L’UA manque-t-elle à sa mission de prévention ?

Le récent coup d’État au Niger réaffirme que les instances régionales et continentales doivent être plus proactives.

Avec le transfert précaire de pouvoir au Gabon, l’Afrique a enregistré pas moins de dix coups d’État, confirmant ainsi le retour de l’instabilité politique et le recul de la démocratie. Avant le Gabon, c’était le Niger qui cristallisait l’attention depuis le coup d’État du 26 juillet 2023, conséquence de tensions de longue date entre le président Mohammed Bazoum et le commandant de la garde présidentielle, le général Abdourahamane Tchiani.

L’Union africaine (UA) et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ont réagi rapidement en publiant des communiqués condamnant le coup d’État. La CEDEAO a convoqué deux sommets extraordinaires pour discuter de la riposte et des approches à adopter, conformément à sa politique de tolérance zéro à l’égard des coups d’État.

Neuf sanctions ont été prises et la CEDEAO a décidé de déployer la force en attente pour rétablir l’ordre constitutionnel au Niger. Ces décisions faisaient suite à l’échec de ses efforts diplomatiques, rejetés par les putschistes.

Contrairement aux précédents coups d’État en Afrique, déclenchés par l’instabilité politique, les faibles performances économiques et l’incapacité des États à assurer des services de base, celui du Niger est survenu dans un contexte marqué par des avancées économiques remarquables, une relative stabilité politique et un climat sécuritaire plutôt favorable. C’est pourquoi certains observateurs le présentent comme un coup d’État inattendu.

Le coup d’État au Niger est survenu dans un contexte économique politique et sécuritaire plutôt stable

Cependant, plusieurs responsables politiques soupçonnaient des problèmes sous-jacents. Pourtant, ni la CEDEAO ni l’UA n’ont réagi, malgré la latitude dont elles disposaient pour intervenir de manière anticipée. Une réponse rapide à ces signes avant-coureurs aurait pu épargner au Niger le bourbier politique dans lequel il se trouve aujourd’hui.

Des signes avant-coureurs

Avant la chute de Bazoum, le risque d’un coup d’État imminent au Niger était bien connu des cercles politiques régionaux et continentaux. Les organes de l’UA chargés de l’alerte précoce avaient à plusieurs reprises attiré l’attention sur la détérioration de la situation et sur le risque d’ingérence militaire dans la sphère politique. Selon certaines sources interrogées par le Rapport sur le CPS, Bazoum aurait toutefois refusé toute aide, affirmant qu’il contrôlait la situation.

Sa posture traduit la réticence des États membres de l’UA à faire l’objet de discussions au sein de l’organisation continentale, que ce soit pour un simple soutien ou dans le cadre d’une alerte précoce. Ainsi, un haut représentant de l’UA avait évoqué le risque d’un coup d’État au Soudan, quelques semaines avant qu’il n’ait lieu en 2021. L’hypothèse en avait été rejetée par un diplomate soudanais, malgré l’existence de signes annonciateurs tangibles.

Ces refus s’expliquent plus par un orgueil nationaliste que la réalité de la situation. Cependant, l’UA ne déclenche quasiment jamais de mesures préventives lorsqu’elle est confrontée à ce type de réticence. La situation du Niger démontre qu’au lieu de tergiverser au nom du principe de non-ingérence, l’UA devrait faire usage de manière énergique de ses mécanismes de non-indifférence dans l’intérêt de la stabilité régionale et continentale.

L’UA aurait pu activer sa diplomatie préventive pour faciliter des pourparlers de paix

Au Niger, lorsque les tensions entre Bazoum et Tchiani ont été identifiées, l’UA aurait dû déclencher d’urgence des réponses préventives aux niveaux régional et continental en proposant de faciliter des pourparlers de paix entre les parties. Ceci pour deux raisons, et malgré le rejet de Bazoum.

La première tenait aux multiples coups d’État précédents qui démontraient que l’armée nigérienne tendait à intervenir dans la vie politique lorsque les conditions étaient réunies. Les deux tentatives de coup d’État et le différend entre Bazoum et Tchiani constituaient les symptômes d’un conflit d’intérêts et d’un déficit de confiance entre la Présidence et l’armée. On pouvait donc s’attendre à ce que ces dissensions affectent les mécanismes politiques et le fonctionnement des institutions démocratiques, ainsi que l’exercice légitime du pouvoir au Niger.

La seconde concernait le danger de démettre Tchiani de ses fonctions dans un contexte de tensions évidentes entre les deux hommes. Il existait des indications claires de l’influence prépondérante de Tchiani et de sa capacité à perturber la stabilité politique du pays en recourant aux unités militaires lourdement armées dont il avait la charge. L’organisation de discussions aurait permis de désamorcer le conflit. Et même si de nouvelles tensions étaient apparues, les options diplomatiques auraient pu être poursuivies puisque les moyens pour mobiliser l’armée auraient été clairement et préalablement identifiés.

Quels moyens de prévention pour l’UA ?

Certains instruments tels que la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance et le Protocole relatif au CPS soulignent le rôle central de l’UA en matière de prévention des conflits. L’article 24 de la Charte africaine de la démocratie et de la gouvernance stipule qu’« au cas où il survient, dans un État partie, une situation susceptible de compromettre l’évolution de son processus politique et institutionnel démocratique ou l’exercice légitime du pouvoir, le CPS exerce ses responsabilités pour maintenir l’ordre constitutionnel conformément aux dispositions pertinentes du Protocole relatif à la création du CPS ».

Le CPS doit suivre de près la situation des pays à risque dans un souci de réaction rapide

Les articles 3b, 4b et 7 (1.a) de son protocole permettent au CPS de prévenir les différends et les conflits en utilisant la « réaction rapide » pour contenir les crises et les empêcher de se généraliser. Au Niger, l’UA aurait donc pu agir rapidement dans le cadre de ces mandats pour négocier la paix entre les parties, en utilisant les bons offices d’un envoyé spécial ou tout autre outil de diplomatie préventive.

Le CPS aurait également pu discuter des tensions entre Bazoum et Tchiani et exprimer son inquiétude face aux signes avant-coureurs et en appréhender les implications sécuritaires. Cette réaction aurait créé un précédent, encouragé l’utilisation systématique de la prérogative d’anticipation des conflits du CPS et conduit à une réponse rapide en vue d’atténuer les risques pour la stabilité du Niger.

Les enseignements à tirer

Le CPS devrait suivre de près la situation des pays à risque dans un souci de réaction rapide. En ne le faisant pas, il a manqué une occasion d’éviter au Niger de se retrouver dans la situation que l’on sait. Certains facteurs rendent les pays à risque vulnérables aux coups d’État. Ainsi le déclin des pratiques démocratiques, notamment les manœuvres constitutionnelles visant à lever les limitations de mandat, le musellement des partis d’opposition, l’incapacité des États à garantir la sécurité, la fragmentation des armées et le mécontentement croissant des citoyens, les favorisent-ils.

Ces facteurs sont actuellement présents dans de nombreux États, ce qui devrait préoccuper les acteurs politiques régionaux et continentaux. Si l’UA ne parvient pas à prendre des mesures anticipées dans ces pays, elle est vouée à demeurer dans la réaction au lieu de passer à la proaction. L’efficacité de ses réponses dans les pays à risque dépend toutefois de sa gestion des situations au Niger et au Gabon, ainsi que dans d’autres pays sous régime militaire.

La détermination de l’UA à trouver des moyens diplomatiques pour interpeller ses États membres, malgré leur réticence à figurer à l’ordre du jour du CPS, constitue également un enjeu majeur. Cet aspect doit être pris en compte si l’organisation entend jouer un rôle significatif dans la gestion du nombre croissant de coups d’État en Afrique et remplir ainsi son mandat en matière de prévention des crises.

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