Que doit attendre l’Afrique du second mandat de Bankole Adeoye ?
Vu le contexte actuel, le département des Affaires politiques, de la paix et de la sécurité de l’UA doit redéfinir ses priorités.
Le 14 février 2025, Son Excellence l’Ambassadeur Bankole Adeoye a été réélu commissaire du département des Affaires politiques, de la paix et de la sécurité (PAPS) de l’Union africaine (UA) pour un second mandat de quatre ans. Il a recueilli un plus grand nombre de voix par rapport à la première élection, ce qui témoigne de la confiance des États membres dans sa capacité à mener les efforts du continent en matière de paix, de sécurité et de gouvernance et à instaurer une stabilité durable dans un contexte marqué par des défis majeurs.
L’environnement mondial et continental a considérablement changé au cours des quatre dernières années. Les agissements des grandes puissances (les États-Unis, la Chine et la Russie) et les relations qu’elles entretiennent ont connu de profonds bouleversements. Pour des raisons de politique intérieure, elles sont été amenées à se concentrer davantage sur leurs propres intérêts et priorités.
Sur l’ensemble du continent, les menaces en matière de sécurité et de gouvernance ont continué à s’aggraver. C’est notamment vrai en ce qui concerne les conflits armés au Soudan et en République démocratique du Congo (RDC) et pour l’extrémisme violent, meurtrier, et en voie de généralisation au Sahel et dans la Corne de l’Afrique. L’Afrique connaît également des transitions à la suite de coups d’État complexes et une recrudescence des reculs démocratiques. Plus de 45 millions de personnes ont été déplacées, ce qui a entraîné des désastres humanitaires dans les principaux foyers de conflit.
Les menaces qui pèsent sur la sécurité et la gouvernance s’aggravent sur le continent
L’Afrique dépend fortement de l’aide extérieure pour endiguer ces tendances. Les changements des principaux donateurs et la détérioration de la situation sécuritaire placent les acteurs politiques dans une situation délicate. Ils doivent déployer de nouveaux efforts, faire preuve d’innovation et, surtout, revoir leurs priorités pour s’adapter au contexte. Le département PAPS est l’une des structures de l’UA les plus touchées par ces évolutions et le renouvellement du mandat de son commissaire constitue un moment opportun pour redéfinir ses priorités afin d’obtenir un maximum de résultats tangibles et d’optimiser l’utilisation de ses ressources limitées.
Les priorités du département PAPS
Au cours des cinq dernières années, une vague de coups d’État a perturbé l’ordre constitutionnel dans plusieurs États membres de l’UA, notamment au Burkina Faso, au Gabon, en Guinée, au Mali, au Niger et au Soudan. Les putschistes ont opposé une résistance sans précédent aux normes régionales et continentales, ce qui laisse à penser que la politique continentale de tolérance zéro, qui consiste à suspendre et à sanctionner les pays membres contrevenants, n’a plus le vent en poupe. Les incohérences du Conseil de paix et de sécurité (CPS) en réponse à ces situations, ainsi que la faiblesse de ses capacités opérationnelles et financières, ont été mentionnées à maintes reprises. À cela s’ajoute l’absence de points d’entrée solides pour engager le dialogue avec les pays en transition, ce qui a affaibli la présence de l’UA sur le terrain.
Il est donc nécessaire de repenser les réponses et les approches et de faire en sorte que le PAPS fasse de ce défi une priorité stratégique. Sa direction est nécessaire pour piloter les efforts pour résoudre le décalage entre les normes continentales et les complexités associées aux transitions post-coup d’État. Le département doit également être le fer de lance de l’action collective destinée à gérer les crises au Soudan et en RDC, et à endiguer l’extrémisme violent qui sévit au Sahel.
En outre, les reculs démocratiques sont perceptibles sur l’ensemble du continent depuis une dizaine d’années. Les alternances démocratiques relativement harmonieuses au Ghana, au Botswana et au Nigeria ont suscité l’espoir, mais la démocratie peine encore à s’enraciner dans de nombreux pays africains. La captation de l’État par le biais de troisièmes mandats et d’élections contestées est de plus en plus fréquente.
L’UA reste silencieuse concernant les troisièmes mandats
Le silence de l’UA sur les troisièmes mandats, l’absence d’évaluation critique des élections et la tendance à soutenir principalement les efforts à court terme de consolidation de la démocratie doivent être signalés. Ses efforts pour promouvoir la tenue de scrutins démocratiques ont créé une perception largement répandue selon laquelle ces élections ne seraient que des opérations de recyclage des élites. Ainsi, les citoyens s’interrogent sur l’utilité des organes continentaux et régionaux dans les processus politiques nationaux. En répondant à ces préoccupations pressantes, l’UA pourrait minimiser les fausses perceptions et renforcer sa contribution à l’édification d’une Afrique plus démocratique.
En outre, la mise en œuvre du principe de subsidiarité sans répartition claire des tâches entre l’UA et les organes régionaux a entraîné des problèmes de coordination et de rivalité entre les différents efforts déployés pour faire face à la situation au Soudan et au Sahel, par exemple. Le flou entourant les défis contextuels et le manque de respect de certains États membres et de certaines communautés économiques régionales (CER) vis-à-vis des principes de l’UA en matière de gestion des crises, en particulier les principes d’avantage comparatif et de complémentarité, rendent la situation encore plus complexe. Ainsi, l’UA et ses organisations régionales ont manqué plusieurs occasions de collaborer pour faire face aux crises. En tant que principal organe responsable de la paix et de la sécurité en Afrique, le PAPS devrait redéfinir ses efforts et stimuler une action collective dans le domaine de la gestion des crises.
Faire les choses différemment
Les échanges que le Rapport sur le CPS a pu avoir avec différents acteurs dans les coulisses de l’UA mettent en évidence les préoccupations que suscite l’attentisme de l’UA à l’égard des crises. Beaucoup apprécient sa volonté de faire respecter les normes continentales pendant les crises — notamment lorsqu’elle a adopté des sanctions et imposé des suspensions pendant la vague de coups d’État de 2019 à 2023 et qu’elle a dépêché des groupes d’experts ou des missions de haut niveau au Soudan et en RDC. D’autres estiment toutefois qu’il est temps de faire preuve de plus de subtilité face au phénomène.
Bien que les efforts de l’UA pour endiguer les conflits soient reconnus, ils ne suscitent pas une adhésion suffisante des États membres envers les approches et les outils préventifs. Parmi ceux-ci figurent l’évaluation de la vulnérabilité structurelle et de la résilience des pays (CSVRA) et la stratégie d’atténuation de la vulnérabilité structurelle des pays (CSVMS). L’organisation peine à maintenir ses efforts pour préserver les processus démocratiques à travers le continent : ses missions d’observation électorale sont sporadiques et manquent cruellement de ressources, tandis que son silence face aux manipulations constitutionnelles suscite la perplexité. Cela indique que le PAPS, qui a démontré sa volonté de prévenir les conflits, devrait se concentrer sur la promotion des outils et des cadres. Il devrait apporter un soutien prolongé à l’enracinement de la démocratie dans les États membres et se montrer plus ferme dans l’évaluation des processus électoraux.
L’engagement de l’UA doit reposer sur des réalités plutôt que sur le principe de subsidiarité
La perte progressive de contrôle de l’UA sur les transitions post-coup d’État est bien connue. Des études antérieures de l’Institut d’études de sécurité ont identifié des défis opérationnels et politiques expliquant cette tendance. Les obstacles opérationnels concernent la coordination entre les agences de l’UA et entre l’organisation continentale et les CER, ainsi que la faiblesse du suivi des décisions. Le manque d’accès de l’UA aux pays en transition constitue une autre difficulté. Celle-ci tient aux tensions causées par sa gestion incohérente des coups d’État et le soutien inadéquat qu’elle apporte aux transitions en cours. Une meilleure coordination et une capacité de suivi renforcée seraient donc utiles.
En outre, une approche plus pragmatique de la coordination et une répartition claire des tâches avec les CER donneraient une nouvelle dimension à l’ensemble du continent. Le Sahel, la RDC et le Soudan sont autant d’occasions d’explorer cette voie.
Les priorités du PAPS
Afin de gérer efficacement les transitions, le PAPS devrait privilégier l’instauration d’un dialogue avec les autorités de transition et encourager le retour à l’ordre constitutionnel en élaborant une réponse adaptée et spécifique au contexte de chaque État membre. L’approche de l’UA en matière de gouvernance devrait prévoir un soutien à long terme allant au-delà de la simple observation électorale grâce à une mise en œuvre rigoureuse de l’architecture africaine de gouvernance et de l’architecture africaine de paix et de sécurité.
Si la répartition des tâches entre les CER et l’UA reste à être finalisée et adoptée, cette dernière pourrait montrer plus de pragmatisme dans la prévention et la résolution des crises. Elle pourrait fonder son engagement sur les réalités au lieu de s’appuyer systématiquement sur le principe de subsidiarité. Les déconnexions entre les différentes agences de l’UA devraient être traitées à l’aide de plateformes de coordination dédiées. En outre, le PAPS devrait jouer pleinement le rôle qui lui incombe dans l’anticipation des conflits en promouvant de manière approfondie des outils tels que le CSVR/CSVM. Il doit enfin redonner sa place au système continental d’alerte précoce et redynamiser les cadres de la bonne gouvernance et de la démocratie, en particulier la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance.