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Les élections au Tchad : un baromètre pour le Conseil de paix et de sécurité

De nouvelles interventions devraient être envisagées pour soutenir le retour du Tchad à l'ordre constitutionnel.

Le 6 mai 2024, le Tchad organisera un scrutin présidentiel pour marquer le retour à l'ordre constitutionnel. Cet événement symbolise la fin de la transition politique qui a suivi le décès de l'ancien président Idriss Déby en avril 2021. La transition tchadienne a été recouverte d'un vernis de légitimité par les acteurs régionaux, continentaux et occidentaux qui l'ont approuvée. Toutefois, l'issue de ces élections est largement considérée comme connue d'avance, les autorités de la transition ayant été autorisées à concourir. Ce scrutin représente néanmoins un test décisif pour l'Union africaine (UA) et son approche en matière de soutien aux transitions sur le continent.

Pourquoi ce scrutin est-il si important ?

Tout d'abord, les perspectives de paix au Tchad seront mises à mal par les turbulences régionales, notamment les guerres civiles prolongées en Libye et au Soudan, les controverses autour du référendum constitutionnel en République centrafricaine et le changement anticonstitutionnel de gouvernement (CAG) au Niger. Par conséquent, la stabilité du pays est essentielle aux efforts de stabilisation déployés dans le bassin du lac Tchad et au Sahel. Deuxièmement, l'élection tchadienne servira de référence concernant la réponse des organisations régionales et continentales, telles que l'UA et la Communauté économique des États de l'Afrique centrale (CEEAC), face à la menace que représentent les présidents putschistes. Elle donnera le ton pour la transition au Gabon.

Le scrutin représente un test décisif pour l'Union africaine face aux transitions

Troisièmement, cette élection mettra à l'épreuve la détermination de l'UA à faire respecter les normes et les principes relatifs aux CAG, énoncés dans certains de ses instruments politiques tels que la Déclaration de Lomé et la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance. L'UA sera scrutée de près sur ce point, au vu de ses déclarations et communiqués antérieurs sur la transition tchadienne. Par conséquent, outre les répercussions nationales et interrégionales, l'élection présidentielle tchadienne constituera un baromètre de la gestion des nombreuses transitions politiques par l'UA et influencera sa riposte face à d'éventuels CAG à l'avenir.

La réponse du CPS

Les 22 avril et 11 mai 2021, le Conseil de paix et de sécurité (CPS) a organisé des discussions sur le transfert de pouvoir au Tchad. Après la mort d'Idriss Déby, la disposition constitutionnelle permettant au président du Parlement de superviser la transition a été ignorée et un Conseil militaire de transition a été mis en place, dirigé par le fils d'Idriss Déby, le général Mahamat Déby. Après un long débat, et alors que de graves inquiétudes entouraient la création de ce conseil militaire, le CPS s'est abstenu de qualifier cette décision d'inconstitutionnelle, permettant ainsi au Tchad d'éviter la suspension des activités de l'UA.

Reconnaissant la gravité des implications de sa décision, les réunions ultérieures du CPS sur le Tchad se sont essentiellement concentrées sur les moyens d'influencer sa transition. Le communiqué de presse 1 121 et le communiqué 1 152 exhortaient ainsi les autorités de transition à ne pas participer aux élections. L'importance de la mise en œuvre du rapport du Groupe des Sages de mai 2023 sur le Tchad était par ailleurs soulignée. Ce rapport réitère la position de l'UA sur la nécessité de rester ferme quant à l'inéligibilité des autorités de transition aux élections.

La transition au Tchad ne figure plus à l'ordre du jour du CPS depuis mai 2023

Mis devant le fait accompli et incapable de rendre ses décisions effectives, le CPS a choisi d'éviter de débattre de la situation et, ce faisant, de ne pas y répondre. La transition au Tchad n'a donc pas été inscrite à l'ordre du jour du CPS depuis mai 2023 et le Conseil semble muet sur les élections imminentes. Son hésitation à aborder la question est fondée sur la reconnaissance des limites qui lui sont imposées en raison de ses décisions et de ses incohérences antérieures.

Ainsi, le CPS avait demandé aux autorités de transition de se conformer au nouveau calendrier de la transition, de respecter les droits humains, de maintenir le dialogue et de se plier au principe de l'inéligibilité des autorités de transition aux élections. Chacune de ces demandes a été éludée par les autorités de N'Djamena. Le dialogue national a prolongé la période de transition, qui devait initialement durer 18 mois, de deux années supplémentaires, soit d'avril 2021 à avril 2024. D'autres décisions du CPS ont tout simplement été ignorées. Les manifestations d'octobre 2022 contre les conclusions du dialogue et la prolongation de la période de transition ont été réprimées par la force, provoquant des dizaines de morts et des violations généralisées des droits humains.

Le CPS n'ayant jamais défini la situation au Tchad comme un CAG, il lui est désormais difficile d'imposer des sanctions de manière rétroactive. Et ce, malgré la réticence des dirigeants militaires à mettre en œuvre les plans convenus. Pour modifier le statu quo, il faudrait reconnaître les implications de la décision de non-suspension, prouver l'existence d'un précédent et obtenir l'adhésion politique et le soutien des États membres du CPS. Cependant, bien que les chances de voir le Tchad suspendu des activités de l'UA soient très minces, le CPS devrait explorer toutes les options pour corriger ses décisions antérieures et influencer la trajectoire post-électorale du Tchad, y compris menacer de demander des comptes à l'armée sur son implication dans le scrutin.

Aller de l'avant

Pour mener à bien son mandat au titre de l'article 7 du protocole relatif au CPS, le Conseil doit travailler avec les États membres pour hiérarchiser les priorités de leurs transitions politiques et les accompagner jusqu'à la restauration complète de l'ordre constitutionnel et démocratique. Éluder la question du Tchad ne diminuera pas l'ampleur des défis et continuera à soulever des questions sur la légitimité du rôle du CPS dans la gestion des transitions. Le Conseil devra envisager des mesures alternatives et faire connaître clairement sa position sur le Tchad sans subir d'influence indue de la part de la Conférence de l'UA ou d'autres organes.

Éluder la question du Tchad soulève des questions sur la légitimité du rôle du CPS face aux transitions

Le Tchad devrait figurer sur la liste des pays nécessitant une action urgente, inscrite à l’ordre du jour du CPS du mois de mai. Les élections étant pour ainsi dire jouées d'avance, le Conseil aurait tort de ne pas discuter de la manière dont il envisage de dialoguer avec les autorités tchadiennes au lendemain du scrutin. Les élections marquent officiellement la fin de la transition au Tchad. Elle prépare également le terrain et détermine dans quelle mesure l'UA peut apporter son soutien et superviser un changement significatif en faveur de l'émergence d'une gouvernance inclusive, de la création d'institutions compétentes et de la tenue d'un débat politique libre et équitable. En outre, les tensions qui ont été observées au cours de cette campagne électorale pourraient présager d'une période post-électorale tout aussi tendue. 

Le CPS devrait donc continuer à faire pression sur les responsables tchadiens pour qu'ils établissent une feuille de route post-électorale. Celle-ci devrait recenser les défis à relever et fournir des solutions et des recommandations à l'UA et à la CEEAC en vue d'un soutien durable de leur part. Il est plausible qu'en apportant un soutien au processus électoral ou post-électoral, l'UA entérine la transition tchadienne, mais ignorer complètement le processus ne fera que saper davantage la position du Conseil.

Un premier pas important consisterait à organiser une séance qui clarifie la position du Conseil, puis à publier un communiqué concret et susceptible d'être mis en œuvre. La séance devrait examiner les incidents d'octobre 2022. Elle devrait exiger que justice soit faite pour la mort, la torture et la détention illégale de civils innocents et pour d'autres abus, y compris la mort en février 2024 du chef de l'opposition Yaya Dillo aux mains des forces de sécurité.

La récente entrée en fonction de nouveaux membres du CPS constitue un moment propice pour rétablir la crédibilité du Conseil, corriger les décisions précédentes et rééquilibrer sa position à l'égard du Tchad. Cependant, il est probable que le Conseil reste saisi de la situation et c'est la raison pour laquelle le scrutin présidentiel au Tchad servira de baromètre pour la légitimité de l'UA qui, pour l'heure, ne parvient pas à faire face de manière satisfaisante aux transitions qui interviennent sur le continent.

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