Obtenir l’adhésion des États membres au processus

L’Union africaine devrait remédier à l’apathie de ses membres face aux processus d’auto-évaluation.

L’Union africaine (UA) a adopté un cadre structurel continental de prévention des conflits afin de corriger les insuffisances structurelles susceptibles de dégénérer en conflits violents. Ce cadre comporte deux processus volontaires : l’évaluation de la vulnérabilité et de la résilience structurelles des pays (CSVRA) et la stratégie d’atténuation de la vulnérabilité structurelle des pays (CSVMS). Ils permettent aux États membres de l’UA d’évaluer leurs vulnérabilités structurelles, d’identifier leurs facteurs de résilience et d’élaborer des stratégies d’atténuation des risques.

La CSVRA et la CSVMS s’appuient sur le système continental d’alerte rapide (SCAR) et complètent certains instruments tels que le mécanisme africain d’évaluation par les pairs, mais avec des objectifs plus restreints aux niveaux national et infranational. Ces outils, jugés importants, ont été accueillis favorablement dans les milieux politiques continentaux. Le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA a plusieurs fois encouragé les États membres à les exploiter activement.

En 2017, le Ghana est devenu le premier pays à se lancer volontairement dans le processus et a ainsi mené à bien des consultations internes qui ont permis d’identifier les réalités qui lui sont propres. Depuis lors, sur les 55 États membres de l’UA, seules la Côte d’Ivoire (2019) et la Zambie (2020) ont pris part au processus. Malgré l’enthousiasme initial des instances politiques, la propagation de la CSVRA et de la CSVMS à l’échelle du continent reste lente, principalement en raison d’un manque d’adhésion des États membres.

Seuls trois des 55 États membres de l’UA ont participé au double processus CSVRA/CSVMS

Ainsi, la 35e conférence de l’UA qui s’est tenue en février 2022 a débattu de l’importance de ces outils et a exhorté les États membres à s’en servir. L’UA doit y veiller et examiner précisément les raisons sous-jacentes du blocage actuel.

Les difficultés de la CSVRA

Trois facteurs expliquent la réticence des pays et régions à accepter la CSVRA. Le premier est la méconnaissance de son utilité mise en évidence lors d’un atelier organisé en février 2020 par la Division de la prévention des conflits et de l’alerte rapide de l’UA et le Système d’alerte rapide du Marché commun de l’Afrique de l’Est et de l’Afrique australe. L’atelier a fait le point sur les enseignements tirés de l’expérience du Ghana et a souligné l’importance d’une meilleure compréhension de l’utilisation de ces instruments par les États membres comme condition préalable à leur adoption volontaire.

Cependant, les retards dans la participation des États entravent l’adoption de ces outils à plus grande échelle. Même si la pandémie de COVID-19 a contribué à ces retards, la promotion par l’UA de ces instruments au-delà de l’enceinte des représentations diplomatiques à Addis-Abeba fait défaut. Les États membres sont si peu conscients de l’importance de ces outils que les discussions et examens au sein du CPS sont généralement menés par la Commission de l’UA plutôt que par les pays censés fixer l’ordre du jour.

Le deuxième facteur est l’existence d’outils similaires dans certaines communautés économiques régionales (CER). La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), par exemple, dispose d’un cadre de prévention des conflits en vertu duquel sa Direction de l’alerte précoce évalue les risques et la vulnérabilité de ses pays membres.

La promotion de ces outils devrait dépasser l’enceinte des représentations diplomatiques à Addis-Abeba

Entre 2016 et 2019, cet outil a été utilisé pour évaluer les vulnérabilités structurelles du Ghana et leur impact sur les citoyens. Pourtant, en 2017, le Ghana a fait l’objet d’un processus similaire au niveau continental. Si le pays peut être ouvert à des évaluations pour déterminer ses vulnérabilités, il convient de s’interroger sur la pertinence de la multiplication d’outils produisant des résultats comparables tant au niveau régional que continental. Pourquoi les États membres devraient-ils suivre deux processus distincts alors que les résultats de l’un pourraient éclairer la prise de décision à d’autres niveaux ?

Le troisième défi réside dans l’impression qu’ont les États membres que ces évaluations les exposeraient à des menaces stratégiques. Ce sentiment peut être dû à leur manque d’appréciation des avantages qu’elles procurent ou à leur réticence à révéler des défis internes. Cependant, il témoigne également de la nécessité de consultations plus approfondies. L’évaluation du Togo par la CEDEAO de 2016 à 2018, par exemple, a permis de mettre en évidence les réserves des autorités togolaises à l’égard du processus. L’intervention de l’équipe de la CEDEAO chargée de l’évaluation des risques et des vulnérabilités du pays a d’abord été refusée pour des raisons administratives et de sécurité.

L’UA doit améliorer la connaissance et la compréhension de ces outils, faciliter l’harmonisation avec les mécanismes régionaux et impliquer les États membres de manière constructive et inclusive.

Renforcer l’acceptation

Pour renforcer l’adhésion des États membres, il serait nécessaire de les convaincre de soutenir activement les CSVRA/CSVMS et de s’y soumettre à intervalles réguliers. Une telle approche serait bénéfique pour le continent dans son ensemble. Elle permettrait d’instaurer une culture d’auto-évaluation parmi les pays africains, d’atténuer les difficultés au niveau national et de réduire la résistance des États membres à la mise en œuvre d’outils équivalents sur leur territoire, comme observé au Togo.

Le CPS pourrait mettre l’accent sur les enseignements et charger la Commission de l’UA de les répertorier

De plus, à mesure que les États membres joueront le rôle qui leur incombe dans la réalisation des objectifs de sécurité collective de l’Afrique, le partage d’expériences à l’échelle du continent s’en trouvera grandement facilité. En outre, la combinaison des efforts nationaux pourrait renforcer la capacité de prévention des conflits de l’UA, lui permettant de passer de son rôle habituel de pompier à un rôle préventif en cas de conflit. En aidant les États membres à remédier aux causes des conflits, l’UA sera mieux placée pour prévenir leur violence.

Cependant, le SCAR a été récemment intégré au sein du Département affaires politiques, paix et sécurité (PAPS). Cette intégration a abouti à la disparition d’une unité spécialisée dans l’alerte précoce, chargée de la mise en œuvre d’outils tels que les CSVRA/CSVMS. Ce qui pose la question de savoir quelle entité sera chargée de coordonner l’adoption de ces outils, tâche auparavant assurée par le SCAR.

En attendant des précisions à ce sujet, le CPS devrait réagir conformément à l’article 2, paragraphe 1, de son protocole qui le définit comme un dispositif de sécurité collective et d’alerte précoce destiné à faciliter une réponse rapide et efficace aux conflits et aux crises en Afrique.

Une redynamisation indispensable

Le CPS devrait reprendre et intensifier ses activités de sensibilisation. Pour ce faire, il pourrait impliquer constamment les États membres par le biais de forums de haut niveau, d’ateliers et de programmes de renforcement des capacités analogues à l’atelier conjoint de 2020. Le Conseil pourrait également mettre à profit ses relations avec les organisations de la société civile (OSC) dans le cadre de la formule Livingstone pour valoriser le rôle de ces organisations dans la promotion des outils.

En effet, l’UA et le CPS devraient reconnaître la valeur ajoutée des OSC partenaires, telles que le Réseau ouest-africain pour l’édification de la paix, qui a été à l’avant-garde de l’alerte précoce. La formation de partenariats similaires devrait être encouragée et reproduite dans le cadre de la mise en œuvre et de l’adoption des CSVRA/CSVMS.

Le CPS pourrait également promouvoir les expériences réussies telles que celle du Ghana et encourager les États membres à partager leurs expériences quant à l’utilité des outils. Il pourrait également mettre l’accent sur leurs enseignements et charger la Commission de l’UA de les répertorier et de populariser les meilleures pratiques auprès des États.

Une autre étape importante consisterait à harmoniser les outils d’évaluation dans le cadre d’un système continental unique. Une clarification de l’approche de l’UA en matière de coordination des efforts d’alerte précoce à l’échelle du continent serait alors nécessaire, compte tenu de l’absence d’une unité spécialisée au sein du PAPS. Cette harmonisation permettrait d’éviter les chevauchements, de réduire les résistances et d’attirer l’attention des États.

L’UA doit également réexaminer les préoccupations existantes concernant la (re) création d’un organe ou d’une unité spécifiquement dédiée à la coordination de l’alerte précoce et des outils associés, y compris les CSVRA/CSVMS. L’intégration de l’alerte précoce peut être louable étant donné sa nature transversale, mais l’absence d’une coordination finira par compromettre la prévention des conflits et la réaction rapide à l’échelle du continent.

Image : © Commission de l'Union africaine

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