sur le continent en raison de l’opacité de leurs activités. Cependant, la dégradation de la sécurité s’explique notamment par l’augmentation du nombre d’États qui ont eu recours à des mercenaires pour pouvoir faire face aux groupes extrémistes violents.
La représentante spéciale par intérim du secrétaire général des Nations unies et chef de la Mission d’appui des Nations unies en Libye (UNSMIL), Stephanie Williams, a indiqué en décembre 2020, lors de la troisième réunion virtuelle du deuxième cycle du Forum de dialogue politique libyen, qu’environ 20 000 combattants étrangers ou mercenaires se trouvaient en Libye.
En 2022, l’on estimait qu’entre 1 200 et 2 000 mercenaires soutenaient les forces armées de la République centrafricaine (RCA). Le Mali a suivi une voie similaire, avec près de 1 645 agents sous contrat en avril 2023. Leur présence a également été constatée au Mozambique, au Soudan et au Burkina Faso. Par rapport aux petits contingents — entre 50 et 500 par opération — affectés à des missions courtes et sporadiques au début de l’expérience africaine dans le mercenariat, il s’agit bien là d’une augmentation soutenue.
La crise que traverse le multilatéralisme régional et l’impréparation des mécanismes de sécurité, tels que la Force africaine en attente, ont conduit à un recours croissant à des sociétés militaires « privées ». Celles-ci ont des responsabilités très diverses qui va de la formation des troupes et la prestation de conseils au Burkina Faso et au Niger à la participation aux combats au Mali et en RCA. Cette diversité rend ces acteurs de plus en plus attrayants pour les gouvernements de ces pays qui ont ouvertement recours à des groupes tels que Wagner.
De plus en plus d’États recourent à des mercenaires pour faire face aux groupes extrémistes violents
Si ces pays affirment que ces partenariats ont des effets positifs sur leur quête de pacification, les récents assassinats de citoyens par des mercenaires suscitent des inquiétudes quant au non-respect des droits humains lors des opérations. L’usage brutal et indiscriminé de la force par les mercenaires a fait de nombreuses victimes civiles, en particulier dans le nord du Mali et en RCA.
Le Conseil de paix et de sécurité (CPS) a débattu à plusieurs reprises de la menace que représente la résurgence du mercenariat pour la stabilité de l’Afrique et les modèles qu’il promeut. Il a souligné le besoin urgent de renforcer la Convention de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) sur l’élimination du mercenariat en Afrique de 1977. Le communiqué le plus récent du CPS sur le sujet, publié à l’issue de sa 1189e réunion du 1er décembre 2023, appelle explicitement à une finalisation rapide de la révision de la Convention. Il a également exprimé « sa profonde préoccupation face à la grave menace que représentent les mercenaires pour la réalisation du programme de paix et de sécurité de l’UA ». Ce processus a permis d’élaborer une ébauche de document exploitable et ouvert à participation.
Les insuffisances de la Convention de 1977
La Convention de 1977 constitue un cadre adapté à son époque. Elle présente une définition élargie du mercenaire et de ses activités, conformément aux réalités ayant motivé son adoption. Elle note l’utilisation de sous-traitants irréguliers par des acteurs extérieurs pour écarter des dirigeants politiques considérés comme faisant obstacle à leurs intérêts. Le mercenariat en Afrique est traité comme un phénomène importé plutôt que local.
L’impréparation des mécanismes de sécurité a conduit à l’utilisation de sociétés militaires « privées »
Toutefois, à la suite de l’éclatement de guerres civiles, des groupes africains tels que Executive Outcomes sont apparus à la fin des années 1980 et ont pris activement part à des conflits dans certains États membres de l’OUA de l’époque, dont la Sierra Leone et l’Angola. Les définitions de « mercenaires », « activités mercenaires » et « crime de mercenariat » par la Convention de 1977 mettent l’accent sur la nature privée des mercenaires et établissent des mesures visant à responsabiliser à la fois les entreprises du secteur et ceux qui les recrutent. Il était donc adapté à l’objectif visé depuis son adoption jusqu’à la fin des années 2000.
Ce cadre n’a toutefois pas été conçu pour anticiper l’émergence d’un mercenariat d’État en Afrique. Ainsi, la nature même des mercenaires remet aujourd’hui en question leur statut « privé » qu’il s’agisse d’individus ou de groupes. Certains opèrent ouvertement ou sous le contrôle direct ou indirect d’autres États. C’est le cas des organisations russes qui interviennent sous l’égide du tout nouveau Africa Corps. Les plus connues (Wagner, Convoy et Redut) sont liées au ministère russe de la Défense.
En outre, l’absence d’un comité continental sur le mercenariat a privé l’OUA/UA et les États membres d’un instrument de contrôle et de gestion essentiel. Cette situation a eu des conséquences désastreuses sur les efforts de l’Afrique pour contrôler le mercenariat. Elle a notamment empêché le suivi du respect de la Convention de 1977 par les États membres et l’appui à la mise en place du cadre.
Les étapes et objectifs de la révision
La révision de la Convention de 1977 par l’UA, pilotée par son unité chargée de la réforme du secteur de la sécurité et du désarmement, de la démobilisation et de la réintégration, a été effectuée sur la base d’une approche inclusive et participative. Ce processus de révision fait suite aux discussions récurrentes du CPS sur le mercenariat. Il bénéficie du soutien de partenaires importants qui ont contribué de manière substantielle à l’élaboration et au renforcement d’un projet de convention comportant pas moins de 40 articles. De nombreuses consultations, tant en présentiel que virtuelles, avec des organisations de la société civile africaine, des groupes de réflexion et des partenaires internationaux ont permis de procéder à un examen approfondi du texte de 1977.
Le projet de convention prévoit la création d’un comité sur le mercenariat et inclut la société civile
Dans un premier temps, les partenaires ont apporté une contribution importante à cette révision par le biais d’une note d’information détaillée sur l’impact des activités de mercenariat sur l’objectif de faire taire les armes en Afrique. Depuis la publication de cette note, le projet de convention a été étoffé afin de combler certaines lacunes évidentes. Il prévoit ainsi la création d’un comité sur le mercenariat et confie aux acteurs de la société civile un rôle d’assistance aux États membres et au comité de surveillance.
Des dispositions adéquates sont également prises pour le suivi de la mise en œuvre par les États membres et les pratiques concernant la rédaction de rapports pour garantir l’adoption effective, au niveau national, des dispositions de la convention révisée. Afin que le cadre reflète les réalités actuelles, les définitions contenues dans le document sont élargies, notamment en ce qui se rapporte aux mercenaires et à leurs activités.
La voie à suivre
La révision en cours de la convention de l’OUA — qui bénéficie du soutien appuyé des experts et des partenaires — constitue une étape louable dans la lutte contre le mercenariat contemporain sur le continent. Il incombe à l’UA de doter ses États membres d’un instrument primordial, qui contribuera grandement à façonner la riposte continentale.
Si la création d’un comité sur le mercenariat est cruciale, ses relations de travail avec le CPS et ses exigences de présentation de rapports doivent être claires. Le CPS devrait être informé de manière périodique de l’état du mercenariat sur le continent et tenir compte des discussions sur la question lorsqu’il élabore son programme annuel. Cela permettrait d’améliorer le contrôle et la gestion de la riposte continentale au niveau décisionnel le plus élevé.
Lorsque le comité d’examen finalisera la dernière mouture du document, il devrait envisager des dispositions relatives au suivi des violations des droits humains commises par des mercenaires opérant dans des zones de conflit. Ces dispositions seront fondamentales pour mettre en place des mécanismes de suivi de ces abus, qui pourraient ensuite être exploités par des juridictions telles que la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, afin de garantir l’obligation de rendre des comptes pour les violations commises à l’encontre des civils.