Priorités et conformité : des pistes pour faire évoluer le CPS
Sans être débordé, le Conseil de paix et de sécurité pourrait être plus efficace pour relever les défis sécuritaires de l’Afrique.
Le Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité (CPS) a demandé à l’ambassadeur Edward Xolisa Makaya, ancien représentant permanent de l’Afrique du Sud auprès de l’Union africaine (UA), de lui faire part de ses réflexions au sujet de l’action du CPS.
Compte tenu des problèmes de paix et de sécurité du continent, certains analystes estiment que le CPS est débordé et qu’il n’a jamais été aussi faible. Êtes-vous d’accord avec cette double appréciation ?
Bien que je ne souscrive pas entièrement à l’idée que le CPS est débordé, il est indéniable que le continent est confronté à de sérieux défis en matière de sécurité. Par conséquent, le CPS, qui est chargé de s’occuper de ces questions, devrait répondre aux attentes des populations en s’efforçant de résoudre les conflits régionaux. Cela permettrait au continent de mener à bien ses programmes de développement.
Pour ce faire, le Conseil doit procéder à un réexamen critique de ses programmes indicatifs et mensuels afin de les réorienter et de mieux hiérarchiser les sujets à traiter. Compte tenu des défis auxquels l’Afrique est confrontée et de ses ressources humaines et financières limitées, il est essentiel d’établir des priorités. À mon sens, il conviendrait de se concentrer sur les six pays suspendus, dans le but de les inciter à revenir le plus rapidement possible à un système démocratique, car les suspensions prolongées sont néfastes pour l’UA. Si nous avons constaté des évolutions positives au Gabon, la transition au Sahel s’est avérée plus longue que prévu, tandis que la situation au Soudan reste désastreuse.
Un effort constant de la part des hauts fonctionnaires de l’UA est nécessaire pour maintenir le dialogue avec les pays concernés, instaurer la confiance et ouvrir la voie à une évaluation continue du CPS. C’est d’ailleurs ce que j’ai suggéré au Conseil, tout en préconisant la nomination d’un ancien chef d’État africain en tant qu’envoyé spécial auprès de ces États.
Les décisions du CSP sont souvent bafouées sans qu’il y ait de conséquences. Pensez-vous que l’organe fasse valoir son autorité de manière adéquate ?
Bien que le CPS ait discuté à plusieurs reprises de la question des pays suspendus, je pense que le fait de se réunir à Addis-Abeba, d’en discuter et de publier des déclarations ne suffit tout simplement pas. Un représentant dédié devrait engager activement le dialogue avec les autorités de transition de ces pays. C’est pourquoi je propose que le président de la Commission de l’UA, soutenu par le commissaire aux Affaires politiques, nomme un ancien président francophone pour l’assister.
Il n’est pas dans l’intérêt de l’UA de voir certains de ses membres frappés d’une suspension prolongée
Parmi les pays actuellement suspendus, le Gabon semble être celui dont la situation est la moins critique, à condition que les élections à venir se déroulent sans heurts et de manière pacifique. Pour le Burkina Faso, la Guinée, le Mali et le Niger, qui représentent des cas plus complexes, je pense qu’un ancien chef d’État devrait se rendre périodiquement sur place afin de mieux comprendre les besoins des dirigeants en matière de transition. Ces pays ont déjà défini leurs plans de transition et, bien que le CPS ne puisse pas remettre en cause les calendriers, il doit veiller à ce que les processus démocratiques soient éventuellement rétablis.
Le comité ad hoc du Conseil qui réunit les chefs d’État des cinq régions d’Afrique doit intensifier ses activités au Soudan afin de remplir son double mandat de facilitation d’un cessez-le-feu et d’établissement d’une transition politique.
Certaines décisions du CPS ont été ignorées par les autorités des pays en transition.
Comment garantir le respect des décisions du CPS ?
Si les décisions d’une organisation sont régulièrement ignorées par ses propres membres, alors même qu’elles sont fondées sur des instruments juridiques de l’UA, quelque chose ne va pas. Le CPS et l’UA doivent se pencher sur ce problème. Les dirigeants ne peuvent pas ignorer les décisions sans en subir les conséquences. Il convient de réfléchir au renforcement des mécanismes de conformité afin d’éviter un dangereux précédent qu’utiliserait n’importe quel chef militaire pour renverser un gouvernement démocratique, mettre en place des autorités de transition, puis se présenter aux élections sans avoir à rendre compte de ses actes. Cette réflexion doit impliquer le président de la Commission de l’UA et un haut représentant ou un envoyé spécial dépêché dans le pays. Cette personne doit être choisie par le CPS ou l’UA, mais doit assurément agir sous la direction du CPS.
Ni la Commission de l’UA ni les États membres ne mettent effectivement en œuvre les décisions du CPS
L’inapplication des décisions du CPS est une préoccupation majeure souvent soulevée par ses membres. Quelle est la gravité du problème et comment peut-on y remédier ?
Ce problème, qui ne date pas d’hier, a été abordé par l’UA en 2022, lors d’une réunion du Comité des représentants permanents et des hauts responsables de l’organisation qui s’est tenue à Dakar. Les conclusions ont été alarmantes : ni la Commission de l’UA ni ses États membres ne mettaient effectivement en œuvre les décisions. Tout le monde s’accorde à dire qu’il faut s’attaquer à ce problème, et notamment en faisant en sorte que les acteurs de l’UA se documentent et se préparent en amont des réunions. Pour les sommets ou les réunions du conseil exécutif, par exemple, les décisions sur des questions déjà abordées lors de réunions précédentes ne devraient pas être remises sur le tapis, car, sans recherche adéquate, il existe un risque de réitérer ces décisions ou — pire — de les contredire. Le bureau du conseiller juridique a un rôle majeur à jouer à cet égard.
En outre, le CPS tient en moyenne deux réunions par semaine, ce qui donne lieu à un flux important de communiqués et de décisions sans qu’il soit possible d’en assurer le suivi. Une solution possible consisterait à rationaliser l’ordre du jour en y inscrivant des questions essentielles plutôt que des discussions techniques ou thématiques qui pourraient être prises en charge par d’autres organes de l’UA. Par ailleurs, le Conseil n’a pas besoin de publier des communiqués après chacune de ses réunions. Certaines sessions pourraient se terminer par des déclarations aux médias afin de communiquer les points essentiels aux parties prenantes de l’UA.
Quelles améliorations structurelles ou procédurales pourraient renforcer l’efficacité du CPS ?
Le CPS compte 15 États membres élus. L’article 5(2) de son protocole définit des critères clairs de sélection de ces membres, mais ceux-ci sont souvent ignorés au profit d’une rotation régionale. Ainsi, tous les membres n’ont pas la capacité, au sein de leurs ambassades, de faire face à l’énorme charge de travail qui leur incombe. Il s’agit d’une question que nous devons aborder de manière créative sans exclure de façon permanente les pays qui ne disposent pas de toutes les capacités nécessaires.
Le CPS pourrait avoir des consultations régulières avec des institutions de recherche africaines
En outre, le secrétariat du CPS est trop restreint : seuls quelques fonctionnaires gèrent la charge de travail qu’implique la publication d’environ trois communiqués hebdomadaires. Par conséquent, ces communiqués sont rédigés en partant du principe que les États membres, par le biais d’une procédure tacite, en amélioreront la qualité et assureront une certaine cohérence avec les conclusions de la réunion. Une équipe plus nombreuse et un budget plus important sont nécessaires.
Le Conseil pourrait également établir des consultations informelles régulières avec les institutions de recherche africaines spécialisées dans la gouvernance, la paix et la sécurité, qui pourraient offrir des perspectives précieuses pour soutenir son travail.
Comment le CPS devrait-il accroître la visibilité de ses travaux, alors qu’il s’efforce précisément de toucher les populations africaines ?
Ses travaux doivent être rendus visibles aux chefs d’État, aux ministres et à la population en général. Les pays siégeant au Conseil doivent s’impliquer dans les programmes. Dans la mesure où certaines questions exigent de la visibilité et une certaine médiatisation, une réunion du ministre du pays qui assure la présidence et une réunion dirigée par le président devraient être organisées au moins une fois par mois.
Par exemple, lorsqu’un communiqué est publié en Afrique du Sud pour annoncer que le président participera à une réunion du CPS pour discuter d’une question donnée, l’opinion publique sud-africaine en est informée. Lorsqu’un président décide de prendre part aux discussions du CPS, il envoie un signal à ses compatriotes quant à l’importance de la question abordée. Parfois, il s’agit simplement d’un enjeu de visibilité : sa présence permet aux citoyens de se rendre compte que des questions importantes sont débattues à ce niveau.
Lorsque l’Afrique du Sud assurait la présidence du CPS, elle a veillé à ce qu’il y ait une réunion ministérielle et un engagement présidentiel. L’Ouganda le fait systématiquement. D’autres ne convoquent que des réunions ministérielles. Cependant, je pense que le chef d’État ou de gouvernement, qu’il s’agisse d’un président, d’un Premier ministre ou d’un roi, doit s’engager personnellement sur au moins un dossier au cours de sa présidence du CPS.
Si vous deviez suggérer trois mesures pour améliorer l’efficacité du CPS, quelles seraient-elles ?
Premièrement, l’organe devrait apporter son aide aux États suspendus par le biais d’un dialogue de haut niveau et par la nomination d’émissaires chargés de travailler en étroite collaboration avec les autorités de transition. Deuxièmement, la Commission de l’UA devrait élaborer une stratégie globale de reconstitution du Fonds pour la paix de l’UA, afin de garantir un financement prévisible et indépendant. La pratique actuelle consistant à ne recourir qu’aux intérêts ne garantit pas de ressources suffisantes pour les nombreuses missions du Conseil. En outre, le dialogue avec le Conseil de sécurité des Nations unies devrait être renforcé afin de garantir un financement prévisible des opérations de paix dans le cadre de la résolution 2719.
Les mécanismes d’alerte précoce du CPS doivent eux aussi être renforcés afin de mettre l’accent sur la prévention des conflits et des crises plutôt que sur leur gestion, qui s’avère trop onéreuse pour le Conseil. L’organisation pourrait également promouvoir ses objectifs en établissant des liens avec des institutions de recherche africaines afin d’enrichir ses délibérations.