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Protéger les travailleurs humanitaires pendant les conflits

Il faut plus de gestes concrets et moins de discours pour protéger ces personnes désintéressées qui risquent leur vie pour aider les autres.

Alors que le monde commémore le 75e anniversaire des conventions de Genève, leur mise en œuvre, l’engagement des États membres vis-à-vis de celles-ci et les risques croissants auxquels sont exposés les travailleurs humanitaires font l’objet d’une attention renouvelée à l’échelle mondiale. C’est ce qui ressort des rapports détaillant le nombre de décès de ces intervenants à travers le monde. L’année 2024 a été l’année la plus meurtrière pour eux.

En Afrique, les travailleurs humanitaires sont indispensables. Cependant, l’évolution des conflits, l’aggravation des crises et les faiblesses systémiques compliquent sensiblement l’environnement dans lequel ils évoluent. Le continent pèse donc de manière significative dans le décompte mondial des décès de travailleurs humanitaires. Alors que l’Union africaine (UA) ne cesse d’appeler les parties prenantes et les États à respecter le droit international humanitaire (DIH) et à lutter contre les attaques perpétrées en toute impunité contre les travailleurs humanitaires, l’escalade du nombre de leurs morts met en lumière les défis existants.

On peut mentionner, entre autres, le respect des principes du droit international humanitaire ou les problèmes systémiques liés à la nature des contextes dans lesquels les humanitaires exercent leurs activités. On peut s’interroger aussi sur la capacité des cadres politiques du continent sur la protection des travailleurs humanitaires à dépasser le stade de la simple rhétorique dans les cercles politiques régionaux et continentaux et à se traduire par des actions concrètes pour obtenir des résultats.

L’érosion du respect du DIH

Entre janvier et novembre 2024, pas moins de 281 travailleurs humanitaires ont perdu la vie à travers le monde. L’année 2024 est donc la plus meurtrière jamais enregistrée et l’Afrique déplore de nombreuses victimes. C’est au Soudan, l’une des destinations les plus dangereuses pour les travailleurs humanitaires, que le bilan en Afrique est le plus lourd (environ 46 morts). Il est suivi par le Soudan du Sud, avec 39 morts, et par la République démocratique du Congo, la Somalie et l’Éthiopie, avec respectivement 16, 11 et 10 décès. L’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest font également état de chiffres inquiétants, avec 14 morts, 13 blessés et 23 enlèvements.

C’est au Soudan que le nombre de victimes humanitaires a été le plus important

La plupart de ces victimes sont des travailleurs humanitaires locaux, dont la proximité avec les conflits les rend particulièrement vulnérables aux exactions. Ces chiffres révèlent une érosion troublante du respect du droit international qui régit les activités des travailleurs humanitaires. Cette tendance à la hausse est le reflet direct non seulement des dangers croissants auxquels ils sont confrontés, mais aussi de l’incapacité à faire respecter les principes du DIH et les normes essentielles qui sous-tendent l’action humanitaire sur le continent. Elle montre également l’ampleur des obstacles auxquels les régions sont confrontées en ce qui a trait à la riposte humanitaire, obstacles qui prolongent les crises et les souffrances des populations.

Les défis propres à l’Afrique

Les travailleurs humanitaires africains sont confrontés à des problèmes multiples qui gravitent en grande partie autour de deux problématiques complexes. La première est la succession de crises provoquées notamment par les conflits au Soudan, au Mozambique, en Somalie, au Soudan du Sud, au Sahel et dans l’est de la République démocratique du Congo. À cela s’ajoutent l’instabilité politique, les catastrophes climatiques dans la Corne de l’Afrique et la volatilité économique de la période post-Covid 19. Ces chocs, qui se superposent, ont eu un impact majeur sur les chaînes d’approvisionnement en biens et services, ont exacerbé l’insécurité alimentaire et réduit l’espace opérationnel d’acheminement de l’aide. En conséquence, les travailleurs humanitaires se retrouvent dans des environnements où l’accès aux populations dans le besoin est difficile et où leur sécurité est constamment menacée.

Les groupes armés, qui ne se sentent pas liés par les traités de DIH comme le seraient les États, méprisent de plus en plus les normes humanitaires. La nature de la guerre évolue également, avec l’apparition de milices et de groupes armés non étatiques sur le continent, en particulier au Sahel. Dans toute l’Afrique, ces groupes prennent souvent délibérément pour cible les travailleurs humanitaires lors des attaques contre des civils. Ils agissent ainsi pour s’assurer une place à la table des négociations ou parce qu’ils considèrent leurs victimes comme des acteurs susceptibles de dénoncer leurs activités en vue de représailles post-conflit. Cela signifie que la nature des groupes armés sur le continent contribue considérablement à l’érosion de la protection des travailleurs humanitaires au niveau international, avec toutes les conséquences désastreuses auxquelles on peut s’attendre.

L’incapacité des gouvernements à protéger les civils met en danger les travailleurs humanitaires

L’incapacité des gouvernements à protéger les civils pendant les conflits met également souvent en danger les travailleurs humanitaires. Dans la plupart des cas, même les forces de sécurité des États négligent leur rôle de protection des civils ou se montrent peu efficaces face aux forces des groupes armés.

L’absence de données complètes sur les raisons des attaques empêche de comprendre ce qui les motive et limite la capacité des acteurs politiques régionaux et continentaux à élaborer des stratégies d’atténuation efficaces pour protéger les civils.

Réagir face aux défis en matière de DIH

Reconnaissant la nécessité de réagir pour protéger les travailleurs humanitaires, l’UA a élaboré des politiques conformes au DIH comme le Cadre de politique humanitaire de l’UA de 2015, la Position africaine commune sur l’efficacité humanitaire adoptée en 2016 et de la Déclaration de Malabo du 15e Sommet humanitaire extraordinaire de 2022. Ces textes sont fondés sur l’article 3 (f), du protocole du Conseil de paix et de sécurité (CPS), qui met l’accent sur la protection des droits humains, le respect du caractère sacré de la vie humaine et le respect du DIH.

Les conventions de Genève doivent être appliquées et adaptées aux menaces modernes

Le CPS et les dirigeants de l’UA ont également souligné à plusieurs reprises que les travailleurs humanitaires devaient être mieux protégés. De nombreux États membres africains ont également intégré les principes du DIH dans leur législation, démontrant ainsi leur volonté d’agir. Par ailleurs, des efforts sont déployés pour renouveler cet engagement et promouvoir les programmes continentaux en matière de droit humanitaire. Les commémorations de la Journée mondiale de l’aide humanitaire par le département de la Santé, des Affaires humanitaires et du Développement social de l’UA le 19 août, par exemple, témoignent de cet engagement à préserver l’espace humanitaire. Elles ont permis de sensibiliser l’opinion, de favoriser le dialogue et de promouvoir des actions concrètes pour protéger les travailleurs humanitaires partout en Afrique.

Faire appliquer le DIH en Afrique

La mise en œuvre de ces cadres reste faible en raison des contraintes de ressources, du manque de volonté politique et du décalage entre les promesses politiques et la réalité sur le terrain. Les États membres doivent d’urgence renforcer l’application des dispositions des conventions de Genève, en les adaptant aux menaces modernes. Cela nécessitera de solides stratégies de gestion des risques en matière de sécurité afin de réduire les dangers auxquels sont exposés les travailleurs humanitaires. Ces stratégies pourraient inclure une collaboration avec les communautés locales pour construire des structures résilientes dans les zones de conflit et, lorsque cela est autorisé, des réseaux de protection communautaires pour soutenir les activités des travailleurs humanitaires.

Le CPS devrait investir dans la diplomatie humanitaire en négociant avec les belligérants pour qu’ils accordent la priorité à la sécurité du personnel humanitaire. Il faudrait également accélérer la participation de l’Agence humanitaire africaine, car elle renforcera les mécanismes de coordination et de riposte.

L’amélioration de la collecte et de l’analyse des données, en lien avec les acteurs des Nations unies, la société civile africaine et les groupes de réflexion permettra de mieux comprendre pourquoi les travailleurs humanitaires sont pris pour cible. Des politiques et des interventions visant les causes des menaces pourront alors être élaborées et le CPS sera en mesure d’envisager des sanctions à l’encontre des contrevenants.

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