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La force du CPS se mesure à la volonté de ses membres

Pour Son Excellence Bulus Paul Lolo, le Conseil manque de capacités d’exécution, de volonté politique et de moyens financiers.

Le Rapport sur le CPS a demandé à l’ancien ambassadeur du Nigeria en Éthiopie, et ancien secrétaire permanent du ministère nigérian des Affaires étrangères, son point de vue sur l’efficacité du Conseil.

Quel est le degré d’efficacité du CPS au regard des nombreux défis de l’Afrique ?

L’Afrique est confrontée à des défis complexes et multidimensionnels, au cœur desquels on retrouve bien souvent une crise de la gouvernance. Lorsque la gouvernance est saine, la paix et le développement sont au rendez-vous, mais lorsqu’elle est faible ou axée sur la défense d’intérêts particuliers, les tensions, les conflits et, à terme, la destruction sont à craindre. À mon sens, la qualité de la direction et de la gouvernance constitue la principale explication de la situation difficile dans laquelle se trouve l’Afrique, et elle a une incidence directe sur l’inefficacité du CPS dans la réalisation de son mandat.

Le CPS manque de trois éléments essentiels : les capacités d’exécution, la volonté politique et la puissance financière. Sans le premier élément, le Conseil n’est pas en mesure de mettre en œuvre ses décisions. Il publie des déclarations et des communiqués qui ne sont pas suivis d’effets. Il est comme un gros chien qui montre les dents et aboie fort, mais ne mord jamais. Lorsque la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a menacé d’intervenir militairement après le coup d’État au Niger, elle a finalement fait marche arrière. Ce n’est pas parce que le coup d’État n’était pas inquiétant, mais parce que ni la CEDEAO ni l’UA n’avaient la capacité d’intervenir ou le consensus nécessaire pour le faire.

En outre, les dirigeants africains n’ont pas la volonté politique de donner au CPS les moyens d’agir de manière résolue. Et cette situation est accentuée par le manque de ressources financières. Ces trois défis sont liés et témoignent de l’importance que nos dirigeants accordent au Conseil. Comme il est dit : « là où est ton trésor, là sera ton cœur ».

Le CPS est-il vraiment une priorité pour les dirigeants africains ? L’efficacité et l’impact du CPS dépendent de la volonté de ses États membres. Il ne peut agir seul, car ce sont les États membres qui lui donnent son identité et sa force. C’est à eux de veiller à ce que l’institution soit efficace, pertinente et réactive.

Comment ces questions peuvent-elles être abordées ?

Il était prévu que la Force africaine en attente fournisse la capacité d’intervention collective, tout en constituant un mécanisme régional d’intervention. Celle-ci demeure toutefois, à mon avis, un concept. Je ne suis pas sûr qu’une région dispose actuellement d’une force en attente fiable, pleinement et rapidement opérationnelle. Une région a-t-elle déjà déployé une telle force de manière efficace et sans contraintes ? Si tel n’est pas le cas, cela en dit long sur la capacité de mise en œuvre du continent. Au Mozambique, par exemple, la nécessité d’une intervention régionale ou collective était évidente, mais nous n’avons vu que très peu de choses, et certainement pas la réponse unifiée que la situation exigeait.

Les problèmes de volonté politique et de capacité financière du CPS sont bien connus. Si l’Afrique accorde une réelle importance au Conseil, une partie de l’argent dépensé pour acheter des armes pourrait être réaffectée à la diplomatie préventive. Dix pour cent de ces ressources suffiraient pour faire évoluer la capacité du CPS et transformer ses décisions en résultats.

10 % des dépenses d’armement suffiraient pour que le CPS ait des résultats

La responsabilisation des dirigeants est également essentielle. Nombre d’entre eux manipulent les systèmes pour se maintenir au pouvoir par le biais d’élections entachées d’irrégularités ou de réformes constitutionnelles. Cependant, ceux qui aspirent à diriger devraient avoir quelque chose de significatif à offrir. La capacité à diriger un pays devrait en fin de compte être jugée à l’aune de la qualité de vie, du bien-être et des libertés dont jouissent les citoyens.

Nombreux sont ceux qui estiment que la gestion de la situation au Tchad par le CPS a remis en question son efficacité et sa neutralité, certains États qualifiant cette transition de problématique. Comment le Conseil peut-il se remettre de ce que beaucoup considèrent comme un faux pas ?

Il doit avoir le courage et la conviction de s’en tenir à ses principes et de défendre ses instruments juridiques. Néanmoins le courage ne suffit pas : le CPS doit aussi être cohérent dans ses décisions. En 2013, il a été confronté à une épreuve similaire, voire plus importante encore, en Égypte. Toutefois, il ne s’est pas laissé influencer par la taille, le statut ou l’influence de l’Égypte. Il a défendu ses principes et a agi de manière décisive en la suspendant. Cette décision n’a été ni unanime ni populaire, mais elle a suscité le respect tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du continent.

Je pense que le Conseil n’a pas été à la hauteur en ce qui concerne le Tchad. Peut-être était-ce parce que le président de la Commission de l’UA en était originaire ou peut-être était-ce dû à des pressions extérieures ? Quoi qu’il en soit, le CPS a dû supporter la honte de ne pas avoir réussi à faire respecter ses propres principes avec courage et cohérence. Il a semblé s’excuser et se plier aux exigences du Tchad. L’ironie est cruelle, car une personne ayant joué un rôle central dans le changement anticonstitutionnel de gouvernement dans le pays a fini par en tirer profit.

Alors oui, le Tchad constitue en quelque sorte une véritable infortune. Et à moins que le CPS ne renoue avec ses principes avec courage et cohérence, il continuera à porter le fardeau de cette décision. J’espère qu’il tirera les leçons de son erreur.

Le CPS a levé les sanctions contre le Gabon après les récentes élections, alors que la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance stipule clairement que les putschistes ne doivent pas participer aux élections. Pourtant, cette solution aurait pu éloigner encore davantage le Gabon de la démocratie. Comment gérer un tel dilemme ?

Il s’agit d’une question fondamentale et délicate, qui démontre la nécessité de réexaminer la pratique de la démocratie en Afrique, son impact et ce qu’elle signifie réellement pour les populations. Si le CPS avait coupé les ponts avec le Gabon, celui-ci aurait pu simplement aller de l’avant, comme d’autres l’ont fait par le passé, en fonctionnant sans le soutien de l’UA ou de la région. D’autre part, la levée de la suspension a créé un dangereux précédent. L’homme qui a mené le coup d’État au Gabon en est aujourd’hui le principal bénéficiaire. Le Conseil doit être très prudent et conscient des précédents qu’il crée.

Je suis partisan d’une diplomatie silencieuse et d’un maintien de la pression

Pour ma part, je n’aurais pas soutenu la levée si rapide de la suspension. Je crois en la diplomatie discrète, au maintien de la pression et à la création d’un espace pour la négociation, sans déclarations publiques. Compte tenu des situations politiques actuelles dans certains pays, il faut une réflexion approfondie sur la manière de traiter ou de résoudre les défis politiques qui peuvent survenir.

Les États membres qui siègent au Conseil tendent à privilégier les intérêts nationaux plutôt que les engagements continentaux. Comment le CPS devrait-il y remédier ?

Il s’agit d’une tendance dangereuse, d’une pente glissante qui, si elle persiste, risque d’éroder gravement la légitimité du CPS. Il convient de rappeler clairement que le CPS n’est pas une plate-forme destinée à promouvoir les intérêts nationaux des États qui y siègent. Certes, les pays briguent un siège au Conseil et font campagne pour l’obtenir, mais une fois élus, ils représentent l’Afrique, et pas seulement leur gouvernement.

Un tel rappel pourrait peut-être être formulé en interne, à l’occasion de consultations entre pairs ou dans le cadre d’une diplomatie discrète. Il pourrait provenir de la Commission de l’UA ou de partenaires extérieurs, mais suffisamment proches pour parler en toute franchise. Quel que soit le mécanisme, il faut rappeler aux États la lourde responsabilité qui leur incombe en tant que membres. Ceux qui utilisent leur siège pour entraver la progression du continent ou défendre des intérêts étroits ne font que trahir le mandat qui leur a été confié.

Certains États membres font pression pour que la composition du CPS soit révisée : l’Afrique du Nord veut un troisième siège et d’autres souhaitent que les puissances régionales jouent un rôle plus important. Quels changements recommanderiez-vous pour un nouveau CPS 

Je ne suis pas contre le fait que l’Afrique du Nord puisse bénéficier d’un troisième siège et je reconnais que certains pays ont acquis une réputation de chefs de file dans leurs régions. Cela dit, je ne soutiendrai jamais l’octroi d’un quelconque droit de veto à un pays africain, car cela irait à l’encontre du but recherché et nuirait profondément à l’équité dans la prise de décision. Néanmoins, je soutiens un modèle dans lequel les acteurs clés siègent plus régulièrement au Conseil, à condition qu’ils répondent à des attentes claires en matière de résultats. Un tel privilège doit en effet s’accompagner de responsabilités.

Je pense également que la Conférence de l’UA doit accorder une plus grande attention au choix des pays devant siéger au CPS. La rotation entre les pays est importante, mais la capacité d’un État à remplir sa mission doit également peser dans la balance. S’il n’est pas en mesure de contribuer de manière significative aux travaux du CPS, que ce soit en raison d’une implication insuffisante ou d’une représentation diplomatique trop faible à Addis-Abeba ou encore d’un manquement à ses obligations financières, un pays ne devrait peut-être pas siéger au Conseil.

La capacité à diriger un pays devrait être jugée à l’aune du bien-être et des libertés de ses citoyens

Je suis ouvert à l’idée d’augmenter le nombre de sièges — peut-être jusqu’à 20 —, mais l’organe ne doit pas devenir inefficace en raison de sa taille. Elle doit pouvoir continuer à répondre rapidement aux crises émergentes.

Que pensez-vous de l’inquiétude croissante concernant les pressions extérieures exercées sur les membres du Conseil ?

Ces pressions extérieures sont bien réelles, mais leur impact dépend de la manière dont les États membres y répondent. Lorsque j’ai rejoint le CPS en 2011, j’ai insisté pour que les membres du Conseil s’approprient leur travail en rédigeant eux-mêmes les communiqués, en débattant ouvertement des résultats et en s’emparant collectivement des décisions. Si les pays membres du CPS se montrent unis et responsables, ils pourront résister aux influences extérieures. Cependant, si l’un d’entre eux se laisse influencer par des forces extérieures, il doit aussi en assumer les conséquences.

Le CPS fonctionne à trois niveaux : celui des ambassadeurs (quotidiennement), celui des ministres (occasionnellement) et celui des chefs d’État (au moins une fois par an). Pourtant, toutes ses décisions ont le même poids en vertu du protocole. Ceux qui se réunissent le plus souvent (les ambassadeurs et le comité d’experts) devraient avoir une conscience aiguë de leurs responsabilités. Le CPS a la force, l’efficacité et la crédibilité de ses membres.

Comment le CPS doit-il exercer son mandat ?

J’ai beaucoup travaillé sur ses méthodes de travail et je suis heureux qu’elles aient fait l’objet d’un manuel. Celui-ci n’est néanmoins pas suffisant : les nouveaux membres doivent être formés et soutenus pour appliquer ces méthodes de manière cohérente.

Les membres du Conseil doivent également se conformer strictement au protocole du CPS et à ses procédures. Ils doivent résister à la tentation d’éventer la teneur des délibérations internes, car cela érode la confiance et ouvre la porte à des manipulations extérieures. La confidentialité est cruciale.

Et par-dessus tout, il y a la notion d’héritage. Les individus ne font que passer puis disparaissent. Seuls la manière dont ils ont œuvré et ce qu’ils ont accompli subsistent. En réfléchissant à la décision concernant l’Égypte, je ressens de la fierté, non pas pour moi, mais envers ce que nous avons fait ensemble en tant que Conseil. À l’inverse, lorsque les générations futures se pencheront sur les décisions concernant le Tchad ou le Gabon, elles se souviendront des occasions manquées et des compromis. Ils font également partie de l’héritage du CPS.

Nous devons améliorer l’archivage et la mise à disposition des documents. Les futurs chercheurs, décideurs et dirigeants doivent être en mesure d’examiner les dossiers et de comprendre comment le CPS a agi — ou n’a pas agi — dans les moments cruciaux. D'ailleurs, il ne s’agit pas seulement d'une question d’archivage : c’est aussi une question de responsabilité à l’égard des générations futures. J’espère que le Conseil continuera à évoluer pour devenir un organe respecté, discipliné et courageux qui répond aux attentes du continent et de ceux qui soutiennent l’UA.

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