Les relations civilo-militaires expliquent-elles les récents coups d’État en Afrique de l’Ouest ?

La multiplication des coups d’État laisse présager un cercle vicieux d’instabilité en Afrique qui pourrait être enrayé par un contrôle civil renforcé.

À la suite de la première vague (années 1960 et 1970) et de la deuxième vague (années 1980 et 1990) de coups d’État militaires en Afrique, l’Union africaine (UA) et les communautés économiques régionales et les mécanismes régionaux du continent ont élaboré des cadres normatifs pour lutter contre les changements anticonstitutionnels de gouvernement (CAG). Ces efforts ont abouti à la déclaration de Lomé de 2000 sur les CAG, qui « rejette tout changement anticonstitutionnel comme étant une pratique inacceptable et anachronique » allant à l’encontre des normes démocratiques de l’UA.

La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a établi le Protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance (2001), qui définit les principes de convergence constitutionnelle. Ceux-ci stipulent que des élections libres, équitables et transparentes sont la seule voie d’accès possible vers le pouvoir.

Le continent a également adopté une politique de tolérance zéro à l’égard de la prise ou du maintien du pouvoir par des moyens anticonstitutionnels et a exigé que les forces armées soient apolitiques et dépendent d’autorités politiques légalement constituées. Ainsi, la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs a promulgué un protocole similaire en 2006 pour renforcer les normes régissant les relations civilo-militaires.

Malgré ces instruments normatifs, l’inconstitutionnalité civile et militaire a refait surface, avec des conséquences désastreuses pour la mise en œuvre de l’architecture africaine de gouvernance et de l’architecture de paix et de sécurité (APSA). Cette situation a relancé le débat sur les relations entre civils et militaires en Afrique et sur leur rôle dans l’instabilité, notamment les guerres civiles, les manifestations violentes et les coups d’État.

S’agit-il simplement de coups d’État militaires ?

Les relations civilo-militaires (RCM) font référence à la nature et aux modalités des interactions entre les forces armées, les entités politiques et la population. Dans la pratique, il s’agit de trouver un équilibre entre la nécessité de créer et de maintenir un appareil militaire suffisamment puissant pour protéger l’État, mais pas assez pour renverser le gouvernement. Dans les États fragiles et dotés d’institutions démocratiques faibles, les RCM sont essentielles à la sécurité nationale.

Sur 14 renversements de régime réussis, les États ouest-africains ont subi à eux seuls 17 tentatives de coup d’État

Deux principales tendances définissent les défis actuels de l’Afrique en matière de CAG et de RCM, et témoignent d’une « troisième vague » de coups d’État qui menacent d’anéantir les avancées démocratiques. La première concerne les CAG perpétrés par l’armée. Depuis 2000, l’Afrique a connu 25 coups d’État réussis et de nombreuses tentatives infructueuses.

Outre les quelque 14 renversements de régime réussis, les États d’Afrique de l’Ouest ont subi à eux seuls 17 tentatives de coup d’État, ainsi que d’importantes crises constitutionnelles au Bénin, en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso, au Togo, en Gambie, en Guinée et au Sénégal.

La deuxième tendance concerne les dirigeants démocratiquement élus qui modifient leur constitution nationale pour prolonger leur mandat. Rien qu’en Afrique de l’Ouest, on a enregistré 11 de ces tentatives depuis 2003 dans sept pays. Il s’agit du Burkina Faso (2005 et 2014), du Togo (2005 et 2015), du Bénin (2006, 2010 et 2019), de la Guinée (2020), de la Côte d’Ivoire (2020), du Sénégal (203) et de la Gambie (2020 à 2021). En plus de contrevenir aux normes et processus démocratiques, les dirigeants civils en place, qui par ailleurs occupent souvent le poste de commandant en chef des armées, ont adopté diverses stratégies, dont la violence et les manipulations constitutionnelles, pour se maintenir au pouvoir.

Des frictions entre civils et militaires

Outre les nombreux défis qui engendrent des tensions dans les États membres, dont la concurrence pour le contrôle des ressources naturelles, le chômage, la corruption et les approvisionnements militaires, d’autres enjeux tels que la politisation des armées nationales et d’autres institutions du secteur de la sécurité sont également source de frictions.

Le Mali, le Burkina Faso et la Guinée ont connu une période prolongée de régime militaire après leur indépendance

Un autre défi qui entre dans ce cadre et qu’on a pu observer lors des récents coups d’État est le rôle des gardes présidentielles, des unités d’élite héritées du système français et de sa Garde républicaine. Dans les pays francophones, les gardes présidentielles sont placées sous l’autorité directe de la présidence, qu’elles sont chargées de protéger. Elles sont à l’origine de certains des récents coups d’État en Afrique, notamment au Niger (2010), au Mali (2012), en Gambie (2014), au Burkina Faso (2015) et au Gabon (2023).

Ces événements soulignent le dilemme que pose l’abus des fonctions assignées aux gardes présidentielles, lesquelles sont maintenues aux dépens des capacités des forces armées régulières et des forces de sécurité à préserver l’ordre constitutionnel. Cette situation alimente également les tensions entre des gardes présidentielles bien équipées mais généralement non impliquées dans les opérations liées à la sécurité nationale telles que les opérations de contre-insurrection, et des forces armées moins bien équipées et devant livrer la majeure partie des combats. Elle brouille également les frontières entre le contrôle civil et la subordination militaire, encourageant la politisation des services de sécurité avec des conséquences négatives pour la sécurité nationale et la stabilité régionale.

Des tensions sont également apparues autour des approches adoptées par les acteurs politiques pour faire face aux menaces pesant sur la sécurité nationale. La présence d’acteurs étrangers tels que la France en Côte d’Ivoire, au Mali, au Niger et au Gabon, le groupe russe Wagner au Togo, en République centrafricaine et ailleurs, et les États-Unis au Burkina Faso et au Niger en sont des exemples. Il ne s’agit pas seulement d’efforts de la part d’États faibles pour externaliser leur sécurité nationale, mais également d’un calcul des régimes pour leur propre sécurité.

Depuis 2012, une série d’insurrections semble avoir envenimé les RCM au Mali, au Burkina Faso (2016 et 2022) et au Niger (2023). Dans les deux premiers pays, les frictions sont nées de désaccords sur le rôle du groupe Wagner. Au Niger, c’est le président de l’époque, Mohamed Bazoum, qui semble avoir provoqué le coup d’État du 26 juillet 2023. La grogne des responsables militaires a été déclenchée par le « limogeage », en avril, du général Salifou Mody, chef d’état-major des forces armées nigériennes, pour avoir négocié un accord de « droit de poursuite » des djihadistes avec le Mali.

Les longues périodes de régime militaire compromettent la culture de subordination des militaires au pouvoir et au contrôle civils

Bazoum voyait dans cet accord une violation embarrassante des sanctions de la CEDEAO à l’encontre du Mali. Son deuxième péché capital pourrait avoir été son enquête sur la disparition de 50 % du budget de la défense du Niger (125 millions de dollars) sous l’administration de Mahamadou Issoufou (de 2011 à 2021). Son troisième a été la tentative de restructuration et de réduction de la garde présidentielle (d’environ 2 000 à 700 membres) et l’examen minutieux de son budget.

Les longues périodes de régime militaire compromettent la culture de subordination des militaires au pouvoir et au contrôle civils. Le Mali, le Burkina Faso et la Guinée ont connu des régimes militaires prolongés dans les périodes qui ont suivi leur indépendance. Après avoir goûté au pouvoir, les militaires ont du mal à s’adapter lorsque la dynamique politique change et qu’ils doivent à nouveau se soumettre au pouvoir civil. L’accumulation des tensions dans les RCM provoque des affrontements entre les civils et les forces armées, lesquelles se perçoivent comme les garantes du respect de la constitution ou des stratégies de sécurité nationale. Elles sont également à l’origine de tensions concernant les alliances avec des puissances extérieures.

Améliorer les relations

Les nombreux coups d’État civils et militaires montrent qu’il existe un cercle vicieux d’instabilité résultant d’une mauvaise gouvernance, d’un niveau élevé de corruption et de violations des droits humains qui perpétuent les mécontentements et alimentent les rébellions et d’autres formes de violences politiques.

Afin d’enrayer efficacement ce cycle et d’améliorer les relations entre civils et militaires, le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA, les organisations régionales et les États membres doivent encourager ces derniers à renforcer le contrôle civil. Cet objectif peut être atteint en renforçant les capacités et l’indépendance des institutions civiles, notamment par la transparence budgétaire et le contrôle parlementaire, afin de garantir la responsabilisation et l’adhésion aux principes démocratiques au sein des forces armées africaines. Il est également important de promouvoir le professionnalisme des militaires et d’insister sur la nécessité de respecter l’autorité civile, les droits humains et le droit humanitaire international.

Les réunions du CPS peuvent également renforcer la coopération régionale en vue de promouvoir et de contrôler activement les RCM, ainsi que permettre aux États membres de partager leurs meilleures pratiques et leurs expériences en matière de normes et de règles. Les réunions du CPS devraient favoriser le dialogue, stimuler la coopération et promouvoir la sensibilisation en créant des plates-formes régulières de dialogue et de collaboration sur les enjeux soulevés précédemment.

Pour relever les défis civilo-militaires en Afrique, il convient d’adopter des approches globales visant à renforcer les institutions démocratiques, à promouvoir la bonne gouvernance et à s’attaquer aux causes des disparités socio-économiques. Cette approche est préférable aux interventions militaires irrationnelles et irréfléchies telles que celle qui s’est déroulée au Niger en 2023 ou aux appels peu judicieux à la création d’une force africaine anti-coup d’État.

Image : © Issouf Sanogo/AFP

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