Photo des Nations Unies

Rationaliser la contribution de l'Afrique au Pacte pour l'avenir

Les États africains doivent s'impliquer plus activement dans les négociations sur le Pacte pour l'avenir avant qu'il ne soit trop tard.

Le 26 janvier 2024, les préparatifs du Sommet de l'avenir ont été lancés avec la publication de l'avant-projet du Pacte pour l'avenir. Selon des sources de l'Organisation des Nations unies (ONU), plus de 80 États membres, environ 500 organisations de la société civile et d'autres acteurs clés ont contribué aux consultations sur lesquelles le projet est basé. Le projet a depuis stimulé les négociations en cours alors que les facilitateurs du processus travaillent à la finalisation du document en vue de son adoption lors du Sommet de l'avenir prévu en septembre 2024. Malgré de larges consultations et de nombreux apports, des sources proches du processus s'inquiètent de la manière dont l'Afrique a défini ses priorités, alors même que le projet en est à sa troisième lecture.

Pourquoi ce sommet est-il important ?

Les négociations du Pacte pour l'avenir interviennent à un moment où le système global de gouvernance de la sécurité est mis à rude épreuve et où les conséquences humanitaires des conflits, des changements climatiques et des pandémies sont évidentes. À l'échelle mondiale, le nombre de conflits a augmenté de plus de 40 % depuis 2020, provoquant la détérioration de la sécurité et de la situation humanitaire dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC), au Sahel et dans la Corne de l'Afrique.

Ces problèmes, qu’ils soient nouveaux ou pas, sont aggravés par l'incapacité des mécanismes de riposte, mondiaux ou régionaux, à y remédier. La capacité des Nations unies à recourir à des instruments de paix essentiels tels que la médiation lors de crises majeures a été entravée par les profondes divisions qui minent le Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU). Ces divisions l’ont empêché d'autoriser rapidement le déploiement de nouvelles opérations de paix depuis 2014. Dans certains pays où des missions de l'ONU étaient déjà présentes, tels que la RDC et le Mali, elles ont dû faire face à une hostilité croissante et à des demandes de retrait malgré l'incapacité patente des structures nationales à préserver les progrès réalisés par les missions de maintien de la paix.

Le président de la Commission de l'UA, Moussa Faki Mahamat, a récemment déploré que le Conseil de paix et de sécurité (CPS) ait de plus en plus de mal à faire appliquer ses décisions. Nombre d'entre elles sont ignorées, voire transgressées, notamment lorsque surviennent des divergences d'interprétation du principe de subsidiarité qui régit les relations entre l'UA et les blocs régionaux.

Plus de 80 États membres et 500 organisations de la société civile ont contribué à l'avant projet du Pacte

Compte tenu de l'inadéquation des réponses, les préparatifs du Pacte pour l'avenir offrent aux acteurs multilatéraux mondiaux une occasion rare de réfléchir aux solutions aux questions relatives à la paix et à la sécurité internationales. L'Afrique est le continent le plus touché par les menaces qui pèsent sur la paix et la sécurité. Il s'agit donc pour elle d'une occasion unique de s'assurer que ses priorités dans les cinq chapitres du pacte sont prises en compte de manière adéquate. Cela contribuerait grandement à faire en sorte que tout cadre de réponse émergent réponde de manière satisfaisante aux défis. Les dispositions de l'avant projet du Pacte qui soulignent la nécessité d'un financement adéquat, prévisible et durable des opérations régionales de soutien à la paix, par exemple, devraient bénéficier directement à l'Afrique dans sa quête de ressources pour faire face à ses problèmes urgents.

Deux priorités du projet concernent la réforme des institutions de gouvernance mondiale. Elles visent à inciter les dirigeants mondiaux à s'engager en faveur d'un système multilatéral efficace, compétent, juste et représentatif, et d'un système financier modernisé et renforcé pour « offrir des solutions plus complètes, équitables et durables face aux défis à venir ». Le sommet permettra à l'Afrique de lancer des discussions sur les grandes priorités de la réforme mondiale sur lesquelles elle travaille depuis des décennies. Ne pas saisir l'opportunité de contribuer à ce débat pourrait compromettre la possibilité pour le continent de revenir sur la question.

Davantage de besoins, moins d'implication

Depuis la publication de l'avant projet du pacte, les négociations se sont accélérées à New York. De nombreuses consultations informelles avec de multiples parties prenantes et États membres ont ouvert la voie à une troisième lecture le 28 mai 2024. Toutefois, à ce jour, l'UA, les communautés économiques régionales et les États membres n'ont fait preuve que de peu d'intérêt et d'implication. Bien que certains fonctionnaires de l'UA aient partagé des priorités de l'Afrique sur certaines plateformes, aucune position dominante n'a émergé à propos du pacte. Comme l'a fait remarquer un co-facilitateur du pacte, peu d'États africains aident à élaborer une position africaine.

La participation la plus visible est celle du Conseil économique, social et culturel de l'UA, qui participe à faire connaître le sommet et qui cherche à faire valoir les contributions de l'Afrique au pacte. D'autres groupes de réflexion et acteurs de la société civile ont également débattu du sujet. Parmi les plus notoires, citons le dialogue sur le Sommet africain du futur organisé par le Centre Savannah pour la diplomatie, la démocratie et le développement et d'autres acteurs de la société civile à Abuja, au Nigéria. La participation d'un grand nombre de parties prenantes africaines lors de la Conférence de la société civile des Nations unies qui a eu lieu en mai 2024 à Nairobi a également permis d'obtenir des informations précieuses.

Le sommet permettra à l'Afrique de peser sur les réformes de la gouvernance mondiale

Ces événements ont toutefois été confrontés à deux obstacles majeurs. Premièrement, même si des débats ont lieu dans divers forums d'organisations de la société civile, il est difficile de déterminer dans quelle mesure ils constituent une position africaine. Bien que les discussions au sein des instances onusiennes dédiées aux organisations de la société civile aient été clairement reconnues par les facilitateurs du pacte, il n'est pas certain que les résultats de ces événements influencent les discussions à New York. Deuxièmement, étant donné que le processus est piloté par les États membres, la mobilisation limitée au niveau des États de l'UA reste un inconvénient important. Alors que le pacte est en concurrence avec les différents acteurs continentaux pour attirer l'attention de la communauté internationale, les délais de publication du projet et la rareté de l'opportunité qu'il offre devraient avoir ravivé la mobilisation au sein de l'UA.

De nombreuses délégations supposent évidemment que la contribution de chaque pays sera relayée par leurs représentations permanentes à New York. Toutefois, pour un processus aussi crucial, l'absence de mobilisation continentale pour parvenir à un consensus et à des positions communes sur certaines propositions constitue une lacune majeure. Il convient d'y remédier si l'Afrique entend contribuer de manière adéquate aux efforts déployés au niveau mondial pour parvenir à un « pacte ambitieux et orienté vers l'action par le biais d'un consensus ».

Un consensus continental

Il existe une compréhension commune des intérêts et une convergence de vues entre les États membres africains sur la nécessité de renforcer le multilatéralisme et de réformer la gouvernance mondiale pour refléter les réalités. Toutefois, le peu d'entrain avec lequel les pays africains — collectivement ou individuellement — tentent de mettre à profit les négociations en cours afin de concrétiser ces objectifs suscite encore des interrogations. Ce n'est pas la première fois que l'Afrique est appelée à formuler des positions communes, mais l'absence de structure et de cadre global pour parvenir à un consensus continental en faveur du pacte est pour l'heure manifeste. Il n'existe pas non plus de plateforme de discussions entre les missions diplomatiques africaines à Addis-Abeba, New York ou Bruxelles. Il n'est donc pas possible de garantir un flux continu de contributions régionales aux débats qui se déroulent à New York.

La définition de positions continentales fortes nécessite une plus grande coordination entre le siège de l'UA à Addis-Abeba et le groupe africain à New York. Le CPS est particulièrement bien placé pour faire aboutir des négociations qui feraient émerger un consensus susceptible d'éclairer la contribution de l'Afrique. Il pourrait ainsi organiser une séance publique dédiée pour délibérer sur le sommet et faire valoir la position de l'Afrique à l'égard des cinq chapitres du pacte.

Le CPS pourrait faire émerger un consensus qui éclairerait la contribution de l'Afrique

En tant que co-facilitateur du sommet et membre du CPS, la Namibie pourrait présenter au Conseil les questions clés du sommet et les possibilités de mobilisation des États africains. Cette initiative pourrait être complétée par une stratégie de communication impliquant Addis-Abeba, le groupe africain des Nations unies à New York et les membres des A3 (Algérie, Mozambique et Sierra Leone) afin de fournir des orientations à New York sur les priorités de l'Afrique.

À quatre mois du sommet, il est important que l'Afrique agisse rapidement afin de définir et de faire connaître ses positions. Elle participerait ainsi à mettre sur pied un système de gouvernance mondiale inclusif et capable de relever les défis actuels et émergents en Afrique et dans le monde.

Related content