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Remédier aux limites du protocole sur le CPS

Alors que le Conseil de paix et de sécurité fête ses 20 ans, le protocole qui a présidé à sa création est critiqué pour ses nombreuses insuffisances.

Le 25 mai 2024, le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’Union africaine (UA) a célébré son 20e anniversaire à Dar es-Salaam, en Tanzanie. Ces commémorations de la maturité acquise au fil des ans par le Conseil, créé en mars 2004, ont été l’occasion de faire le point tant sur les progrès accomplis que sur les défis à relever. Elles ont également permis au Conseil, dont la phase d’expérimentation et d’apprentissage est terminée, de réfléchir à l’avenir et de planifier de nouvelles avancées. Cependant, celles-ci dépendront de l’identification des limites du CPS, de la rectification de ses dysfonctionnements et de l’adoption de dispositions à même de générer de nouvelles avancées.

Les circonstances qui ont donné naissance au CPS remontent à 1994, lorsque les responsables politiques africains ont commencé à accorder une attention accrue à la nécessité d’une organisation continentale adaptée à ses objectifs. Près de neuf années de réflexion approfondie ont précédé la transformation de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) en UA. Cet intervalle de temps a permis aux rédacteurs d’élaborer un document évolutif qui reflétait la réalité de l’époque, comblait les lacunes du passé et préparait les défis à venir. Cette démarche était nécessaire, car aucun document ayant vocation à apporter une réponse politique aux conflits et à faire valoir les besoins des populations ne peut être gravé dans le marbre. De même, aucune prospective n’est assez éclairée pour donner une idée suffisamment juste d’un avenir très lointain.

Toutefois, le silence du protocole sur certaines questions et le manque de clarté des orientations formulées ont eu des répercussions sur le CPS et montrent qu’il est nécessaire de procéder à un examen complet de ses insuffisances intrinsèques.

Les responsabilités sans le format

Les observateurs, les universitaires et les décideurs politiques en Afrique s’accordent à dire que les deux principes clés inhérents à l’Acte constitutif de l’UA, à savoir la non-indifférence et le droit d’intervenir dans les affaires des États membres, sont des innovations majeures qui auraient été impossibles à réaliser à l’époque de l’OUA. Toutefois, l’Afrique a confié le respect de ces deux principes novateurs par les États membres de l’UA au CPS, par l’intermédiaire de son protocole. Dans la pratique, cependant, la concrétisation de ces principes peut être difficile, en partie parce que le protocole ne fournit pas de cadre pour leur mise en œuvre, bien que les rédacteurs aient eu l’intention de le faire. Il se peut donc qu’ils soient mal appliqués lorsqu’un État membre invite l’UA à intervenir pour rétablir une situation de normalité. Le CPS peut être contraint dans sa manière de gérer une situation dans laquelle l’intervention de l’UA est nécessaire, comme dans, par exemple, des circonstances graves telles qu’un génocide.

Les insuffisances du protocole sur le CPS doivent être corrigées

Ainsi, la décision du CPS de déployer une mission préventive de l’UA au Burundi en 2015 pour enrayer un génocide perçu comme imminent n’a pas pu être exécutée et a finalement été invalidée par l’UA. Dans ce cas précis, le CPS a-t-il commis une erreur ? Il est fort probable que le Conseil se soit trompé pour les raisons suivantes :

  • Le Protocole reste muet sur les mesures pratiques à prendre pour qualifier une situation donnée comme relevant d’un génocide ou s’en approchant ;
  • Il n’existe aucune évaluation collective de terrain réalisée par des organisations mondiales, continentales, régionales et sous-régionales, et ce, en dépit de leurs relations de travail protéiformes ;
  • Le protocole ne fixe aucun délai pour l’examen d’une recommandation du CPS par la Conférence de l’UA avant qu’une action ne soit menée.

Le Conseil a également été confronté au dilemme suivant : la mission préventive devait-elle être mise en œuvre par la Force africaine en attente (FAA) ou par un autre dispositif ? D’un point de vue pragmatique, il incomberait à la FAA d’être déployée pour des missions visant à sauver — et à protéger — des vies africaines. Cependant, une lecture attentive des dispositions du protocole sur le CPS montre des imprécisions dans l’utilisation des outils mis à la disposition du CPS pour recourir à la FAA de cette manière. De nombreux obstacles découlent de ce manque de clarté et l’Afrique ferait bien de mettre à jour et d’étoffer le protocole.

L’anniversaire du CPS coïncide avec la suspension de six États membres pour des CAG

L’inefficacité du rétablissement de l’ordre constitutionnel

L’anniversaire du CPS intervient alors que pas moins de six États membres (le Burkina Faso, le Gabon, la Guinée, le Mali, le Niger et le Soudan) font l’objet d’une suspension pour cause de changement anticonstitutionnel de gouvernement. Il s’agit d’une situation sans précédent. Les États d’Afrique de l’Ouest qui font partie de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ont fragilisé les fondements de cette dernière en engageant une procédure pour en sortir. Ils ont également entrepris de créer une organisation concurrente à la CEDEAO.

Indépendamment des suspensions et des autres mesures imposées à ces pays, le protocole ne donne pas suffisamment de pouvoir au CPS pour dissuader les auteurs potentiels de changements anticonstitutionnels de gouvernement ou pour rétablir rapidement l’ordre constitutionnel. Les dispositions actuelles sont manifestement inadéquates et limitatives. Le risque, bien qu’évitable, est de voir un nombre croissant de pays sombrer dans une dérive anticonstitutionnelle.

Des questions concernant le statut de membre permanent

Les membres du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) ont commencé à assumer leurs fonctions sans grande controverse en 1945. Il n’en a pas été de même pour le CPS. Bien que le principe de rotation des membres pour dix sièges s’applique à la fois au CSNU et au CPS, la raison d’être de ce principe diffère entre les deux instances. Le processus de définition de la composition du CPS a fait l’objet d’un débat politique initié en 2002 et terminé début 2004 entre tous les États membres. Ce long processus a permis de déterminer si le Conseil devait être composé de membres permanents et non permanents. Le statut de membre permanent n’a jamais trouvé sa place. L’idée d’un mandat long au sein du CPS, qui permettait à certains membres de siéger pendant dix ans, n’a pas non plus été retenue. Les États membres ont préféré opter pour des membres élus et non permanents.

Bien que cet arrangement ait résisté à l’épreuve du temps, il pourrait aujourd’hui être remis en question. Tout d’abord, l’Afrique et ses citoyens réclament à cor et à cri une réforme de l’Organisation des Nations unies (ONU), y compris de son Conseil de sécurité, afin de rendre l’ONU plus représentative et plus démocratique. Dans cet effort, l’Afrique maintient sa demande de deux sièges permanents pour concrétiser le consensus d’Ezulwini. Toutefois, l’obtention possible de ces sièges permanents pourrait constituer un dilemme pour le continent, car aucune formation n’a encore été élaborée à l’intention du ou des pays qui occuperaient les deux sièges en question.

Le Conseil ne dispose pas de pouvoirs suffisants pour dissuader les auteurs potentiels de CAG

Le CPS aurait pu aider à former des États capables d’assumer un rôle similaire au sein du CSNU, mais cela n’a pas été le cas. Avec le consensus pour éviter la mise en place de membres permanents au sein du CPS, l’Afrique s’est privée de la possibilité de former ses propres pays à jouer un rôle similaire à l’échelle mondiale.

Si l’Afrique avait sélectionné ou élu un ou deux pays pour un mandat prolongé au sein du CPS, ce ou ces pays auraient dû :

  • Effectuer un versement annuel supérieur à la contribution statutaire au Fonds pour la paix de l’UA ;
  • Être l’un des principaux fournisseurs de militaires, de policiers et de personnel civil pour les opérations de soutien à la paix de l’UA ;
  • Verser une contribution financière annuelle pour les activités de reconstruction et de développement postconflit de l’UA ;
  • Renforcer la bonne gouvernance politique et les institutions démocratiques ;
  • Promouvoir le commerce continental et les activités d’intégration ;
  • Entretenir une culture de respect des libertés et des droits humains ;
  • Avoir une gouvernance économique stable et saine.

Il n’est pas trop tard pour que l’Afrique introduise un siège doté d’un mandat prolongé. Cela relèverait de la prévoyance et constituerait un choix stratégique fort. Les États membres aspirant à un siège permanent au CPS pourraient ainsi faire campagne en ce sens.

Par ailleurs, l’Afrique disposerait d’un cadre plus propice à l’évaluation des performances des États membres au sein du CPS afin d’en améliorer l’efficacité. Enfin, cela permettrait de révéler les pays réellement aptes à représenter l’Afrique au-delà des intérêts et des considérations nationales.

Étoffer le protocole

Le moment est venu d’explorer plus en profondeur les principales lacunes et limites du CPS afin d’en orienter les activités futures et d’anticiper les défis à venir. Les efforts déployés à cette fin devraient prendre appui sur les occasions de réflexion déjà créées par le CPS à l’occasion des retraites organisées depuis 2007. Le Conseil devrait ainsi consacrer une retraite annuelle à une réflexion et une évaluation approfondies de son protocole et de ses limites, ainsi qu’à sa mise à jour et à son enrichissement. Il s’agit d’une question urgente qui exige une démarche proactive.

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