Les coups d’État constitutionnels favorisent les coups d’État militaires

Dans de nombreux pays africains, la quête pour plus de pouvoir politique commence souvent avec la plume et finit avec l’épée.

Avant le coup d’État du 30 août 2023, le Gabon a procédé à la neuvième révision de sa Constitution de 1991. L’article 9 a été modifié pour réduire le mandat présidentiel de sept à cinq ans et rétablir le scrutin à un tour. Cette modification a permis à Ali Bongo de briguer un troisième mandat. Beaucoup ont soutenu que ce retour au système électoral uninominal à un tour visait à permettre au président d’éviter un second tour face à une opposition de plus en plus fragmentée, qui peinait à se mettre d’accord sur un candidat commun.

Malgré la vive opposition des groupes de la société civile gabonaise qui estimaient que l’adoption de cette révision par voie législative plutôt que par référendum violait la Constitution, la révision constitutionnelle a cependant été approuvée. Cette situation a envenimé le climat politique avant les élections présidentielles, parlementaires et législatives de 2023. Les tensions ont été exacerbées par des règles de dernière minute exigeant que les électeurs « choisissent leur candidat présidentiel et parlementaire au sein du même parti politique », par des coupures d’Internet et par l’absence d’observateurs électoraux.

Les élections ont été entachées de violences et d’allégations de truquage, mais les résultats ont été proclamés en faveur du président Bongo. Dans un contexte post-électoral de fortes tensions, l’armée gabonaise a pris le pouvoir, annonçant que « l’organisation des échéances électorales [du 26 août] n’avait pas rempli les conditions d’un scrutin transparent, crédible et inclusif ».

Ce n’est pas la première fois qu’une manipulation constitutionnelle en amont d’élections aboutit à un changement de gouvernement anticonstitutionnel (CAG). C’est une pratique que l’on qualifie de coup d’État constitutionnel. Le renversement du président guinéen Alpha Condé par le colonel Doumbouya a également été précédé d’une révision constitutionnelle fortement contestée, suivie d’une élection violemment disputée qui a permis au président Condé de remporter un troisième mandat.

Au cours des 20 dernières années, seulement cinq des 24 tentatives de modification des constitutions ont échoué

Dans le cadre des efforts déployés pour endiguer la troisième vague de coups d’État en cours en Afrique, il est important de déterminer si les manipulations constitutionnelles ont une incidence sur l’émergence de transitions politiques complexes ou de CAG.

Reconnaître un coup d’État constitutionnel

L'analyse des révisions constitutionnelles en Afrique entre 2002 et 2023 met en évidence 24 tentatives de modification constitutionnelles à des fins de prolongation du pouvoir politique. Parmi ces tentatives, 19 ont été couronnées de succès. Ce qui représente une tentative par an au cours des deux dernières décennies d’existence de l’Union africaine (UA), avec un taux de réussite d’environ 78 %.

Résultats des tentatives de modification ou d’abolition des dispositions constitutionnelles visant à limiter le nombre de mandats de 2002 à 2023

Résultats des tentatives de modification ou d’abolition des dispositions constitutionnelles visant à limiter le nombre de mandats de 2002 à 2023

Source : tableau adapté et mis à jour à partir d'un travail de Khabele Matlosa, 2023
(Cliquez sur l’image pour voir l'infographie en taille réelle)

Les modifications constitutionnelles se font généralement de deux manières. Dans un premier cas, la durée des mandats est modifiée, le nombre d’années augmenté ou diminué. Lors de la modification électorale d’avril 2023 au Gabon, le mandat présidentiel a été ramené de sept à cinq ans, alors qu’en Guinée (2020), il a été rallongé.

Cette modification constitutionnelle précède souvent l’invocation du principe de non-rétroactivité de la nouvelle loi pour permettre aux présidents en exercice de se présenter aux élections. Ce faisant, ils remettent à zéro le compteur du nombre de mandats et contournent l’esprit de la constitution pour rester plus longtemps au pouvoir.

Le deuxième type de modification consiste à supprimer complètement les limitations de mandat ou les limites d’âge afin de permettre aux présidents sortants de présenter leur candidature de manière indéfinie aux élections. Dans la plupart des cas, ce procédé leur permet de rester au pouvoir avec le soutien d’institutions électorales compromises, d’un appareil de sécurité autoritaire et d’un paysage politique déséquilibré.

Les durées de mandat sont modifiées ou les limites du nombre de mandats consécutifs et d’âge des candidats éliminées

Nombreux sont ceux qui affirment que, même si elles font l’objet de contestations, ces modifications validées par référendum soulèvent plus de questions qu’elles n’entraînent de condamnations. Cependant, elles sont souvent orchestrées pour servir les intérêts du président en exercice, et les référendums qui les valident sont loin d’être équitables, libres et transparents. Elles ne visent pas en premier lieu à défendre les intérêts nationaux. Au contraire, elles vont à l’encontre de l’esprit du constitutionnalisme et s’apparentent à des manipulations constitutionnelles ou à des coups d’État, lesquels sont désapprouvés par l’UA.

L’article 23 (5) de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance condamne « tout amendement ou toute révision des constitutions ou des instruments juridiques » portant atteinte aux principes de l’alternance démocratique. Selon l’article 23, ce changement constitue un « moyen illégal d’accéder au pouvoir ou de s’y maintenir » et représente, par conséquent, « un changement anticonstitutionnel de gouvernement passible de sanctions appropriées de la part de l’Union ».

De l’ingérence constitutionnelle à l’action militaire

L'érosion de la confiance des citoyens dans les normes démocratiques constitue un maillon fondamental entre les manipulations constitutionnelles et les coups d’État. Lorsque les dirigeants détournent les constitutions en effectuant un troisième mandat, voire plus, ou en en supprimant complètement la limitation, ils rompent le consensus politique relatif à l’alternance du pouvoir. Dans les États captifs, où les dés du jeu électoral sont pipés en faveur des dirigeants en place, il est impossible de garantir le renouvellement de ces dirigeants par le biais des procédures constitutionnelles en vigueur. Cette situation mine la confiance dans le processus démocratique et alimente le mécontentement, qui débouche souvent sur des manifestations de grande ampleur.

Les lignes directrices de l’UA sur les amendements constitutionnels doivent être finalisées

La recherche d’autres moyens d’exprimer ce mécontentement, généralement par des manifestations, oppose les dirigeants aux citoyens, ce qui entraîne souvent de violentes mesures de répression à l’encontre des manifestants et des activités politiques. L’instabilité et la grogne qui en résultent, conduisent la plupart du temps à l’instauration de l’état d’urgence ou rendent le pays ingouvernable, ce qui permet à des éléments des forces militaires, également mécontents, de s’immiscer dans la vie politique. Ils accusent alors le dirigeant déchu d’avoir mal géré le pays ou les processus électoraux.

Au Gabon, les tensions ont atteint leur paroxysme lorsque les résultats du processus électoral si contesté ont été proclamés et que la victoire de Bongo a été prononcée. En Guinée, l’assassinat de 21 personnes au cours des désordres qui ont suivi les élections controversées a conduit à la prise de pouvoir par l’armée.

Il est difficile d’établir une relation directe de cause à effet entre les modifications constitutionnelles et les coups d’État militaires. Ce que l’on peut néanmoins affirmer, c’est que la complexité des problèmes déclenchés par les coups d’État constitutionnels crée des conditions qui facilitent l’ingérence d’acteurs militaires dans tout contexte politique vulnérable.

Quelles considérations politiques pour le CPS ?

Pour lutter contre les coups d’État en Afrique, le Conseil de paix et de sécurité (CPS) doit d’urgence traiter les manipulations constitutionnelles avec la même sévérité que les coups d’État militaires. Dans la plupart des cas, ces manipulations forment le contexte qui, associé à d’autres facteurs, encourage les auteurs de coups d’État à intervenir.

Compte tenu de la prévalence des amendements constitutionnels et de la facilité avec laquelle ils sont manipulés, le CPS doit appeler à la finalisation rapide du processus d’élaboration des lignes directrices de l’UA en matière d’amendements constitutionnels. Celles-ci serviront de plan directeur pour promouvoir et façonner des amendements novateurs et constructifs.

Reconnaissant les dangers des manipulations constitutionnelles, toute tentative signalée par les structures régionales et continentales d’alerte précoce devrait immédiatement inciter le CPS à agir. Celui-ci doit alors faire appel aux bons offices du président ou du commissaire à la paix et à la sécurité, des envoyés spéciaux et des membres du groupe des sages pour aborder le problème avec les dirigeants concernés.

Image : © Michele Cattani / AFP

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