Plus que cinq ans avant de « faire taire les armes »
Alors que la date fixée pour faire taire les armes à feu approche, les obstacles persistent, estime le Dr Mohamed Ibn Chambas.
Il partage ses vues avec le Rapport sur le CPS en sa qualité de haut représentant pour faire taire les armes et de président du Panel de haut niveau de l’UA pour la résolution du conflit au Soudan.
Compte tenu de la détérioration de la paix et de la sécurité en Afrique, comment pourriez-vous résumer l’initiative « Faire taire les armes » ?
Compte tenu des difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de la Feuille de route de l’UA visant à faire taire les armes — avec des conséquences désastreuses pour la paix et la sécurité —, il faut redoubler d’efforts. En dépit des rapports d’alerte précoce, la situation dans l’est de la République démocratique du Congo s’est aggravée et n’est toujours pas résolue. En Afrique australe, l’insurrection de Cabo Delgado au Mozambique continue de représenter une menace importante pour la région et le continent.
En Afrique de l’Est, le conflit au Soudan persiste sans perspectives immédiates de règlement négocié, les factions restant attachées à une solution militaire. Il en est de même en Somalie. Malgré la mission de l’UA, puis la mission de transition, et maintenant la mission de soutien et de stabilisation de l’Union africaine, le groupe al-Shabaab constitue toujours une menace après 17 ans d’efforts dans la lutte contre l’insurrection. Au Sahel, les groupes terroristes ont intensifié leurs attaques, ce qui nécessite une coopération renforcée pour des stratégies antiterroristes efficaces. Le retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest pour former l’Alliance des États du Sahel a engendré de nouveaux obstacles à la collaboration régionale en matière de sécurité, obstacles qu’il faut surmonter.
Nous sommes également confrontés à des faiblesses systémiques de la gouvernance, à la manipulation des processus politiques et à des changements anticonstitutionnels de gouvernement qui sapent les institutions démocratiques. Dans certains cas, les instances parlementaires n’ont pas assumé leurs fonctions de contrôle, ce qui a permis aux dirigeants en place de manipuler les dispositions constitutionnelles. Parallèlement, la coopération entre l’UA, les communautés économiques régionales et les mécanismes régionaux pour relever ces défis se heurte également à des difficultés.
Au Soudan, les factions restent attachées à des solutions militaires et alimentent la crise
Le président de la Commission de l’UA a été exclu de la session à huis clos de la Communauté de l’Afrique de l’Est et de la Communauté de développement de l’Afrique australe qui s’est tenue le 8 février à Dar es-Salaam, en Tanzanie. Cette exclusion est un rappel troublant des obstacles à la coordination interinstitutionnelle et de la nécessité de prendre des mesures correctives urgentes. Ces difficultés surviennent alors que la volonté des dirigeants africains de s’attaquer résolument aux problèmes de paix et de sécurité s’amenuise, ce qui rend la voie à suivre encore plus précaire.
Quelles mesures concrètes proposez-vous pour respecter l’échéance de 2030 ?
Nous devons adopter une approche inclusive, globale et multidimensionnelle de la résolution des conflits qui tienne compte de l’interconnexion de la paix, de la sécurité, du développement, de la gouvernance, des droits humains et de la réponse humanitaire. Pour ce faire, il convient d’impliquer tout particulièrement les femmes et les jeunes afin que les résolutions de paix soient représentatives et durables. Une condition préalable à une paix durable est l’inclusion, dans tout accord, de tous ceux qui comptent.
Deuxièmement, nous devons améliorer et harmoniser les approches de médiation et de consolidation de la paix afin de garantir que les acteurs s’attaquent aux causes profondes des conflits tout en maximisant leurs avantages comparatifs. Il est indéniable que la neutralité et l’impartialité des médiateurs jouent un rôle important dans le maintien des accords.
Troisièmement, nous devrions donner la priorité à la prévention des conflits et à l’alerte précoce. Pour autant que je sache, tous les conflits continentaux sont précédés de signes avant-coureurs. En d’autres termes, une action rapide fait souvent défaut, en dépit de signaux d’alerte évidents. Il faut y remédier. La diplomatie préventive devrait également être améliorée afin d’anticiper l’éclatement et l’escalade des conflits. Il est donc essentiel de soutenir la coordination et la collaboration entre l’UA, les CER/MR et les États membres. Le renforcement des partenariats, de la coordination et de la responsabilité mutuelle entre les médiateurs améliorera le rétablissement et la consolidation de la paix, assurant en fin de compte la pérennité des accords de paix.
La médiation produit certains résultats à travers le continent
Enfin, nous devons insister sur le principe de subsidiarité, du niveau national aux niveaux régional, continental et multilatéral, car tous les acteurs ont un intérêt dans la paix et la sécurité de l’Afrique. Il s’agit là de voies essentielles pour faire taire les armes en Afrique.
Comment les processus de médiation se présentent-ils sur le continent ?
Je commencerai par l’exemple du conflit au Soudan. À l’heure actuelle, de multiples initiatives de médiation sont menées simultanément pour trouver une solution. Il y a, entre autres, le processus de Djeddah, l’initiative des pays voisins, les efforts de l’Égypte, de la Turquie et de l’Autorité intergouvernementale pour le développement, sans oublier les processus de Nouakchott et de Djibouti. En outre, certains pays et organisations non gouvernementales en Europe ont lancé des programmes visant à structurer les organisations civiles soudanaises afin qu’elles fassent pression sur les belligérants pour qu’ils mettent fin à la guerre et préparent une transition politique post-conflit.
Si ces multiples initiatives témoignent d’un engagement fort en faveur de la résolution des conflits, le manque de coordination risque de se traduire par des actions contradictoires et donne l’occasion aux parties belligérantes de ne s’engager que dans les entreprises les plus accommodantes vis-à-vis de leurs exigences et de dresser les médiateurs les uns contre les autres. Ce problème se pose également dans d’autres régions telles que le Sahel et l’est de la République démocratique du Congo. Pour être efficaces, nous avons besoin d’un mécanisme de coordination global qui harmonise les efforts et renforce les résultats. Si l’on considère le paysage sécuritaire du continent, je dirais que la médiation donne des résultats, même si plusieurs efforts non coordonnés semblent en contradiction les uns avec les autres.
Où en est le conflit au Soudan ?
En avril 2025, ce sera le deuxième anniversaire de la guerre au Soudan. Malgré tous les efforts, le conflit persiste, car les parties belligérantes — les forces armées soudanaises et les forces de soutien rapide — continuent d’ignorer les appels à cesser les hostilités. Elles ne tiennent pas compte non plus de l’UA qui les prévient que la guerre ne peut être résolue par des moyens militaires. Au lieu de cela, elles intensifient leur recherche d’une victoire militaire et ont étendu le conflit à l’ensemble du pays, entraînant des millions de déplacés internes et forçant de nombreuses personnes à fuir vers les pays voisins et au-delà.
Les acteurs disposant d’une influence sur les belligérants doivent collaborer
Pendant ce temps, des millions de personnes sont menacées de famine, les écoles restent fermées — ce qui entraîne un recul scolaire pour toute une génération de Soudanais — et les femmes, les enfants et les autres groupes vulnérables sont victimes d’abus généralisés. Les personnes âgées et les malades sont privés de soins médicaux, car les hôpitaux ferment ou luttent pour continuer à fonctionner avec des ressources extrêmement limitées. Le conflit au Soudan a atteint des proportions alarmantes, créant l’une des pires catastrophes humanitaires au monde. Il constitue l’une des plus grandes menaces pour la feuille de route principale de l’UA visant à faire taire les armes en Afrique.
Comment réduire l’influence des fauteurs de troubles extérieurs dans cette guerre civile ?
Il n’existe pas de solution militaire au conflit. Ceux qui ont une influence réelle sur les belligérants, comme les États-Unis, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l’Égypte, doivent travailler ensemble pour les amener à cesser les combats et à se tourner vers le dialogue, qui est le meilleur moyen de résoudre leurs différends. Le groupe de haut niveau s’est rendu dans la plupart de ces pays pour solliciter leur soutien et faire pression sur les belligérants afin qu’ils cessent toute action susceptible d’alimenter le conflit.
Nous espérons que les États-Unis se réengageront pour aider à limiter les influences extérieures qui contribuent à exacerber le conflit. À notre niveau, en tant que panel de haut niveau, nous continuons à coordonner les diverses initiatives pour mettre fin à la guerre et, par le biais du mécanisme élargi de l’UA, nous visons à fédérer tous les efforts de résolution du conflit afin d’en accroître l’impact.
Comment les dialogues intra-soudanais pourraient-ils aborder la question de la fragmentation civile ?
Alors que les destructions se poursuivent au Soudan, les acteurs civils restent aussi divisés aujourd’hui qu’ils l’étaient à la veille du conflit. Bien qu’ils aient tendance à nier toute affiliation aux parties belligérantes, il est évident qu’ils nourrissent des sympathies pour l’une ou l’autre. Réunir les groupes civils pour concevoir un cadre politique de gouvernance post-conflit s’est avéré aussi difficile que d’amener les combattants à la table des négociations.
Au cours des dernières semaines, alors que les belligérants cherchent à constituer des gouvernements rivaux, les acteurs politiques civils sont demeurés divisés en soutenant l’un ou l’autre des deux camps. L’UA, en collaboration avec l’Autorité intergouvernementale pour le développement, a mis en place un processus pour organiser un dialogue politique inter-soudanais ouvert à tous, impliquant tous les segments de la société civile et de l’arène politique du Soudan.
Ce dialogue doit définir un cadre pour la gouvernance politique pendant la période de transition et post-conflit. Nous avons eu plusieurs réunions préparatoires, mais certains acteurs civils ont demandé un délai supplémentaire pour résoudre des problèmes internes et être en phase avec l’évolution du conflit. Il est urgent que toutes les parties prenantes accélèrent ces efforts, compte tenu de l’aggravation de la situation humanitaire.